Pour vous, la « suffisance », c’est quoi ? Vous savez, ce principe qui se retrouve dans la stratégie de développement durable du Gouvernement wallon depuis plus de 10 ans déjà1… Et on ne sait même pas ce que ça veut dire, fieu!
Pourtant, ce principe est considéré comme nécessaire pour la transition vers une société durable2. Dès lors, dans le but de soutenir le Gouvernement wallon dans son opérationnalisation, Canopea organise une recherche collaborative sur le principe de « suffisance » (dans le sens sufficiency en anglais).
Cette recherche collaborative est organisée autour de 3 ateliers collaboratifs et créatifs pour élaborer ensemble, avec un groupe diversifié de ± 30 personnes, des scénarios possibles et des leviers d’action plausibles facilitant la transition wallonne vers une société plus « suffisante » ou « sufficiente ». Pour soutenir le processus, les ateliers ont été précédés d’une revue de la littérature et de 15 entretiens avec un panel représentatif d’acteur.rice.s sociétaux.ales.
Vous trouverez en lien le document « La « suffisance » : kesako ? » qui constitue une mise en contexte plus approfondie contenant :
- Une synthèse des idées échangées lors des 15 entretiens préalables
- Une brève revue de la littérature sur le principe de « suffisance » (ou sufficiency en anglais)
- Une liste de ressources pertinentes afin d’approfondir ses connaissances
Cet article et le document attaché constituent une représentation initiale et non exhaustive d’éléments qu’il nous semblait important de prendre en compte dans la recherche collaborative en cours.
Ce n’est certainement pas un scoop : la manière dont nous produisons et consommons aujourd’hui n’est pas durable. En effet, les perturbations engendrées par notre mode de vie actuel entrainent des changements abrupts et souvent irréversibles dans le système terrestre, et cela menace la viabilité de notre espèce.
« Toutes les formes de production et de consommation ont un impact direct sur l’environnement notamment en termes de pollutions, de déchets et d’épuisement des ressources ; ceci comporte des conséquences sur le bien-être humain ainsi que des coûts économiques. Parallèlement, toute activité économique dépend des ressources et des services qui proviennent de la nature. Aucune économie n’est viable si elle détruit sa propre base de ressources. »3. Le système économique actuel, le système néolibéral capitaliste, est marqué par une forte dépendance à la croissance continue dans un but de créer du profit monétaire. Cette croissance perpétuelle implique d’utiliser toujours plus de ressources naturelles. Or, nous vivons dans un monde aux ressources finies. Pour assurer un avenir durable, il est donc crucial de repenser ce modèle économique. Il est temps de faire quelque chose, mais quoi ?
La stratégie wallonne de développement durable mentionne le principe de suffisance comme « principe directeur ». Bien que la notion de suffisance soit compréhensible pour tou.te.s de par la composante intuitive du terme (suffisance = suffisant), celle-ci n’a pas reçu de définition nette dans les entretiens ni dans la littérature. En effet, plusieurs éléments différents émergent lorsque l’on demande « Pour vous, la suffisance, c’est quoi ? » :
En plus de ne pas avoir de définition simple et précise, le principe de suffisance a de nombreux.ses ami.e.s sémantiques (plus on est, plus on rit !) : la sobriété, la frugalité, ou encore la simplicité volontaire. La suffisance est aussi souvent liée au développement durable, à la transition, et plus récemment à la notion de robustesse comme décrite par Olivier Hamant (cf. notre article à ce sujet).
Pourtant, la notion de suffisance n’est pas récente. Elle a émergé dans divers contextes linguistiques et culturels, chacun apportant des nuances spécifiques. Bien que largement reconnue à l’international, la suffisance reste peu présente dans la littérature française où la « sobriété » domine4. Finalement, les deux notions peuvent être utilisées comme synonymes. Ceci se confirme lorsqu’on observe leurs racines: le mot grec « sôphrosunè », traduit en latin par « sobrietas », signifiant « assez »5.
La suffisance, ou la sobriété, a des origines philosophiques et religieuses renvoyant aux notions de tempérance, modération et frugalité6. Dans les années 70 et 80, elle a été réintroduite dans le discours scientifique et académique à la suite des crises énergétiques de l’époque7. Elle a ensuite été popularisée au sein des débats sur la durabilité par W. Sachs (1999) de l’allemand suffizienz en complémentarité à l’efficience8.
