De mémoire d’aménagiste, on n’avait jamais vu autant de monde dans la pataugeoire. Aujourd’hui, un avis sur l’utilisation du territoire wallon est sollicité. Hier, il s’agissait de réfléchir aux conséquences (pardon, aux impacts!) de tel et tel facteur sur la Wallonie du futur. Demain, un workshop de stakeholders confrontera leurs points de vue respectifs sur la parcimonie – à moins que ce soit leur Point of View. Dans quelques semaines, des communications officielles sur les résultats intermédiaires de l’évaluation du CWATUPE seront organisées. Pendant ce temps, le bouillon de réflexion sur la révision du SDER a aussi commencé à mijoter. Inutile de vous dire que les professionnels du secteur volent de raout en colloque. Et le commun des citoyens? Et les CCATM? Oh, mais personne ne les oublie! Les Ateliers du territoire sont là pour ça!
Avec Les Ateliers du territoire, tout va par deux. C’est à la fois du réel et du virtuel : il y a un site Internet et des rencontres citoyennes. L’administration régionale et le Ministre Henry proposent conjointement la démarche. L’objectif est autant de récolter des opinions que de sensibiliser et de faire évoluer les mentalités – autrement dit, de modifier les opinions. Enfin, deux adversaires sont désignés : les défis du 21e siècle et le grand public. La Fédération Inter-Environnement Wallonie félicite le Ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement d’avoir opté pour une consultation à laquelle rien ne l’obligeait; elle s’interroge cependant sur la méthode utilisée pour parvenir à diffuser son message.
L’aménagement du territoire, ça vous regarde !
Sous le slogan « L’aménagement du territoire, ça vous regarde ! », un garçonnet trace à l’envers et à la craie des dessins colorés. Que dessine-t-il ? Une voiture jaune, un garçon, une fille, un bonhomme plus massif en bermuda. Un vélo asymétrique et bleu, des maisons bleues, encore, dont les vitres sont blanches et hachurées à l’identique. Si l’aménagement du territoire nous regarde tant que ça, le garçonnet, lui, garde les yeux baissés. Peut-être est-il gêné d’avoir dessiné une si grosse voiture ? Ou plutôt, de ne pas l’avoir dessinée lui-même ! Ceci n’est pas la photo en contre-plongée du très jeune successeur de Georg Baselitz[[Peintre allemand né en 1938, célèbre pour sa méthode d’inversion, où le sujet est peint « tête en bas ». Il aurait d’ailleurs dit : « La réalité c’est l’image, ça n’est pas ce qui est dans l’image ».]] , peu s’en faut. Pourquoi une telle mise en scène ? La réponse qui s’impose est : « parce que c’est la mode ». A moins d’avoir dormi sous les ponts depuis deux ans, votre boîte aux lettres vous livre gratuitement chaque semaine des dizaines de courriers de tous bords affichant ce genre d’illustration. La fausse spontanéité qui sent le bureau de communication ne pouvait s’entendre avec un aussi bon slogan, ni avec les attentes de ceux qui, en tant que professionnels ou en tant qu’amateurs bénévoles, se passionnent pour l’avenir de notre patrimoine commun.
Le site propose de prendre part aux ateliers du territoire organisés depuis mai un peu partout en Wallonie, et de participer à une enquête en ligne, l’un n’excluant pas l’autre.
La première option se décline en « Ateliers citoyens près de chez vous », « Conférences-débats près de chez vous », et « Événements professionnels ». Les Maisons de l’Urbanisme ont été chevilles ouvrières de ce déploiement. La tournée va bientôt s’achever, après quatre mois de visites de proximité où le Ministre de l’Aménagement du Territoire a pris la température locale. Plusieurs ateliers citoyens auront encore lieu cet automne, mais à bureau fermé, vu le succès des inscriptions. Via le lien vers l’agenda complet, vous constaterez qu’il reste des places pour assister à un round d’événements professionnels, en Ostbelgiën. Dommage qu’aucun atelier citoyen ne soit prévu à Eupen, car le Ministre aurait pu y entendre ces fameux citoyens lui parler des « enjeux » qui influencent leur vie quotidienne. A savoir, comme partout, la mobilité, la cohabitation des fonctions, la hausse des valeurs foncières, vus depuis un coin de Belgique où ces questions prennent un tout autre accent qu’à Braine-le-Comte, Rosières ou Tilleur. Profitant de l’intimité de la rencontre, lui auraient-ils dit, comme d’autres l’ont fait ailleurs en Wallonie, que l’opération tout entière, malgré ses intentions louables, leur semblait reposer sur une grossière opposition ville-campagne?
