Les inondations du mois de juillet en Wallonie ont marqué d’une pierre noire cet été 2021. Dans les rues les plus touchées, les portes d’entrées sont une à une barricadées par des planches en bois et les panneaux « à vendre » se multiplient. Même si le traumatisme est aujourd’hui encore bien présent, prenons un moment pour mettre les choses en perspective et réfléchir à la place que nous sommes prêts à accorder à l’eau.
Les inondations sont des phénomènes naturels, bénéfiques pour la biodiversité, la fertilité des sols et le maintien de nombreux écosystèmes. Il est normal qu’une rivière occupe de temps à autres son lit majeur. Alors pourquoi sommes-nous si surpris ? La cause profonde de la désolation de ces derniers mois n’est pas seulement un évènement pluvieux particulièrement important. C’est aussi le résultat de décennies d’artificialisation de nos sols. En grignotant toujours plus d’espace sur nos cours d’eau et en les cloisonnant entre deux murs de béton sur tout leur cours, on fait pire que mieux.
Notre gestion du paysage – Ou comment ne pas transformer chaque grosse pluie en inondation ?
La Wallonie met à disposition de tous les citoyens une cartographie de l’aléa d’inondation qui couvre tout le territoire. Cette carte est disponible sur WalOnMap, le portail cartographique de la Wallonie. Les cartes de l’aléa d’inondation sont définies sur base de la période de retour d’un débit mesuré dans la rivière. La période de retour correspond à la probabilité d’observer un tel débit dans la rivière, à une fréquence donnée. Ainsi, si un débit a une période de retour de 25 ans, cela veut dire que chaque année, on a une chance sur 25 d’observer un tel débit dans la rivière. L’augmentation de débit dans une rivière est lié à un évènement pluvieux, qui a lui aussi une période de retour. De la même manière, si un évènement de pluie a une période de retour de 25 ans, ça veut dire que chaque année, on a une chance sur 25 d’observer une telle drache.
Par comparaison, la période de retour des pluies du mois de juillet a été estimée à 300 ans. Elles étaient exceptionnelles particulièrement par leur durée plutôt que par leur intensité1.
La période de retour d’un évènement pluvieux d’une part, et la période de retour d’un débit dans la rivière d’autre part ne sont pas forcément liées. Une pluie d’une période de retour de 25 ans ne génère pas une crue d’une période de retour de 25 ans. En effet, une même pluie peut avoir des effets différents sur l’augmentation du débit. Cela va dépendre de l’historique des précipitations dans les derniers jours d’une part (le sol est-il déjà saturé?) et de la résilience du territoire face à ces pluies d’autre part. En cas de forte pluie, il est important de favoriser l’infiltration et limiter le ruissèlement dès l’amont du bassin versant en réhabilitant des zones de stockage tampon et en ralentissant les écoulements. Cela passe aussi par une modification des paysages agricoles, par la re-création d’un réseau de haies, par le maintien des zones humides en tête de bassin (illustration Figure 1). Ces mesures, qui doivent devenir des réflexes, sont indispensables pour limiter les dégâts d’inondations chez nous, mais sont aussi bénéfiques pour la biodiversité. Dix propositions de solutions nature-based pour rendre notre territoire résilient face aux inondations sont présentées dans notre manifeste NO NATURE NO FUTURE, co-écrit avec Natagora et le WWF.
Cartographie des zones d’aléa d’inondation – ou pourquoi chaque commune de notre territoire est concernée ?
Pour générer les cartes d’aléa d’inondation, on utilise des modèles hydrauliques qui sont alimentés sur base de l’historique des débits en Wallonie, de la topographie, des observations de terrains,… et qui donnent, pour chaque période de retour, les zones qui pourraient être inondées et les hauteurs d’eau probables. La carte d’aléa d’inondation combine ces informations pour certaines périodes de retour (25, 50 et 100 ans), et 4 classes d’aléa peuvent ainsi être définies : Très faible – Faible – Moyen ou Elevé en fonction de la récurrence des phénomènes d’inondation dans la zone et des hauteurs d’eau attendues2. La carte ci-dessous montre un exemple de carte d’aléa inondation. Les plus hydromorphes d’entre nous auront reconnu la boucle de l’Ourthe à hauteur de la Roche aux Faucons.
Les inondations ne sont pas qu’un problème de fond de vallée. L’ensemble du territoire est concerné par des risques d’inondations, soit par débordement, soit par ruissèlement. En effet, sur les 20 dernières années, TOUTES les communes wallonnes ont connu au moins un évènement d’inondation significatif 3. En fait, 10 % de notre territoire est situé en zone d’aléa d’inondation au moins très faible (1637,8 km²).
C’est-à-dire que chaque année, cette proportion de notre territoire a au moins une chance sur 100 d’être inondée. Tout le reste du territoire, non couvert par la carte d’aléa, est également susceptible d’être inondé, mais a priori, à une fréquence plus basse que 100 ans. Avec les changements climatiques, des épisodes pluvieux pouvant entraîner une telle crue vont s’intensifier.
