Lait : un soutien à valeur-ajoutée

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La crise du lait vient de faire, une fois de plus, la Une de l’actualité. Après avoir arrosé les champs de centaines de litres de lait en 2009 pour interpeller le monde politique, les producteurs ont cette fois déversé leur lait devant les institutions européennes.

Pour mieux comprendre les enjeux propres à la Belgique, nous avons interrogé Erwin Schoepges, vice-Président du MIG, le mouvement des éleveurs laitiers belges.

Quel est, selon vous, le nœud du problème de notre production laitière ?

Aujourd’hui, le prix du lait ne couvre plus les coûts de production, il est descendu les premiers 9 mois de l’année à 26 cents alors que les coûts de production sont de 40 cents. Les coûts ont augmenté de 5 à 6 cents (en 2011), ce qui est notamment dû à l’augmentation du prix du pétrole, de l’énergie et de l’alimentation des vaches. Chez nous, les laiteries transforment le lait principalement en beurre et en poudre qui sont très dépendants du marché mondial. Nous exportons 50% du lait belge. Cette surproduction vient surtout de Flandre. En Wallonie, depuis 4 ou 5 ans nous ne produisons plus autant que notre quota ne nous le permet. L’ Europe exporte entre autres vers l’Afrique grâce aux subventions européennes. Notre lait exporté est du coup moins cher que le lait local et le producteur africain ne peut plus en vivre.

Quelle sont les caractéristiques de la production de lait en Wallonie ?

Nous avons des fermes de 60 à 70 vaches mais la tendance actuelle va vers des exploitations de 200 à 400 vaches. On passe d’exploitations familiales à une agriculture industrielle. L’alimentation du bétail en Wallonie est constituée d’herbe, de maïs, de céréales et de soja. Soja importé dont le prix a explosé. Le maïs et le blé sont aujourd’hui moins disponibles pour les éleveurs car Biowanze en rachète pour produire des agrocarburants. Les éleveurs wallons sont de plus en plus dépendants de produits importés pour nourrir leurs vaches.

Quelles solutions voyez-vous à cette crise ?

La solution ne se trouve pas en Wallonie, mais au niveau européen. Nous avons besoin d’une régulation de la production, d’adapter la production à l’offre et à la demande. Nous plaidons pour une agence de monitoring dans laquelle seront parties prenantes les agriculteurs qui connaissent les coûts de production, l’industrie laitière pour évaluer les volumes de la demande et les consommateurs pour surveiller le marché. Il s’agira pour les consommateurs de veiller à ce qu’un cartel producteurs/laiteries ne s’établisse pas au détriment du prix au consommateur. Cette agence serait couplée avec un encadrement européen chargé de réguler la production : si le prix du marché est trop bas, il s’agira de diminuer la production, s’il est trop élevé, d’augmenter la production.

Vous avez créé ici Faircoop qui regroupe aujourd’hui 500 producteurs de lait, est-ce la solution en Wallonie ?

Si ce n’est pas LA solution, cela permet aux producteurs de recevoir un prix équitable pour le lait vendu sous notre propre marque Fairbel. Tous les producteurs peuvent y participer, nous avons une limitation de prise de parts en capital qui empêche la prise de pouvoir des gros producteurs. Nous demandons à ce que les produits Fairbel se retrouvent dans les hôpitaux et toutes les institutions publiques. Et si actuellement nous n’avons pas de critères environnementaux pour la production du lait vendu sous la marque Faibel, nous l’envisageons à moyen terme.

On le voit, la situation des producteurs wallons dépend fortement de décisions européennes. Agir à ce niveau est donc essentiel : nous devons infléchir les décisions européennes en usant de tout notre poids. Ce poids étant évidemment à relativiser dans une Europe à 27.

Et, pour aller plus loin, ne faudrait-il pas aller vers des systèmes plus autonomes, résilients et écologiques comme certains qui sont déjà dans cette démarche et comme le préconise des experts en France ?

  • Plus d’autonomie des exploitations pour l’alimentation des vaches notamment en valorisant davantage les pâturages et les fourrages produits sur l’exploitation. Ce sont les conseils donnés par les professionnels du secteur en France. C’est aussi ce qui explique les faibles coûts de production en Irlande, bien que le climat favorable y participe également. Cela permet d’être moins dépendants d’aliments concentrés dont les prix élevés s’expliquent notamment par le développement des agrocarburants et l’absence de régulation des marchés.
  • Plus de valeur ajoutée sur le marché grâce à une plus grande diversification des produits finis. Luxlait, par exemple, laiterie basée à Luxembourg, produit jusqu’à 140 produits différents à partir du lait.
  • Une filière plus locale où les commerces et les consommateurs font le choix de soutenir une production socialement et écologiquement responsable.

Les producteurs de lait sont aujourd’hui victimes d’un système dans lequel ils ont été encouragés à s’engouffrer pour produire toujours plus dans un contexte où le prix des aliments pour bétail était très compétitif eu égard à l’herbe. Aujourd’hui, nous devons les soutenir dans leur transition vers des systèmes de productions plus autonomes et écologiques. Et pour que ce modèle puisse se développer, tous les acteurs doivent s’y mettre : politiques, distributeurs, agro-industriels, éleveurs et consommateurs.

Enfin, il nous faut regretter le peu de moyens mis à la disposition du Service Public de Wallonie pour valoriser davantage les données socio-économiques existantes qui permettraient d’identifier les déterminants de l’efficience économique des éleveurs laitiers (comme le souligne l’étude préliminaire[[Performances et rentabilité des productions bovines en Wallonie . J-M. Bouquiaux, J-M. Marsin et R. Daniel, Direction de l’Analyse Économique Agricole & M-H. Buron, Centre d’Économie Rurale de Marloie]]). Cette identification devrait permettre une vraie politique d’accompagnement de cette nécessaire transition.