La gestion durable des sols constitue un enjeu majeur pour les sociétés humaines. De leur pérennité dépend notre sécurité alimentaire, notre approvisionnement en eau, en matières premières (bois, textile, …) ainsi que l’ensemble des fonctions qui leur sont associées en terme d’environnement et de maintien de la biodiversité. Le bon fonctionnement des écosystèmes dépend de la gestion des sols qui y sont associés et nombre de civilisations prestigieuses ont périclité pour les avoir trop négligés… L’absence ou la faiblesse des cadres législatifs pour assurer leur protection laisse à penser que l’histoire pourrait se répéter.
Les enjeux sont clairs: dans le monde, la dégradation des sols a conduit à une diminution de leur productivité estimée à 13 %. Ce chiffre ne prend pas en compte l’impact des changements climatiques qui les fragilisent plus encore, ni les modifications d’affectation (urbanisation, … ) qui, elles, sont pratiquement irréversibles. Leur protection est un enjeu primordial quand on sait qu’ils seront sollicités pour répondre à une augmentation de 50 % de la population mondiale d’ici 2050 ainsi qu’au développement des énergies renouvelables issues de la biomasse. S’il existe une certaine prise de conscience remontant aux années 70, elle n’a, ni permis d’endiguer leur artificialisation, ni réduit leur dégradation dans un contexte qui pourtant exige leur restauration pour améliorer leur capacité de résilience face aux changements climatiques et aux sollicitations croissantes à venir.
Espoirs déçus au niveau européen
Cette dégradation des sols est bien sûr une réalité en Europe. Près de 12 % des terres y sont soumises à une érosion hydrique critique et 45 % présentent une déficience en matières organiques. Leur artificialisation progresse aussi à grand pas, croissance économique oblige. Le projet de directive de la Commission sur la protection des sols, qui se caractérise par une ambition particulièrement modeste, a été adopté dans ses grandes lignes par le Parlement européen en première lecture. Les Etats devront répertorier les sites pollués mais leur assainissement est laissé à leur appréciation. Les Etats devront également lister des zones prioritaires de protection des sols (érosion, tassement, perte de matière organique, appauvrissement de la biodiversité du sol, …) mais là aussi les mesures pour combattre les facteurs de dégradation sont laissées au libre-choix des États membres. En l’état, le projet de directive n’incitera pas à utiliser de manière plus durable une ressource effectivement non renouvelable puisqu’il laisse toute la place au principe de subsidiarité.
En Wallonie, des sols galvaudés mais un assainissement sur les rails
L’utilisation des sols est, en Wallonie, loin d’être parcimonieuse. Ce capital limité est galvaudé par une vision du développement ayant peu de considération pour les productions liées aux sols. Il suffit d’observer les surfaces libérées par l’actuel gouvernement au profit du développement économique et d’un habitat déjà trop dispersé. (Voir nIEWs: « Comment va le territoire wallon? »
Par contre, la gestion des sols pollués est effective en Région wallonne même si certains volets du cadre légal ne sont pas encore aboutis. Un projet de révision du décret sols, dans son intégralité, est d’ailleurs soumis actuellement à l’avis des conseils consultatifs et devrait permettre de le simplifier et de le rendre plus opérant. Nous ne manquerons pas de vous en informer.
Des sols agricoles pauvres en matières organiques
En Wallonie, les sols cultivés présentent des insuffisances importantes en matières organiques. C’est ce que nous indique l’Etat de l’Environnement Wallon sur base d’une comparaison des profils pédologiques entre 1955 et 2005 : le pourcentage de sols en dessous du seuil critique (2% de matières organiques) passe de 30 à 63 %. Leurs propriétés sont donc modifiées affectant perméabilité, capacité de rétention en eau, stabilité, fertilité,… Conclusions: ils présentent à la fois plus de risques en termes d’inondation, d’érosion, de lessivage des nitrates et des pesticides vers les nappes phréatique, de capacité à résister à la sécheresse,….
La restauration des sols appauvris en matières organiques est pourtant facile à mettre en oeuvre et profitable à l’agriculture. Et la conditionalité n’est finalement rien d’autre qu’un incitant à une gestion en « bon père de famille ». La sensibilisation en la matière est, entre autres, aux mains de « Nitrawal ».