Ainsi, bien que ces cartes aient l’avantage de servir de bonne base d’information en matière d’aménagement du territoire, elles ont un défaut majeur: elles ne prennent pas encore en compte les changements climatiques.
En effet, elles sont réalisées sur base de données historiques. Il n’y a que dans les vallées de la Meuse et de la Vesdre que, pour considérer une possible évolution de la pluviométrie, on a considéré des évènements extrêmes en majorant de 30% les débits centenaux. Au vu des modifications de régimes pluviométriques engendrés par les changements climatiques, ces cartes risquent de vite se retrouver obsolètes. Or, des modèles qui prennent en compte ces changements dans les précipitations existent en Wallonie (Modèle MAR, développé au sein du laboratoire de Climatologie de l’ULiège). Ne devrions-nous pas baser nos cartes sur les pluies futures, plutôt que sur celles du siècle passé ?
Rivières et aménagement du territoire – Ou pourquoi 14 % de la population vit en zone d’aléa d’inondation ?
Depuis toujours, le développement de villes et villages s’est fait près des cours d’eau. Présence de terres planes et fertiles, proximité d’un vecteur de transport et d’une source d’énergie permettant le développement de l’industrie, les raisons justifiant le choix de cette localisation idéale sont nombreuses. Peu à peu, les rivières, qui servaient alors également de réseau d’égout, se sont vues canalisées. Raisons sanitaires, drainage des sols marécageux pour l’extension des villes, protection du bâti, les raisons de cette canalisation sont nombreuses. Les villes et villages ont alors pu s’étendre tranquillement, à l’abri des débordements capricieux de la rivière.
Ce développement historique de nos villes et villages le long des cours d’eau explique pourquoi la densité de population est plus élevée en zone d’aléa d’inondation que sur le reste du territoire : 319 hab/km² en zone d’aléa au moins faible, contre 216 hab/km² en moyenne en Wallonie. Ainsi, aujourd’hui 14 % de notre population vit en zone d’aléa, soit 523 674 habitants 4. Un bâtiment vulnérable (écoles, hopitaux, maisons de repos,…) sur dix se trouve en zone d’aléa. Par ailleurs, une étude portant sur la province de Liège conclut que les habitants les plus exposés aux risques d’inondations sont issus de milieux socio-économiques plus défavorisés. En classant la population en 5 classes soci-économiques (de 1 – les plus pauvres à 5 – les plus riches), l’étude montre que les classes 2 et 3 sont globalement les plus exposées, bien qu’il y ait une variabilité sur le territoire (plus de personnes de classes 4 et 5 exposées dans la région de Waremme que dans celle de Liège, par exemple).
Urbanisation en zone d’aléa – Ou comment sauvegarder la capacité de stockage de l’équivalent de 4 barrages d’Eupen ?
En Wallonie, 16% du territoire est destiné à l’urbanisation au plan de secteur. La liste de ces zones est reprise ici:
75 % de nos zones constructibles ont déjà été construits. Il reste 25 % pouvant encore l’être. Il s’agit de ZACC (zones d’aménagement communal concerté) d’une part (21 641 ha ) et des zones d’habitats non encore construites d’autre part (45 879 ha ). Ces zones représentent donc une surface totale de 67 520 ha.
Il est intéressant de croiser la répartition de ces “zones à bâtir” avec la carte d’aléa d’inondation. Pour la Roche aux Faucons, cela donne la carte ci-dessous.
Ainsi, en Wallonie, 9,7 % de ces 67 520 ha destinés à l’urbanisation mais pas encore construits sont situés en zone d’aléa 5. Cela veut dire qu’en zone d’aléa, plus de 6500 hectares supplémentaires sont prévus pour être urbanisés. Soit, potentiellement, 20 000 habitants supplémentaires vivant en zone d’aléa, en considérant la densité de population moyenne actuelle dans les zones inondables de 319 hab/km².
Nous héritons d’une situation complexe, et, bien qu’il soit très facile d’artificialiser un sol (augmentation de 40% des surfaces urbanisée en 30 ans 6, il est nettement plus compliqué de le renaturer. Ces 6500 ha situés en zone d’aléa doivent être épargnés. Un objectif bien aligné avec l’objectif européen de “Not NET Land Take 2050”, que le Gouvernement Wallon a repris dans sa Déclaration de Politique Régionale. Sans qu’aucune mesure concrète n’ait encore été avancée.
De telles zones jouent le rôle de zone d’expansion de crue naturelle, un rôle essentiel permettant d’écrêter le pic de débit observé lors d’une crue en stockant temporairement un certain volume d’eau, à l’image du rôle des barrages.
