La COP 28 bat son plein… L’occasion de rappeler que les systèmes alimentaires sont à la fois responsables et victimes de la crise climatique. Ils subissent de plein fouet les impacts du dérèglement climatique tout en étant responsables d’un tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES). En Wallonie, l’agriculture émet 12% des émissions de GES (chiffres de 2018) ; il n’existe pas à notre connaissance de chiffres pour les systèmes alimentaires wallons.
Dans son nouveau rapport, intitulé « de l’assiette à la planète », IPES FOOD, le panel international d’experts sur les systèmes alimentaires durables, met en avant le travail des collectivités locales pour réduire les émissions de GES de l’alimentation. Pour les chercheurs, celles-ci pourraient pallier les gouvernements nationaux qui ne parviennent en général pas à mettre en œuvre des plans et des politiques ambitieuses en matière d’alimentation et de climat.
En Wallonie, le plan d’action Climat Energie, le PACE a un chapitre qui s’intitule « assurer la durabilité de l’agriculture, des sols et des forêts » avec 7 axes de travail certes intéressants mais avec une approche « système alimentaire » qui fait défaut. L’action climatique doit en effet être orientée sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement alimentaire : de la production au gaspillage en passant par la distribution, la transformation et la consommation. Le plan manque également d’objectifs chiffrés.
Si des dynamiques infrarégionales wallonnes (communes, villes, ceintures alimentaires, conseils de politiques alimentaires (CPA), intercommunales…) travaillent déjà à réduire les émissions de GES, au travers de différentes actions, peu le mentionnent comme porte d’entrée ou comme objectif à atteindre. Et vice versa. A en croire le site l’énergie et le climat dans ma commune, ou le programme POLLEC (Politique locale Energie Climat) l’agriculture et l’alimentation ne sont pas répertoriés comme des leviers pour réduire les émissions de GES. Environ 200 acteurs (communes, provinces, intercommunales, …) sont signataires de plan énergie climat. Créer davantage de liens entre les stratégies « alimentaires » et « climat » au sein des territoires locaux nous parait donc indispensable.
Selon le rapport d’IPES FOOD, 7 stratégies sont mises en place par les collectivités locales de par le monde pour transformer les systèmes alimentaires afin de lutter contre les dérèglements climatiques.
Planifier des politiques alimentaires et climatiques par le biais de processus participatifs et de collaborations intersectorielles.
Les dynamiques alimentaires territoriales wallonnes, en particulier les (futurs) conseils de politiques alimentaires locaux, ont un rôle à jouer dans ce cadre vu les missions qui leur ont été attribuées par la Wallonie dans une note de cadrage. A condition qu’on leur donne les moyens pour le faire (voir à ce sujet notre article du 23 mai).
Mettre en place des dispositifs efficaces de planification, de suivi et d’évaluation.
Plusieurs outils sont mis en place par des villes ou des réseaux de villes pour élaborer, mettre en œuvre et évaluer leurs plans alimentaires et climatiques. Sur le volet évaluation, le PACE propose essentiellement l’outil DECIDE pour construire des bilans énergétiques et de GES à l’échelle de l’exploitation agricole. Mesurer les GES à l’échelle des systèmes alimentaires est également essentiel. Un baromètre pour une alimentation durable devrait voir le jour en Wallonie en 2024 et des indicateurs pour l’axe « environnement » seront identifiés. Le rapport « de l’assiette à la table » cite plusieurs exemples dont la ville de Bruges qui utilise un logiciel de mesure des émissions de carbone, pour suivre publiquement les progrès réalisés par la ville dans le cadre de son plan alimentaire.
Soutenir l’agriculture durable et les circuits courts.
Les villes, les communes, propriétaires de terres agricoles mais aussi prescripteur urbanistique peuvent intervenir pour protéger les terres agricoles et soutenir la production biologique et durable. Le foncier agricole public constitue un outil de prédilection pour réconcilier les enjeux sociaux, économiques et environnementaux tout en luttant contre l’accaparement des terres : soutien à la fonction nourricière, mise en place du maillage agroécologique, soutien aux jeunes agriculteur.rices, production alimentaire pour les collectivités locales, etc. En Wallonie, la ville de Namur a, en 2022, racheté 10 ha de terres agricoles à des fins nourricières locales. Cette approche n’a malheureusement pas été utilisée jusqu’à présent par le CPAS de Liège qui – malgré les demandes pressantes d’une coalition d’acteurs dont Canopea-, a décidé de vendre 102 ha de terres au plus offrant. Cependant, le CPAS s’est dit récemment prêt à coopérer à l’avenir avec la ceinture alimentaire liégeoise pour qu’une partie des terres restantes soient dédiés à des projets en agroécologie (pour en savoir plus).