La suffisance est souvent mentionnée en lien avec l’efficience, autant lors des entretiens que dans la littérature. Il semble donc important de les distinguer. L’efficience maximise la productivité des ressources en optimisant les technologies et les processus pour faire plus avec moins (ibid.). La suffisance, elle, vise à réduire la demande en ressources et la consommation en promouvant une vie simple et modérée, consommant uniquement ce qui est nécessaire. Les deux approches sont souvent considérées comme complémentaires pour réduire l’impact environnemental, l’efficience améliorant les systèmes existants et la suffisance encourageant un changement de comportement. Dans cette logique, la suffisance est liée à l’économie circulaire qui vise à optimiser l’utilisation des ressources9. Cependant, d’autres considèrent que ces deux notions sont opposées, car la suffisance cherche à réduire ce que l’efficience veut maximiser: la production ou la performance, souvent dans le cadre de la croissance économique et de la consommation accrue10. C’est dans cette opposition que la suffisance est alors associée à la décroissance11, vue comme plus radicale.
En somme, plusieurs pensent qu’il est bon d’avoir divers éléments et notions pour imaginer une société plus suffisante, plus juste et durable12. En effet, cette pluralité encourage une accessibilité du principe dans plus de contextes et offre une ouverture créative sur le monde de demain (ibid.). De plus, une vision commune est à présent établie, même si les degrés sont encore variables: la distinction entre suffisance et efficience, et la remise en question de la production et de la consommation dans un but de respecter les limites planétaires, tout en satisfaisant les droits et les besoins fondamentaux.
Recherche collaborative – Atelier 1
Les 21 et 22 juin derniers, nous avons accueilli chez Canopea une trentaine de personnes de secteurs divers et variés pour commencer la recherche collaborative.
Une fois que le principe de suffisance a été éclairci (c’est surtout devenu plus complexe, oui !), les participant.e.s ont été invité à réfléchir à : « Quels facteurs & développements (externes) déterminent le futur de la production couplée à une consommation ‘suffisante’ en Wallonie – Horizon 2035 ? ». Après mise en commun, il s’avère que, pour les participant.e.s, les forces motrices pour aller vers une société plus ‘suffisante’ en Wallonie sont :
- Notre relation avec la nature (17 votes)
- Le niveau de tension sociale & les inégalités (10 votes)
- La nature des politiques publiques (8 votes)
- Le niveau de participation citoyenne (7 votes)
- Le niveau & l’allocation des fonds publics (7 votes)
- Le niveau de tension géopolitique internationale (5 votes)
- Le niveau de digitalisation (5 votes)
- La capacité de production locale & dépendance extérieure (5 votes)
- Le niveau de liberté d’expression & manifestation (5 votes)
De là, notre facilitateur externe Alain Wouters (Whole Systems) a demandé au groupe d’identifier – à travers des discussions – les forces motrices qu’ils.elles considéraient comme des incertitudes clés (des variables, des facteurs incertains dans l’horizon temporel défini (2035-2040)). L’identification de ces forces motrices et incertitudes clés a permis au groupe de commencer à élaborer des scénarios. Cet exercice se traduit par le développement d’une histoire, du présent au futur, qui décrit comment les variables identifiées évoluent dans le temps. A travers le 1er atelier, les participant.e.s ont pu déposer des questions pour une recherche future dans un ‘parking’. Cette recherche intermédiaire sera effectuée entre le 1er et le 2e atelier. Dès lors, voici un récapitulatif d’où nous venons, et où nous allons au sein de ce projet :
Le 2e atelier aura lieu le 21 septembre. Personnellement, j’ai déjà hâte d’y être ! En attendant, je vous invite à découvrir les nombreuses ressources dans le document « La « suffisance » : kesako ? » :
… Et la suite arrive en octobre 2024 !
Cordialement,
Nina S.
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- Voir le Décret du 27 juin 2013, modifié le 30 avril 2019 en « Décret relatif à la stratégie wallonne de développement durable et aux thématiques de transition en émanant »
- Breucker, F. and Defard, C. (2023). Report on the comparative analysis of sufficiency policies: Fundamental decarbonisation through sufficiency by lifestyle changes. Jacques Delors Institute, Fulfill Report D5.2, 1-166. Lien URL. Consulté le 29 mai 2024
- Page 1 : (IPU) Inter-Parliamentary Union (2019). Les nuances du vert: présentation du concept d’économie verte à l’intention des parlementaires. Genève : IPU. Lien URL. Consulté le 29 mai 2024.
- Page 20 : Cézard, F. et Mourad, M. (2019). Panorama sur la notion de sobriété – définitions, mises en œuvre, enjeux (rapport final). ADEME – Agence de la transition écologique, 1-52. Lien URL. Consulté le 6 juin 2024.
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- Page 4 : Le Tripode (ed.) (2024). “Façonner les mondes d’après – Dialogue entre Hadrien Klent et Timothée Parrique”. Dans : H. Klent et A. de Chalus (eds) La Gazette de la paresse : Manifeste éphémère pour une vie plus simple, Le Tripode, 3-7. Lien URL. Consulté le 4 juin 2024