Si on maintient ces 6500 ha intacts, et que leur disposition topographique permet de stocker, comme sur l’exemple de la Figure 3, de l’eau sur 1,5 m de hauteur (hauteur d’eau observée dans plusieurs endroits lors des inondations de juillet), cela correspond à 97,5 Mio de m³ d’eau pouvant être stockés lors d’une crue… Soit la capacité de 4 barrages d’Eupen !
Le mythe des digues – Ou pourquoi dresser un mur n’a jamais été la solution à un problème ?
Agathe, t’es folle, tu voudrais qu’on arrête de construire en zone inondable ? Alors qu’il suffit de mettre une digue pour protéger les habitations ?
Fausse bonne idée. Les ouvrages de protection, lors de leur construction, sont dimensionnés pour contenir les crues d’une période de retour donnée. Les murs du centre de Liège par exemple, sont majoritairement dimensionnés pour contenir la Meuse lors de crues d’une période de retour de l’ordre de 300 ans (on a vu que certaines d’entre elles qu’elles ont frôlé leurs limites en juillet 2021). Mais d’une part, ces dimensionnements sont statistiques et donc pas infaillibles, et d’autre part, la fréquence des phénomènes de crue va s’accélérer. Les digues verront ainsi leur capacité plus souvent dépassée. Et c’est là le risque caché de ces ouvrages : lorsqu’elles sont dépassées, le débordement de la rivière vers la ville crée plus de dégâts que si la digue n’existait pas. Pour 3 raisons :
- Ces murs constituent un obstacle à l’écoulement. Une même quantité d’eau va devoir s’écouler sur une plus petite surface, ce qui va générer des niveaux plus hauts aux endroits où ils sont présents.
- Une fois le niveau de la digue dépassé, l’eau, canalisée jusque-là, va se déverser d’un coup sur la ville et créer un effet dynamique très brusque.
- Les habitants protégés par ces digues de tous les petits phénomènes de crues depuis des dizaines d’années perdent la notion du risque et oublient qu’ils sont en zone inondable. Ce phénomène a été très bien mis en évidence lors de la consultation citoyenne qui a suivi les inondations de juillet7. Or, cette conscience du risque est importante pour adopter les bons réflexes en cas d’évènements graves.
Les digues ont donc bien un rôle pour protéger le bâti existant des épisodes pluvieux pouvant provoquer des petites crues régulières. Mais les dimensionner pour protéger nos centres-villes d’épisodes extrêmes reviendrait à dresser des murs de plusieurs mètres de hauts de part et d’autres de nos cours d’eau, sur plusieurs kilomètre, sans certitude aucune qu’ils soient encore assez hauts pour le prochain évènement extrême…
Laisser de l’air à l’eau – Ou comment épargner 230 Mio d’euros sans rien faire ?
Les inondations de juillet ont causé un dommage estimé à 1,6 milliards d’euros (613 Mio couverts par les assurances, 990 Mio couverts par la RW 8), sur un total de 62 440 ménages touchés. Soit une moyenne de 25 600 €/ménage, ou 10 260 €/habitant (2,3 individus par ménages en moyenne). Si davantage de zones sont artificialisées dans les zones d’aléa d’inondation et que 20 000 habitants supplémentaires s’y installent, il est fort probable que le montant des dommages engendrés soit exponentiel, plutôt que proportionnel. Vous commencez à retenir la musique : plus d’artificilalisation, plus de ruissèlement, plus de concentration d’écoulement, plus de dégats. Mais admettons même que ce soit proportionnel, si ces 6 500 ha sont artificialisés, et que 20 000 habitants suplémentaires sont ainsi exposés, les dégats pour un évènement similaire à celui de juillet 2021 pourraient s’élever à 230 Mio d’euros d’euros supplémentaires.
Alors, ces zones, on en fait quoi ? Des parkings, des lotissements et des supermarchés ? Ou on laisse enfin de l’air à l’eau en lui permettant de prendre sa place là où elle le peut encore ?
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- Dewals, B., Erpicum, S., Pirotton, M., Archambeau, P. (2021). July 2021 extreme floods in the Belgian part of the Meuse basin. Hydrolink Magazine, 4.
- https://inondations.wallonie.be/files/documents_a_telecharger/GISER/Alea_risques_m%c3%a9thodo_AGW20210304.pdf
- Projet de Plan de Gestion des Risques d’Inondations 2022-2027
- Rapport sur les incidences environnementales des PGRI : Cycle 2 2022-2027
- Calcul réalisé par superposition entre la superficie d’aléa d’inondation « très faible » et les zones de ZACC au plan de secteur d’une part, et les zones d’habitat pas encore urbanisée d’autre part, via logiciel de cartographie QGis.
- Dossier Stop Béton : le territoire au service de l’urgence climatique et sociale. Hélène Ancion, IEW, 2019.
- Consultation des citoyens affectés par les inondations de juillet 2021 – Projet urbain
- [Inondations] Mesures supplémentaires du Gouvernement wallon (wallonie.be)