« Participer en ligne » est la seconde option offerte sur le site des Ateliers. Elle se décline en deux actions : visiter un forum plutôt clairsemé mais assez intéressant, et répondre à des questions fermées, sous la forme d’un questionnaire à choix multiple. Multiple, mais néanmoins très restreint. Dès la page d’identification, le gars de vingt-deux ans qui vit chez ses parents et n’a lui-même pas d’enfant, ne se reconnaîtra dans aucune des possibilités proposées par le site. En fait, s’il avait lui-même des enfants, ça ne conviendrait toujours pas. Celui ou celle qui répond doit obligatoirement se trouver dans un des cas de figure suivants :
Personne seule
Personne seule avec enfants
Marié ou en couple avec enfants
Marié ou en couple sans enfant
Vous remarquerez qu’il n’y a pas « avec parents ». Ni « avec amis ». Vous remarquerez aussi que tout en étant seul, le répondant peut éventuellement vivre avec des enfants, mais qu’ils sont trop petits, puisqu’ils n’arrivent pas à le rendre moins seul. Curieux, pour un questionnaire basé sur le livret « Lignes de forces de l’aménagement du territoire », où sont promues la densité, l’intergénérationnel et les solutions de logement à géométrie variable. Tout à fait paradoxal, même.
Au long du questionnaire, ce paradoxe se répète; la réalité souhaitée par les autorités wallonnes apparaît en grosses lettres dans les propositions, mais son existence actuelle n’est jamais reconnue dans les questions. Autre problème méthodologique, les choix n’incluent ni un « je ne sais pas », ni un « aucune de ces propositions ne me convient ». Pas non plus d’espace réservé à une production personnelle du répondant. Concernant le fond, ironie du sort : l’actualité récente est venue gripper la belle mécanique sur laquelle repose le raisonnement du livret et du questionnaire. Par son programme d’investissement, la SNCB, partenaire historique des autorités territoriales, contredit la possibilité d’un report modal vers le train. Il ne restera bientôt plus que quelques gares en Wallonie; plusieurs tronçons vont être mis hors-service. Cela fait froid dans le dos. Le questionnaire remis à jour pourrait proposer le choix multiple suivant :
Avec la disparition de nombreuses gares, quel sera désormais un bon endroit pour acheter des tickets de voyage?
En ligne
En librairie
Dans un night-shop
Dans ma grande-surface de proximité
Voilà le monde où nous vivons[[La SNCB n’est pas la seule à se désolidariser. Certaines institutions prennent le large après être restées envers et contre tout mêlées aux agglomérations qu’elles servent. Dernier exemple en date, un conglomérat d’hôpitaux chrétiens, centré sur le quartier Sainte-Marguerite à Liège, projette de se téléporter à Glain, au c½ur de l’échangeur autoroutier, là où personne n’avait encore réussi à concrétiser l’idée de s’installer depuis le temps des charbonnages. Si, à vol d’oiseau, Glain n’est loin de rien, l’accessibilité piétonne est un calvaire et le restera. Le prétexte ici, ce ne sont pas les économies, mais le parking! On croit cauchemarder.]]!
