Le constat, établi depuis plusieurs années maintenant, que la croissance du PIB ne s’accompagne pas nécessairement d’une croissance du niveau de satisfaction de vie, a généré une importante réflexion autour du développement d’indicateurs alternatifs.
Evolutions des valeurs du PIB et de l’indice de satisfaction de vie, pour la Belgique, depuis 1973 jusu’en 2005. Illustration extraite de la publication « La croissance ne fait pas le bonheur : les économistes le savent-ils ? » d’Isabelle Cassiers et Catherine Delain, 2006.
Tant et si bien qu’aujourd’hui, c’est l’OCDE qui, à l’occasion de ses 50 ans, met l’accent sur la mesure du bien-être. Sa récente publication sur le sujet, un compendium des indicateurs de bien-être pour les pays industrialisés, se décline sous diverses formes, comme cette accroche pour le citoyen « create your better life index » ou encore la possibilité de comparer les résultats d’un pays à un autre. Onze catégories d’indicateurs simplifiés forment la synthèse de ce travail, basé chacune sur 1 à 3 indicateurs. Par exemple, la qualité du logement est évaluée par le nombre de pièces par personne et par la présence de toilettes à chasse d’eau à l’intérieur des logements). L’indicateur environnement est calculé sur la base d’un seul critère lié à la pollution de l’air (la concentration en particules fines (PM10) dans les villes de plus de 100.000 habitants).
Choisir des indicateurs, donner de nouveaux points de mire au pilotage de nos sociétés, est tellement fondamental et rassemble à ce point les aspirations d’associations qui travaillent chaque jour au développement de ce bien-être, qu’il devient un exercice hautement complexe et nécessairement frustrant. De nombreux travaux de recherche tant dans la sphère académique que politique viennent éclairer ce choix si difficile et font mûrir la réflexion collective.
Soulignons par exemple l’initative d’Yvan Mayeur et de Jean Cornil, qui posaient ce 8 avril dernier la question « le bonheur doit-il être mesuré par l’Etat ? », mais aussi le séminaire « Approches participatives de la construction des indicateurs de bien-être : quelques expériences récentes ».
Ce dernier est né dans le cadre du projet de recherche WellBeBe, qui vise directement le développement d’un indicateur de bien-être en Belgique, avec cet accent particulier de lui donner une légitimité démocratique.
« La construction d’indicateurs revêt des aspects techniques et scientifiques qui demandent un savoir-faire professionnel mais ceux-ci sont loin d’être essentiels lorsqu’il s’agit de définir et de mesurer des phénomènes sociaux d’intérêt commun comme le bien-être, le progrès, la prospérité, la justice dont le sens et le contenu dépend de valeurs et d’appréciations qui varient au sein de la population. Laisser aux seuls scientifiques ou aux seuls fonctionnaires en charge de la statistique publique le soin de définir comment mesurer ces phénomènes revient à leur laisser le monopole de la définition des valeurs fondamentales qui doivent orienter l’ensemble de notre développement économique, social, politique et culturel. » Cette réflexion est à la base de l’organisation d’un panel citoyen par l’IDD (Institut pour un développement durable) et l’ULB (Université libre de bruxelles), centré sur la question de la satisfaction des besoins, le bien-être étant défini comme la satisfaction des besoins dans un cadre de vie sûr. Une matrice d’indicateurs est née de ces délibérations de citoyens, assistés dans l’exercice par des professionnels de l’organisation de panels. 5 sphères de vie sont identifiées : travail/revenus ; familles/amis ; cadre de vie/environnement ; services publics ; vie politique et en société. Elles croisent les catégories de besoins identifiés, par ordre d’importance : bien-être physique et matériel, identité, protection, compétences (capacités de compréhension), liberté/autonomie, équité, participation, cadre affectif, loisirs,créativité. Les citoyens ont identifié 15 cases prioritaires dans le croisement des sphères et des besoins.
Au delà de la mécanique de pondération, le travail consiste ensuite à identifier les données existantes et disponibles permettant de comparer l’évolution de l’indicateur. Les premiers résultats provisoires comparent des données de 2007 à l’année de référence 2000. Ils sont assez inquiétants puisqu’ils soulignent une dégradation globale des indicateurs, avec un total de -7,16%. Un des facteurs les plus « pesants » dans l’analyse appartient à la sphère du cadre de vie/environnement et au besoin de protection. C’est de loin l’indicateur le plus en recul. Il contient notamment des statistiques environnementales liées aux nuisances sonores, aux espaces verts à proximité du logement, à la quantité de déchets ménagers produits, au nombre de vols et violences.
