La démocratie (représentative), à bout de souffle
Un sondage récent réalisé en France par le mensuel Philosophie Magazine [[Philosophie Magazine, n°46, Février 2011. Dossier «Le peuple a-t-il perdu le pouvoir? »]] indique que 49 % des Français estiment que la démocratie a reculé en France au cours des dix dernières années, 14 % qu’elle a progressé et 32 % qu’elle n’a ni progressé ni reculé. … Un sondage réalisé par Ipsos Belgium en avril 2009 indiquait que près de la moitié des Belges ne faisaient pas confiance au monde politique.
De nombreux experts le constatent, la démocratie représentative qui a constitué un progrès extraordinaire, est aujourd’hui à bout de souffle et montre de plus en plus ses limites. Les difficultés grandissantes de la démocratie représentative sont multiples : la complexification des enjeux alors que les problèmes sont traités séparément de façon non systémique ; le manque de transparence dans la prise de décision par les élus ; la difficulté de faire coïncider les intérêts des élus avec l’intérêt des électeurs, les premiers cherchant surtout à être réélus, ce qui les incite à adopter une vision à court terme plutôt qu’à traiter les problèmes, etc.
Les difficultés en terme de gouvernance se marque aussi dans les organisations (entreprises, associations, administrations, ….). Dans une grande majorité d’entre elles, les décisions se prennent selon un mélange variable de démocratie et d’autocratie (une minorité a le pouvoir). Pourtant, les organisations sont devenues tellement complexes et nécessitent une telle réactivité que les pouvoirs centraux ont de plus en plus de mal à les gérer de manière efficiente. Le besoin de prise en compte des intérêts individuels engendrent une méfiance envers les décisions prises par des personnes perçues souvent comme trop lointaines et peu conscientes des besoins de chacun[ [http://www.sociocratie.fr/Diaporama/Sociocratie.pdf ]] . De plus, avec l’allongement de la scolarisation et l’augmentation du chômage, le nombre d’individus ayant un niveau de compétence et d’expertise élevé ( supérieur souvent à ce qui est nécessaire pour le poste occupé), croît sans cesse et avec lui le refus des arguments d’autorités et des décisions imposées.
Les données sociologiques indiquent qu’aujourd’hui, un nombre croissants d’individus ont une volonté de plus en plus forte de prendre en main leur destin dans ses dimensions personnelles et/ou collectives. Ainsi, par exemple, le sondage française cité plus haut, montre que 73 % des Français accepteraient qu’un comité scientifique puisse bloquer une loi votée par le Parlement mais qui serait néfaste à l’environnement, 66 % souhaiteraient que des comités populaires de citoyens tirés au sort contrôlent l’action des élus locaux, 63 % désireraient que les grands sujets de société soient soumis à référendum, 61 % estiment qu’une loi qui déclenche une manifestation de plus d’un million de personnes devrait être révisée.
Selon Pierre Rosanvallon[ [http://www.college-de-france.fr/media/his_pol/UPL52339_Reinventer_la_democratie_Version_II.pdf
vu sur http://www.integralpersonality.com/IPBlog/archives/2009/05/01.html ]], titulaire de la Chaire d’Histoire moderne et contemporaine du politique au Collège de France et Directeur d’études à l’École des Hautes études en sciences sociales, « la crise économique et sociale qui commence actuellement à ébranler le monde invite à reconsidérer en profondeur la façon dont les Nations conçoivent leurs modes d’organisation et de régulation. Elle rend d’abord urgente une nouvelle approche de ce qui constitue le lien social et permet de « faire société » (…) Un nouveau cycle doit de la sorte s’ouvrir dans la vie des démocraties, aussi décisif qu’avaient été ceux de la conquête du suffrage universel au XIXe siècle, puis de la mise en place des Etats-providence au XXe siècle. Il faut maintenant donner à nos démocraties une assise élargie, il s’agit de les comprendre autrement et d’enrichir leur signification. Elles sont à réinventer. »
Rosanvallon identifie trois pistes d’action.
La première est « l’extension des procédures et des institutions au-delà du système électoral majoritaire ». Ceci est nécessaire d’abord pour garantir que le pouvoir est au service de l’intérêt général. Ensuite, pour permettre l’intégration des oubliés de la représentation en inventant des formes non électorales de représentation.
La seconde piste d’action est « d’appréhender la démocratie comme une forme de société et pas seulement comme un régime [politique]. » La démocratie devrait pouvoir se vivre aussi en dehors du champ politique, y compris dans les entreprises où autoritarisme, injustices et exclusions sont encore très présents aujourd’hui.
Le dernier axe proposé par Rosanvallon est « le développement d’une théorie de la démocratie-monde » permettant aux citoyens de s’approprier le concept de démocratie post-électorale. Rosanvallon l’imagine « sous les espèces d’une coopération plus active des Etats tout d’abord. » Mais, ajoute-t-il, « ce sont en définitive les opinions publiques qui donnent le ton et déplacent le curseur vers l’axe de la coopération ou celui du repli. D’où la nécessité d’alimenter un débat public ouvert et frontal sur le sujet. La démocratie-monde ne s’imposera pas avec la mise en place d’élections mondiales. C’est sous les espèces d’une appropriation citoyenne qu’elle prendra pratiquement forme. De la même façon, il ne peut s’agir de reproduire au niveau international des institutions fonctionnant sur le mode parlementaire. Leur structure inter-étatique l’interdit. Transporté à ce niveau, le principe majoritaire-représentatif ne pourrait d’ailleurs que voir ses inaccomplissements exacerbés. C’est au-delà des élections qu’il faut donc commencer
à activer cette démocratie-monde, en obligeant les grandes institutions internationales à être plus transparentes, à rendre davantage de comptes, à se rapprocher de cette façon des sociétés civiles. »
L’enjeu est aussi essentiel que clair : il s’agit de réinventer la démocratie, de développer dans tous les domaines de la société une nouvelle gouvernance permettant la participation de tous, à la fois transparente, responsable et efficiente.
