En conditions réelles, une voiture « moyenne » (qui pèse un peu moins de 1,5 tonne) consomme environ 6,5 l/100 km, soit 4,33 litres pour transporter une tonne sur 100 kilomètres. Un camion de 40 tonnes consomme environ 35 l/100 km, soit 0,875 litre par tonne. La consommation d’énergie par tonne transportée est donc environ 5 fois plus élevée pour une voiture que pour un camion. De plus, l’efficacité énergétique des poids lourds est encore loin de l’optimum : aux USA, un programme de recherches sur 5 ans piloté par Daimler a permis de mettre au point un « super truck » consommant 19,3 l/100 km.
Une rapide comparaison avec les performances énergétiques des camions permet de percevoir à quel point les voitures actuelles constituent de véritables gouffres énergétiques – et de prendre conscience que diviser par 2 à 3 les consommations énergétiques des voitures est tout à fait possible. Une telle amélioration impliquerait toutefois de tourner le dos à la voiture symbole de puissance, marqueur de réussite financière, objet suréquipé, incarnation de rêves sinon de fantasmes suscités par l’industrie pour suivre la voie de véhicules simples, répondant à la fonction première d’un véhicule automobile, à savoir : transporter quelques personnes sur le réseau routier à des vitesses de quelques dizaines de kilomètres par heure.
Dans une communication présentée lors d’une conférence de l’OCDE en 2000, Jean Delsey, de l’Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité (INRETS, France), inventoriait les solutions technologiques pour améliorer l’efficacité énergétique des véhicules. Sur base d’une analyse de sensibilité relative aux différents paramètres intervenant dans l’équation du mouvement, il recommandait d’agir sur : (1) l’amélioration de l’efficacité des moteur et de la transmission, (2) la réduction du poids des véhicules, (3) la réduction de la résistance aérodynamique et (4) la réduction de la résistance au roulement.[[DELSEY J. 2000. Recent and future trends for CO2 emissions by road transport: Technological solutions to increase fuel economy for passenger cars and trucks. In OECD. 2001. International science and technology co-operation – Towards sustainable development- Proceedings of the OECD Seoul Conference. Paris: OECD Publishing, p. 195-205.]]
Dédicaçant la majorité de leurs efforts à l’amélioration des motorisations, les constructeurs ne remettent nullement en question le modèle actuel. Ce qu’ils gagnent sur l’efficacité des moteurs, ils le perdent en augmentant la masse, la vitesse de pointe et la puissance des voitures tout en dégradant leur aérodynamisme. Ainsi, la masse moyenne des voitures neuves vendues en Europe a augmenté de 33% en 25 ans, passant de 1.044 kg en 1990 à 1385 kg en 2015. Par ailleurs, les profils « carrés » se sont généralisés : toutes les marques proposent aujourd’hui des modèles dont le design est inspiré de celui des « 4X4 ». Ce qui détériore l’aérodynamisme et nuit à la sécurité routière. Enfin, la puissance moyenne des voitures neuves vendues en Europe a augmenté de 52% en 25 ans, passant de 61 kW en 1990 à 93 kW en 2015. Toujours plus lourdes, puissantes et rapides, les voitures requièrent des châssis et suspensions surdimensionnés par rapport à ce qui est nécessaire pour circuler en sécurité sur le réseau routier en respectant les limites de vitesse. Pour assurer la tenue de route à des vitesses de l’ordre de 200 km/h (ce qui est totalement inutile), il faut également équiper les voitures de pneus plus larges, ce qui augmente la résistance au roulement.
Ces évolutions sont loin d’être anodines. Augmenter la puissance d’un véhicule permet d’accroître sa masse tout en conservant le même comportement dynamique (capacités d’accélération) ; cela permet également d’augmenter sa vitesse de pointe. Les trois facteurs (puissance, masse, vitesse de pointe) sont donc liés. Et comme le soulignait la CEMT (Conférence européenne des ministres des transports) en 1991 : « Les moteurs et les transmissions tant des véhicules légers que des véhicules lourds sont conçus pour supporter les contraintes de fortes accélérations et d’une vitesse de pointe élevée. Dans les conditions réelles d’utilisation, beaucoup de véhicules fonctionnent à un régime très défavorable du point de vue de la vitesse de rotation et de la charge du moteur. La consommation spécifique de carburant et les émissions spécifiques sont par conséquent supérieures, dans des proportions pouvant atteindre 30 à 40 pour cent pour les voitures particulières, de ce qu’elles seraient si les véhicules et les capacités de leur moteur étaient adaptés aux conditions réelles de conduite. »[[CEMT. 1992. 38e Rapport Annuel – 1991. Activité de la Conférence. Résolutions du Conseil des Ministres des Transports et Rapports en approuvés en 1991. Paris : OECD Publishing, p. 144]] Pour le dire plus simplement : un véhicule dimensionné pour rouler à 200 km/h consommera plus, en conditions normales d’utilisation, qu’un véhicule dont la conception ne permet pas de dépasser 150 km/h.
La surconsommation induite par les « performances » dynamiques se vérifie sur les modèles actuels, comme il apparaît au tableau ci-dessous qui présente les caractéristiques de trois versions de la Volkswagen Golf VII (essence). La différence de consommation entre la version la plus et la moins puissante est plus importante en cycle urbain (54%) qu’en cycle extra urbain (41%).
Delsey soulignait en 2000 que cette surconsommation est présente à toutes les vitesses. Il rapportait les résultats d’essais durant lesquels les consommations de carburant de deux versions d’une même voiture avec des vitesses de pointe de respectivement 162 et 196 km/h avaient été mesurées à vitesse constante. Le modèle le plus rapide consommait entre 1 et 2 l/100 km de plus sur l’ensemble des vitesses testées, soit de 40 à 160 km/h.
Les trois modèles de Golf VII du tableau ci-dessus ont des rapports puissance/masse de respectivement 55, 125 et 158 kW/t. La valeur moyenne relative aux véhicules neufs vendus en Europe en 2015 est de l’ordre de 67 kW/t. Le moteur d’un camion de 40 tonnes développe généralement une puissance de l’ordre de 460 chevaux, soit environ 340 kW. Le rapport puissance/masse est donc proche de 8,5 kW/t : huit fois moindre que celui d’une voiture moyenne – et 24 fois moins que certaines berlines sur-motorisées (BMW série 7, Mercedes classe S). Certes, par rapport aux comportements dynamiques des véhicules auxquels nous ont habitués les constructeurs, les accélérations d’un 40 tonnes à pleine charge peuvent sembler poussives. Ce qui n’est jamais qu’une perception subjective.
Sans même viser les 8,5 kW/t des camions, toute réduction du rapport puissance/masse des voitures permettrait d’apaiser le trafic, de réduire l’insécurité routière (et toute la souffrance qu’elle génère) et de diminuer la consommation énergétique (donc la pollution). Le prix à payer : un moindre « plaisir » pour celles et ceux qui en éprouvent lorsqu’ils sentent un déchaînement de puissance répondre à la pression de leur pied droit. Tant que nos rapports à l’automobile resteront aussi déraisonnables qu’ils le sont à l’heure actuelle, améliorer réellement l’efficacité énergétique des voitures demeurera une gageure.