Ces résultats corroborent plusieurs positions d’Inter-Environnement Wallonie quant à l’absence de priorités pour les dossiers environnementaux. L’incurie qui a longtemps prévalu en matière de bruit est éloquente à cet égard.
Un vaste projet mené par l’IWEPS en Wallonie
D’autres citoyens ont aussi eu l’occasion de donner leur avis à propos du bien-être. Tout est parti du décret du 6 novembre 2008 consacré à la cohésion sociale, définie par le Conseil de l’Europe comme « la capacité d’une société à assurer le bien-être de tous ses membres, en réduisant les disparités au minimum et en évitant la marginalisation, à gérer les différences et les divisions, et à se donner les moyens d’assurer la protection sociale de l’ensemble de ses membres. »
L’IWEPS y est chargé d’établir un indicateur synthétique d’accès aux droits fondamentaux, mais constate bien vite une série de limites quant à l’utilisation des données accessibles pour la mesure du bien-être. Une expérience pilote est alors imaginée par l’IWEPS en partenariat avec le Conseil de l’Europe et la Direction interdépartementale de la Cohésion sociale du Service Public de Wallonie : l’élaboration concertée d’indicateurs de bien-être pour le niveau communal.
15 communes se sont portées volontaires, et par chance, elles représentent 10 des 11 « types » de communes wallonnes (classement en clusters).
Donner la parole aux citoyens wallons, à différents groupes sociaux de citoyens couvrant les diverses réalités communales, sur leur perception du bien-être est un des objectifs majeurs du projet. Cette étape a concerné un total de 1200 citoyens, qui ont été appelés (en petits groupes constitués sur une base homogène et animés par des professionnels) à proposer des « critères » de bien-être et à en débattre entre-eux. Un premier constat : les indicateurs deviennent un prétexte pour mettre les citoyens et les groupes de citoyens en mouvement, pour les faire entrer en contact les uns avec les autres. Bref, ils permettent de créer de la cohésion… Aujourd’hui ces citoyens sont en attente de la suite, ils désirent poursuivre. Le processus lui-même est une politique publique.
L’IWEPS se trouve maintenant face à 16.000 critères produits par les citoyens, rassemblés en 8 familles, à analyser au regard des particularités de chaque groupe dans chaque commune. Un deuxième constat, le travail produit de nouvelles expertises dans les institutions, l’IWEPS ayant développé une compétence spécifique sur l’analyse lexicographique (permettant l’analyse de la diversité des mots utilisés par les participants, de leur fréquence, de l’intensité des relations entre les mots mais aussi de révéler les interrelations involontaires ou cachées). Ce travail se révèle d’une immense richesse, notamment parce qu’il permet d’apprécier la diversité territoriale et socio-économique, et permettrait aux communes de mesurer les effets de leurs politiques de cohésion sociale, d’évaluer leurs effets en termes de bien-être mais aussi de définir des priorités d’action.
Les premiers résultats de ce travail remarquable donnent quelque chose comme 70 composantes du bien-être (sous-familles de critères). Une série de questions restent posées :
le passage par le niveau individuel pour la définition du bien-être collectif, les difficultés liés à ce changement d’échelle mais aussi les différences inhérentes entre le souhait individuel à court ou moyen terme et la trajectoire pour une société à long terme ;
l’inadéquation de ce type d’indicateur pour un calcul annuel basé sur la collecte de données « standardisées » ;
l’identification des groupes de citoyens face à leur représentativité au sein de la commune ;
l’absence, au stade actuel, du 5ième niveau de l’échelle de progrès utilisée, alors que le 5ième niveau correspond à la soutenabilité que visent les messages et actions de nos associations.
La suite du travail devrait déboucher sur le développement de nouveaux outils, de nouvelles méthodes participatives de collectes de données pour mesure le bien-être collectif. L’IWEPS annonce une enquête pour l’automne 2011. Des résultats attendus qui méritent une diffusion large ! Vivement une mise en ligne sur le site de l’IWEPS…
Extrait de nIEWs 94, (du 9 au 23 juin),
la Lettre d’information de la Fédération.
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