La vignette, petit bout de la lorgnette fiscale

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Vignette : les débats relatifs à la fiscalité automobile se cristallisent aujourd’hui sur ce concept en apparence très simple et sur les aspects pratiques de sa mise en œuvre. Au risque d’en venir à considérer ladite vignette comme une panacée fiscale, de négliger la complexité du système automobile et de se priver d’autres leviers d’action fiscaux propres à en limiter les incidences indésirables.

Une Carte Blanche parue dans le journal L’Echo le 15/10/2024.

Les gouvernements flamand et wallon semblent d’accord sur le principe de mise en œuvre d’une vignette automobile – et même sur l’option d’une vignette électronique. Formidable : on avance ! Certes … mais vers où ? Et sur quel échiquier ? Une prise de recul est aujourd’hui indispensable pour permettre à la vignette de porter tous ses fruits sans se priver de ceux d’autres outils fiscaux complémentaires. Cette complémentarité ne peut se comprendre qu’en replaçant la vignette à sa juste place dans le système de mobilité. Celui-ci peut schématiquement – dans son volet automobile – être structuré en trois pôles : un, les véhicules (et leurs caractéristiques) ; deux, les infrastructures (et leur entretien) et trois, les comportements des automobilistes.

Cette structure tripolaire est classiquement utilisée pour bâtir les politiques intégrées de sécurité routière. Elle peut remplir les mêmes fonctions en matière de fiscalité automobile, sachant que celle-ci fait partie des outils dont disposent les pouvoirs publics pour atteindre les objectifs qu’ils se fixent en matière de mobilité durable.

  • Si les normes relatives aux véhicules sont définies au niveau européen, les pouvoirs publics des Etats membres peuvent aider les automobilistes à choisir des véhicules désirables d’un point de vue sociétal, c’est-à-dire ceux produisant le moins d’incidences négatives. Les taxes liées à l’achat (en Belgique, la taxe de mise en circulation ou TMC) ont démontré leur efficacité à cet égard, comme l’illustre l’étude de benchmarking réalisée par Canopea.
  • Pour ce qui est des infrastructures dédiées aux voitures (et camions), les principaux objectifs des pouvoirs publics sont aujourd’hui d’en limiter l’usure et de dégager les budgets nécessaires à leur amélioration et leur entretien. On distingue deux types d’outils fiscaux spécifiques : soit une somme forfaitaire, soit une somme proportionnelle à l’intensité de l’utilisation du réseau. Côté forfaitaire, on trouve d’une part les taxes liées à la possession (en Belgique, la taxe de circulation annuelle ou TC), généralement calculées sur base des caractéristiques des véhicules qui déterminent leur impact sur les infrastructures et d’autre part les droits d’usage (somme due pour rouler sur une infrastructure durant une période donnée). Côté proportionnel, on trouve les péages (comme sur les autoroutes françaises) dont les montants dépendent du type de véhicule et augmentent avec les kilomètres roulés – et donc avec l’usure infligée à l’infrastructure.
  • L’action publique sur les comportements se fait classiquement via les accises sur les carburants : plus on roule (vite), plus on paie, ce qui peut inciter à rouler plus calmement et à rationaliser ses déplacements – voire les limiter. L’alternative, non appliquée pour les voitures mais bien pour les poids lourds dans de nombreux pays, consiste en un prélèvement kilométrique. Sur base d’une analyse de 20 ans d’application de cet outil en Suisse, il apparaît qu’il permet d’infléchir (un peu) les comportements tout en alimentant les budgets requis pour développer les alternatives à la route.

Ce dernier point est important : la fiscalité a aussi – et il n’y a là aucune infamie, que du contraire ! – une fonction budgétaire. En Belgique, selon les données de la BNB, les accises sur les carburants ont généré 5,9 milliards d’euros de recettes en 2023, soit un peu plus de 7 milliards en comptant la TVA. Pour ne pas simplifier les choses, l’électrification du parc automobile va induire un tarissement progressif de ces rentrées fiscales, point sur lequel Canopea sensibilise les autorités depuis plusieurs années.

Le tableau ne serait pas complet sans souligner que le lobby automobile, qui cherche depuis longtemps à faire supprimer la fiscalité à l’achat (en la confondant sciemment avec la fiscalité à la possession), entend tirer parti des discussions actuelles pour arriver à ses fins. Pieter Timmermans, CEO de la FEB, relayait ainsi le message dans une interview récente, exigeant « la suppression des taxes liées à la possession du véhicule dès lors qu’on introduit un prélèvement lié à son utilisation »[1].

Enfin, la volonté de faire contribuer tou·te·s les automobilistes, Belges et non Belges, à l’entretien du réseau routier risque, sous couvert de la recherche d’une forme de « justice sociale », de faire oublier d’autres injustices, plus fondamentales peut-être. Dont celle-ci : un véhicule plus lourd est non seulement plus dangereux mais également plus dommageable pour l’infrastructure. Le dommage étant proportionnel à la quatrième puissance de la charge par essieu, une voiture de 2 tonnes abîme 16 fois plus la route qu’une voiture d’une tonne…

Le risque est grand aujourd’hui de voir les gouvernements se lancer bille en tête dans une réforme de la fiscalité automobile centrée sur la vignette. Sans mise en perspective, sans vision claire de la mobilité durable à laquelle on tend, sans stratégie intégrée. L’outil fiscal n’est qu’un des outils dont disposent les pouvoirs publics pour mettre en œuvre une telle stratégie, à côté des outils normatifs, réglementaires, de planification … La vignette n’est elle-même qu’un des outils fiscaux énumérés ci-dessus, qui n’exprimera son plein potentiel qu’en synergie avec d’autres outils, dans une logique de complémentarité et non d’exclusion, notamment vis-à-vis de la TMC. Il est dès lors urgent de définir une stratégie fiscale de mobilité durable dans laquelle les outils fiscaux jugés les plus pertinents seraient optimisés pour atteindre des objectifs spécifiques complémentaires. Sans exclusive, sans dogmatisme.


[1] Le Soir du 03/10/2024