Une première lecture de l’accord du gouvernement fédéral laissait entrevoir une lueur d’espoir pour le rail belge ; son volet budgétaire anéantit, lui, tout optimisme. Annoncer le rail comme « une partie de la solution au problème global de mobilité » et ensuite lui infliger des économies à hauteur de 2,1 milliards relève de la schizophrénie.
Le positif
Nous nous réjouissons de voir que les actions programmée par la nouvelle coalition au pouvoir le sont dans le bon ordre : 1. Elaborer un plan de transport intégré ; 2. Réviser le plan d’investissements en priorisant les investissements en fonction des besoins identifiés par le plan transport ; 3. Définir les missions de services publiques aux entités du Groupe SNCB à travers leur contrat de gestion afin d’accomplir ce plan transport.
La mobilité est abordée dans cet accord à partir du concept de mobilité en chaîne : « l’accent est mis sur une mobilité en chaîne et les différents modes de transport concordent parfaitement ». Fini donc de définir l’offre de transport par rapport aux flux majoritaires entre les grandes gares du réseau. Regardons d’où viennent les voyageurs et jusqu’où ils vont. Nous lisons là la volonté d’améliorer les correspondances entre les lignes de desserte locales et les liaisons IC ou IR à destination des plus grands pôles d’emploi. La SNCB a en effet tout intérêt à mettre ses usagers sur les rails au plus proche de leur domicile afin de réduire les problèmes de stationnement aux abords des gares importantes du pays et de générer des recettes supplémentaires. Ce qui coûte cher en ferroviaire c’est le maintien de l’infrastructure ; il faut donc l’utiliser au maximum quand elle existe. Il est bien entendu utile de réfléchir à la manière de réduire progressivement les coûts d’exploitation de ces dessertes locales pour pourvoir augmenter substantiellement leur fréquence.
Penser la mobilité en chaîne c’est aussi favoriser la multi- ou l’inter-mobilité. « L’approche sera fondée sur une ‘système de points nodaux’ et sur la nécessaire collaboration de l’ensemble des sociétés de transport public afin de pouvoir développer une ‘mobilité en chaîne’ ». La meilleure façon d’optimiser les correspondances entre le train et le bus est effectivement d’organiser l’offre de train autour de gares-nœuds garantissant la desserte des différentes liaisons ferroviaires dans un laps de temps restreint, de l’ordre de 15 minutes. C’est le principe du cadencement en réseau, tel qu’il s’implante progressivement en Suisse depuis 20 ans.
Ce principe du cadencement en réseau pourrait aussi s’implanter progressivement chez nous puisque l’accord du gouvernement annonce qu’ « un nouveau plan de transport intégré à long terme entrera en application en 2017 ». Ce qui est une bonne nouvelle vu l’insatisfaction que le plan transport qui entrera en vigueur le 14 décembre 2014 suscite auprès des navetteurs et des autorités locales. Nous pouvons donc espérer que les minutes-travaux qui justifient une bonne partie des allongements de temps de parcours annoncés sur la plupart des liaisons pourront être rapidement levées. Nous attendons du gouvernement que ce plan transport 2017 fasse l’objet d’une large concertation avec les représentants de la société civile, dès 2015 comme nous l’a par ailleurs annoncé Jo Cornu lui-même. Il est utile de définir un plan transport long terme ambitieux, application parfaite du cadencement en réseau, pour ensuite déterminer les investissements nécessaires à l’adaptation de l’infrastructure pour le mettre progressivement en œuvre.
C’est effectivement en fonction des besoins pour une exploitation optimale du réseau que les investissements doivent être définis ; ce que semble avoir compris le gouvernement quand il énonce « les besoins réels en termes de trafic ferroviaire serviront de base à la fixation des priorités du plan d’investissement ». Renouveler les composantes de l’infrastructure en fin de vie, organiser un point de croisement supplémentaire sur une ligne à voie unique pour mettre fin aux retards fréquents, rectifier une courbe pour gagner quelques minutes et permettre d’organiser un nœud de correspondance ou encore acheter du matériel roulant robuste sont des investissements qui font sens pour faciliter l’exploitation d’un plan transport intégré et améliorer le ponctualité. D’autant que pour le nouveau gouvernement, « l’amélioration de la ponctualité est une priorité ».
Allons-nous par ailleurs enfin sortir de l’ère de gares-cathédrales ? L’accord reprend en tout cas que « les investissements dans les bâtiments des gares sont justifiés sur la base des besoins ».
La douche froide
L’annonce d’un plan d’économie de 2.1 milliards ruine quant à elle l’espoir permis par cette lecture de l’accord.
Il est vrai que certains points de l’accord le laissaient présager. « Stratégie de résorption de la dette », « assainissement des finances publiques » ou « gestion financière stable » sont des mots qui pouvaient inquiéter. Mais ces mêmes objectifs auraient pu au contraire être rencontrés en renforçant et en contrôlant davantage les budgets du Groupe SNCB. Non ! Diktat de l’austérité oblige. Il fallait donc comprendre que l’enveloppe pluriannuelle que le gouvernement s’engage à maintenir pendant la période prévue pour « que la SNCB et Infrabel soient en mesure de répondre à la demande croissante en leur accordant les moyens d’exploitation et d’investissements qu’il peut raisonnablement mettre à leur disposition » comme un plan d’économies étalées sur 5 ans ! Reste à comprendre comment on peut résorber sa dette et répondre à une demande croissante avec des moyens décroissants.
L’extrait suivant « le gouvernement entend créer le cadre nécessaire, par le biais des nouveaux contrats de gestion, dont la durée sera portée à six ans, à l’amélioration de l’offre, du service et de la qualité des prestations de la SNCB et d’Infrabel, en vue de répondre aux attentes de leurs clients, c’est-a-dire les usagers et les entreprises » ne serait donc qu’un beau coup de bluff.
Nous vous proposons donc d’essayer de clarifier le texte de cet accord à la lueur du cadre budgétaire, maintenant connu. Il suffirait d’ajouter quelques mots (comme proposé ci-dessous en [ ]) dans l’une ou l’autre phrase de cet accord pour dissiper la schizophrénie redoutée :
« L’orientation client, le rapport qualité-prix et l’orientation vers la demande [uniquement là où elle est actuellement la plus forte] sous-tendront la révision du plan de transport 2017 » ;
« La concentration des moyens publics sur le service intérieur [vers Bruxelles] augmentera la rentabilité de la SNCB » ;
« Cette offre de transports publics intégrés tiendra compte des besoins spécifiques des régions à faible densité de population [pour lesquelles une offre bus convient mieux] » ;
« La ligne directrice de la politique d’investissement est l’utilisation efficace des ressources [qui seront fortement réduites] » ;
«La capacité de l’infrastructure et l’exploitation sont également adaptés aux besoins [qui sont importants sur les axes principaux du réseau et inexistants ailleurs] »
« La première préoccupation sera de rechercher systématiquement la meilleure solution possible [et la moins cher] en termes de transport (public) afin de répondre à la demande [et de progressivement la réduire] » ;
« Le gouvernement mène une politique ferroviaire proactive [dans le détricotage du maillage ferroviaire belge] ».
L’espoir n’a donc duré que le temps d’une première lecture…
Crédit photographique : http://rixke.tassignon.be/spip.php?article1041