Le principal moteur de la mobilisation des citoyens qui s’opposent à un projet d’aménagement est souvent le souhait de ne pas voir arriver près de chez eux un projet qui va modifier leurs habitudes de vie ou provoquer des nuisances – bruit, odeur, perte de place, obstruction du paysage, etc – bref, ce que l’on appelle le nymbisme. Loin de se réduire à un pur égoïsme nous considérons au contraire le nymbisme comme un puissant moteur de prise de conscience (potentielle) d’enjeux plus globaux et de possibilité d’engagement en faveur de l’environnement.
Quoi de mieux finalement que d’être confronté à une réalité pour en prendre toute sa mesure ? C’est la création future d’un contournement routier, d’un lotissement, d’un espace de loisirs, d’un élevage industriel, d’un centre commercial, etc. qui amène ces groupes de riverains à se poser les questions de la place de la voiture, de l’étalement urbain, de l’impact du bruit sur la santé, des conditions de la production alimentaire, du sens de la (sur)consommation, et in fine, les entraîne à initier une réflexion systémique sur l’enjeu.
Certains passent alors d’un « pas de ça chez moi », à un « c’est pas la société à laquelle je souhaite participer ». C’est souvent le point de départ de la construction d’un idéal. Loin de se faire facilement, ce changement de point de vue demande un réel changement d’attitude et donc de sa vision du monde. Cela ne se passe jamais sans égratigner quelque peu l’image de soi, qui jusque-là, participait, bon gré, mal gré, à ce qui est maintenant décrié. Il devient alors urgent, pour ces personnes, d’agir. Non seulement d’agir pour éviter ces nuisances pour eux, près de chez eux, mais aussi pour défendre cette vision du monde et restaurer quelque peu cette image de soi.
Les riverains vont donc s’organiser en comité, parfois en asbl pour faire entendre leur voix. Souvent en commençant par utiliser les modes de participation à leur disposition que sont les enquêtes publiques. En poursuivant avec des formes d’influence alternatives comme la rencontre du bourgmestre et des échevins, la rédaction d’une pétition, la distribution de tracts, l’interpellation de la presse, etc. Comprenez bien que pour participer et faire entendre leur voix, les riverains doivent non seulement s’immerger dans les logiques des procédures de permis, mais aussi apprendre à maîtriser les enjeux liés au projet, que ceux-ci soient environnementaux, sociaux, économiques ou culturels. Tout en apprenant des techniques de négociation, de gestion de projet et de dynamique de groupe. Cette mobilisation demande donc un investissement important, pour des personnes bénévoles.
Et chaque acte posé construit la nouvelle attitude et la renforce, parfois au point de ne pas/de ne plus pouvoir accueillir de concessions. C’est la même logique que chez les promoteurs ou les acteurs politiques, lorsque s’arc boutant dans une attitude précise, il leur devient difficile, voire impossible de faire machine arrière. C’est humain et tristement banal.
Dans les cas où l’opposition entre les riverains, les acteurs politiques et les promoteurs tire en longueur, pendant plusieurs mois ou plusieurs années, que le point de vue (ou le point de vie) des riverains n’est pas réellement pris en compte, que ceux-ci sont stigmatisés comme des empêcheurs de bâtir en long ou pire qu’ on leur rétorque, par voie de presse, qu’on « va faire de la pédagogie avec eux », les prenant, pour le coup, pour des cons, dans ces cas là donc, l’épuisement et la perte de sens ou la perte de foi en la possibilité de changer les choses, font leur œuvre.
Combien de comités de riverains n’avons-nous pas vus, jetant l’éponge et sentant leur défaite d’autant plus écrasante qu’ils y avaient consacré une très grande partie de leur temps, qu’ils avaient respecté les procédures et cru naïvement que leur mobilisation allait, sinon changer le monde, à tout le moins le rendre un peu plus beau.
Même si cet épuisement-là ne se passe pas dans le cadre professionnel, il réunit les mêmes caractéristiques que le burn out : sentiment de fatigue intense, sentiment de perte de contrôle sur le cours des choses, difficulté à aboutir à des résultats concrets.
Sortir d’une logique d’opposition au profit d’une logique de coopération, en s’appuyant sur la connaissance de terrain des riverains et leurs capacités à s’emparer de matières ardues et oser le oui de principe, sans censure, qui permet d’explorer de nouvelles idées et de choisir celles qui conviennent le mieux à la situation locale sont des garanties d’insuffler du sens à la participation, de la reconnaissance et de l’énergie à toutes les parties.