Avec les meilleures dispositions, nous avons tenté de répondre au questionnaire dès la fin avril, puis avons dû nous avouer vaincus par l’absurde. Cela n’enlève rien aux qualités des objectifs des Ateliers du territoire :
« Sensibiliser le grand public aux défis du 21ème siècle, à leurs conséquences en termes de gestion du territoire et à l’impact des comportements individuels
Renforcer le lien entre l’autorité publique et la population
Aider l’autorité publique à prendre les mesures les plus appropriées, pour répondre aux défis
Faire évoluer les « Lignes de forces de l’aménagement du territoire »
Réorienter la philosophie de la législation (CWATUPE)
Identifier des mesures à mettre en oeuvre, dans le cadre de l’actualisation du Schéma de développement de l’espace régional (SDER) »
Sur la même page du site est affiché un condensé des intentions partagées par le Ministre et l’administration régionale : « Concrètement, les autorités wallonnes souhaitent connaître votre avis sur l’avenir de notre espace de vie commun, et sur la meilleure manière de l’organiser. »
Une telle déclaration aurait dû s’accompagner d’un espace libre, où chaque citoyen se serait fendu d’une dissertation sincère autant qu’anonyme. En lieu et place, il dispose d’un questionnaire limité et limitant. Est-ce pour permettre un dépouillement plus rapide des réponses? Certainement. Ces réponses, que diront-elles de la Wallonie? Elles diront ce que les concepteurs du questionnaire voulaient entendre. Pour le reste, il y aura sans doute des dizaines de questionnaires perdus dans la voie lactée du Net, interrompus pour cause d’énervement précoce. Il y aura aussi des invalides et des nuls, car entachés de contradictions que l’ordinateur jugera irréconciliables.
Confusion entre consultation pure et information à propos d’une politique ?
Notre in-satisfecit a rencontré, de manière informelle et non-sollicitée, le ressenti de plusieurs de nos associations, de nos relais locaux et de membres de CCATM qui ont souhaité nous faire part de leurs impressions. Celles-ci, exprimées sur un ton bougon, faisaient suite à leur tentative de répondre au questionnaire mais, plus souvent encore, à la tenue d’un atelier ou d’un « événement professionnel » dans leur commune. Il est regrettable qu’à l’image de l’évaluation du CWATUPE, qui a été proposée aux CCATM et aux groupements d’intérêts défendant l’environnement, ce qui ressort des témoignages fait état d’une déception sur la méthode, et non sur le message de fond. La consultation liée au CWATUPE a eu en sus le malheur de tomber en pleine période de congés annuels, quand la plupart des comités et commissions levaient le pied. Dans un cas comme dans l’autre, à force de vouloir préparer les mentalités au lieu d’être à l’écoute de ce qui se fait déjà, le prisme de lecture des autorités a été déformé. En résumé, brusque et global, ce type de consultation s’impose à notre territoire comme un moule à biscuits sur des poireaux étuvés.
Cette nIEWs ne veut pas vous empêcher de verser votre contribution dans la grande manne à opinions des Ateliers du territoire. Bien au contraire! Tenez bon, postez votre avis, et si vous échouez, n’hésitez pas à participer au forum, voire à envoyer un texte libre au Ministre de l’Aménagement du territoire et à la DGO4. Nous sommes garants qu’il sera bien reçu.
En savoir plus… ou en faire plus!
Nous vous invitons à découvrir notre enquête « Made in IEW » parue dans la Lettre des CCATM. Elle est orientée sur les perceptions et le vécu. Nous serions heureux de connaître votre opinion, même si vous n’êtes pas membre de commission.
Deux formations à l’aménagement du territoire, tout prochainement à votre portée : la formation longue de ces 22 et 23 septembre (deux jours d’aménagement à Mons) et la matinée de formation du mercredi 16 novembre (le PCAR, ou Plan Communal d’Aménagement Révisionnel, à l’Arsenal de Namur). Renseignements et inscriptions auprès de Sabine Rouard : s.rouard@iewonline.be
Le poster «Autant en emporte le territoire » et son jeu de l’habitat éparpillé sont à votre disposition. Une face est un « jeu de l’oie » dont les règles révèlent au fil des cases les impacts connus et moins connus des lotissements éparpillés dans la campagne wallonne. L’autre face présente, sous forme de textes courts et de gags façon dessins de presse, les conséquences désastreuses du phénomène.
Extrait de nIEWs n°96 (du 15 au 28 septembre),
la Lettre d’information de la Fédération.
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