Les villes et communes peuvent également soutenir les jardins collectifs. Citons l’exemple de la ville de Manta, ville équatorienne de 200,000 habitants ; où depuis 2019, plus de 1 336 jardins familiaux et communautaires ont été créés, profitant à environ 3 000 résidents, favorisant l’autosuffisance alimentaire et le bien-être de la communauté.
Veiller à ce que des régimes alimentaires sains et durables soient disponibles, accessibles et désirables.
Pour ce faire, informer et sensibiliser les citoyens est nécessaire mais reste insuffisant. Modifier les environnements alimentaires est également indispensable (cantines, (grande) distribution, restaurants, etc…). Le PACE mentionne le « Green Deal cantines durables ». A ce jour, 30 cantines sur 5000 sont labellisées et 300 devraient l’être d’ici fin 2024. Mais la Wallonie manque toujours d’une stratégie pour réduire la production et la consommation de protéines animales et augmenter celles en protéines végétales comme l’ont fait pragmatiquement nos voisins flamands. Ceci aiderait les villes et communes à emboiter le pas, comme Gand qui en s’appuyant sur le « green deal » s’est engagé à opérer une transition protéique avec les restaurants, les magasins, les cantines, etc. Autre exemple intéressant : les politiques alimentaires intégrées de Mouans Sartoux, commune française, ont permis à 59% des habitants d’adopter un régime alimentaire plus durable et plus sain (avec moins de viande, et d’aliments ultra transformés et plus d’aliments biologiques saisonniers et locaux), ce qui s’est traduit par une réduction de 19% des GES.
Utiliser les marchés publics pour favoriser la production et la consommation durables.
Ces marchés publics concernent les diverses institutions publiques (administrations, écoles, hôpitaux, maisons de repos). Un exemple intéressant est celui de Washington DC qui en 2021 est « devenue la première ville des Etats-Unis à adopter une loi sur l’achat d’aliments durables (Green Food Purchasing Act), imposant une réduction de 25 % de ses émissions de gaz à effet de serre liées à ses achats de produits alimentaires d’ici à 2030. Cette loi prévoit également des contrôles obligatoires, tout en veillant à ce que les repas soient nutritifs et adaptés au contexte culturel. ».
Réduire les déchets alimentaires et améliorer la gestion des déchets.
Si le PACE étonnamment ne mentionne pas la réduction des pertes et gaspillage alimentaire comme levier de réduction des GES, ce levier est repris dans le plan REGAL. Selon le site de l’état de l’environnement wallon, il semble qu’après une baisse entre 2013 et 2017, le gaspillage soit à nouveau en hausse. Le site mentionne l’organisation par les communes et/ou intercommunales d’ateliers « anti-gaspi » pour les citoyens. Le rapport IPES-FOOD mentionne d’autres idées intéressantes. Par exemple, à Sao paulo, des employés collectent les aliments propres à la consommation dans les 800 marchés alimentaires hebdomadaires pour les distribuer aux banques alimentaires au lieu qu’ils soient jetés dans les décharges. Du côté flamand, Gand poursuit l’objectif de l’Union européenne de réduire de moitié les déchets alimentaires de la ville et collabore avec les écoles, les hôpitaux, les centres de soins et le secteur de l’hôtellerie pour mettre en place des actions concrètes permettant d’atteindre cet objectif. En 2020, Bruges a lancé la campagne de lutte contre le gaspillage alimentaire Food Winners, composée de 50 ambassadeurs formés à l’achat, à la cuisson et au stockage des aliments, qui ont utilisé leurs nouvelles connaissances en matière de réduction du gaspillage alimentaire pour motiver leurs pairs. En 2022, la ville comptait 5 000 ambassadeurs, a réduit ses déchets alimentaires de 55 % et a rédigé un guide de bonnes pratiques à l’intention d’autres villes.
Tirer parti des partenariats et des réseaux d’apprentissage.
La Cellule Manger Demain en Wallonie organise le réseautage sur différents thèmes (cantines, CPA, relocalisation…) depuis plusieurs années. La mise en réseau pourrait être renforcée autour de l’action climatique/environnementale.
Selon IPES- FOOD, le Pacte de Milan pour une politique alimentaire urbaine est l’une des plus grandes plateformes mondiales soutenant la coopération et le partage des connaissances en matière de politique alimentaire. Le rapport cite également l’alliance britannique pour une meilleure alimentation et agriculture, appelée « Sustain », qui gère la boîte à outils « chaque bouchée compte » (Every Mouthful Counts) à l’intention des autorités locales. Cette initiative a déjà aidé 52 communes au Royaume-Uni à cibler les domaines où les émissions liées à l’alimentation pouvaient être réduites considérablement. Au Brésil, le laboratoire sur les politiques alimentaires urbaines a apporté un soutien opérationnel à plus de 30 villes brésiliennes pour les aider à gérer des politiques alimentaires.
Crédit image d’illustration : Adobe Stock
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