Un outil: la sociocratie
La sociocratie[www.sociocratie.net et J.A. Buck, G. Endenburg, La sociocratie. Les forces créatives de l’auto-organisation. (2004) [www.cqib.org/doc/activités/Présentation_3%20Sociogest.pdf ]] est une nouvelle manière de diriger les organisations, des petites associations aux plus grandes entreprises en passant par des administrations; elle vise l’efficacité à travers la collaboration active de tous les membres, ce qui a pour résultat de renforcer le sentiment d’appartenance de chacun, d’augmenter la créativité voire de réduire le stress des employés. Basée sur la théorie des systèmes, cette méthode de gouvernance a été développée à la fin des années 60 par Gérard Endenburg, un ingénieur en électronique et chef d’entreprise hollandais qui l’a mise en place dans sa propre entreprise.
L’objectif de la sociocratie est de passer de l’affrontement stérile du « ou » à la collaboration active du « et »: l’individu et le groupe, la circulation de l’information de haut en bas et de bas en haut, satisfaire le citoyen et la société; le client, la compagnie et la société, le salarié et l’actionnaire.
La sociocratie est caractérisée par 4 règles fondamentales.
Le consentement. Le mode de prise de décisions d’une organisation sociocratique est le consentement. Alors que le consensus implique que « tout le monde dise oui », le consentement implique que « personne ne dise non ». Le consentement signifie qu’une décision est prise si personne n’émet d’objection. Une objection est recevable si elle est motivée par des arguments valables s’appuyant sur des faits et l’objecteur participe activement dans la recherche de solutions à son objection. Contrairement au consensus, le consentement ne nécessite pas une forte implication de tous (peu réaliste dans la durée) et évite les situations de blocage par un seul individu.
Les cercles. Un cercle est une structure semi-autonome qui prend les décisions politiques correspondant à son domaine d’activité. Les décisions opérationnelles sont prises par la structure existante qui reste inchangée. A chaque service opérationnel correspond un cercle qui prend les décisions politiques liées au fonctionnement du service. Chacun prend ainsi part aux décisions qui affectent son activité dans l’organisation. Chaque cercle définit sa vision et sa mission dans le cadre de la vision et de la mission de l’organisation et en fonction de ses activités propres; toute tâche remplie dans l’organisation prend alors du sens. Les cercles sont connectés entre eux et organisent leur fonctionnement en utilisant la règle du consentement. Chaque membre de l’organisation appartiennent à au moins un cercle.
Le double lien. Un cercle est relié au cercle de niveau immédiatement supérieur par au moins deux personnes distinctes qui participent pleinement aux deux cercles. L’une est élue par le cercle et le représente ; l’autre est désignée par le cercle de niveau supérieur et est le leader fonctionnel du cercle.
L’élection sans candidat. Quand il s’agit de choisir une personne pour occuper une fonction particulière, un cercle sociocratique procède à une discussion ouverte et argumentée aboutissant à une nomination par consentement. L’absence de candidat garantit qu’il n’y a pas de perdant et le consentement que chacun est convaincu que le meilleur choix possible a été fait car le choix se fait sur la compétence nécessaire à la fonction.
Son approche étant stratifiée, la sociocratie respecte tous les systèmes de gouvernance et permet de saisir toute occasion d’évolution opportune du système en place, sans l’imposer.
La sociocratie peut être utilisée dans des structures aussi petites qu’une famille mononucléaire, mais aussi dans de très grandes organisations. Si on suppose une organisation à 5 niveaux, des cercles de 10 personnes permettent de faire fonctionner un groupe de 6.250 personnes ; si la taille des cercles augmente jusqu’à 40, ce sont 6,4 millions de personnes qui peuvent s’organiser ainsi. Aux Pays-Bas, cette méthode est considérée comme une structure légale et est utilisée dans des écoles, des administrations, des entreprises, etc…
La sociocratie permet la participation de tous ; elle peut être mise en place dans tous les types de structures et avec des personnes de tous âges et de tous niveaux culturels. Avec ce type de gouvernance transparente et respectueuse de l’individu, les personnes se responsabilisent et se sentent motivées à participer et à collaborer ; cela contribue à renforcer le tissu social voire à le recréer là où c’est nécessaire. Parmi les avantages pour l’organisation couramment relevés, citons, une grande réactivité face au changement, un meilleur contrôle des coûts, une amélioration de la qualité, une augmentation de la créativité, une meilleure efficacité des réunions, une baisse de l’absentéisme.
NDLR : Cet article constitue une réflexion qui, à l’instar d’autres relatives aux « failles » de la démocratie représentative, nourrit la Fédération quand elle s’interroge sur les moyens de relever rapidement des enjeux cruciaux pour ne pas « aller droit dans le mur ». La sociocratie apporte des solutions concrètes intéressantes, mais ne constitue pas une option aujourd’hui choisie et pratiquée, ni au niveau de l’équipe permanente, ni dans la gestion des membres de la Fédération.
Extrait de nIEWs 91, (31 mars – 14 avril 2011),
la Lettre d’information de la Fédération.
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