Des sols soumis à une érosion croissante
Si l’érosion moyenne annuelle en Région wallonne reste acceptable , il convient de relever qu’elle a augmenté de plus de 75 % en trente ans dans les terres cultivées. L’érosion arrivant dans les cours d’eau sous forme de sédiments a également augmenté de 75 %. Un chiffre qui cache une grande variabilité sur le terrain puisque les situations à risque important d’érosion (plus de 10 tonnes/ha/an) ont pratiquement triplé pendant cette période et représentent près de 20 % de la surface agricole cultivée. La dégradation des sols qui en résulte provient en partie de causes exogènes qui pourraient encore s’accentuer : les pluies sont plus érosives et plus fréquentes suite aux changements climatiques. Mais les causes principales viennent de l’augmentation des facteurs de risques érosifs liés à la taille du parcellaire, à la destruction des barrières naturelles limitant l’érosion (haies, talus,…), au type de culture, … et à la dégradation intrinsèque de la qualité des sols.
Pour lutter contre l’érosion plusieurs projets (Interreg) ont permis de préciser les stratégies les plus efficaces et leur mise en oeuvre sur le terrain peut-être financée par le biais des mesures agro-environnementales.
Des conséquences trop bien connues
Si l’érosion des sols a « peu d’effet » à court terme en Région wallonne sur la pérennité de l’agriculture (la profondeur des sols y est considérable), il n’en reste pas moins que la perte de nutriments n’est pas négligeable: plus de 15 % du phosphore apporté en culture aboutit dans les cours d’eau. De plus, les dégâts induits par les coulées de boues et inondations sont supportés par les riverains et les communes tandis que la dégradation/destruction des habitats aquatiques et leur eutrophisation l’est par l’environnement et la biodiversité des milieux aquatiques. Le pollueur en agriculture reste donc le premier payé malgré l’instauration encore symbolique de la conditionalité. Une disposition de celle-ci permet en effet de limiter les risques d’érosion mais il ne s’agit que d’un premier pas : les parcelles cultivées présentant une pente de plus de 10 % doivent avoir en bas de la pente une bande herbeuse afin de limiter cette érosion.
La forêt est mieux protégée
Si les sols forestiers sont peu sujets à l’érosion grâce à leur couvert permanent et au taux élevé de matières organiques qui les caractérise, certaines situations peuvent cependant se révéler critiques. Ainsi, les mises à blanc opérées sur de fortes pentes peuvent générer une érosion importante qui reste cependant localisée dans l’espace et le temps. La révision en cours du code forestier apporte une réponse partielle à ce problème puisqu’elle limitera la taille des coupes à blanc et pourrait, comme le suggère certains conseils consultatifs, prendre en compte ces situations particulières.
Plus ponctuellement, les berges des cours d’eau peuvent être soumises à une érosion très importante. En cause, la plantation d’épicéas qui limitent l’accès à la lumière de la végétation sous-arbustive qui, comme on le sait, assure le maintien et la protection des berges. La disposition de la Loi sur la conservation de la nature interdisant leur plantation à moins de 6 mètres des cours d’eau ne limitent pas cette érosion qui peut être conséquente. Là aussi, le code forestier apporte une réponse partielle puisque cette distance de protection des berges est portée à 12 mètres en forêt publique, une mesure qui, pour les conseils consultatifs, pourrait être étendue à toute la forêt.
La tassement des sols forestier limite la possibilité de régénération de la forêt. Le projet de code forestier prévoit une habilitation du gouvernement qui devrait permettre de limiter ces effets. L’Etat de l’environnement wallon se veut cependant assez rassurant quand à l’étendue de cette dégradation.
Des solutions connues
Pour assurer la protection de nos sols, les mesures à prendre sont connues et ont été éprouvées depuis longtemps. Que ce soit en milieu agricole ou forestier, ces mesures peuvent être rapidement mises en oeuvre si la volonté politique y est. Et elles devront l’être si l’on veut restaurer le bon état écologique des cours d’eau qui ne peuvent rester le réceptacle d’une érosion excessive. En Wallonie, ce sera probablement la directive cadre eau qui conduira à une amélioration de la gestion des sols…
Fatale urbanisation
La menace la plus importante en matière de protection des sols résulte de notre incapacité à découpler le développement économique de l’urbanisation du territoire. On en parle beaucoup, mais on agit peu. Et pourtant les signaux sont là.