Les dérèglements climatiques rendent la vie de tous les jours de plus en plus difficile. Il est crucial que les négociateur·rices pour la formation du gouvernement fédéral aient cela en tête au terme de leur pause familiale, avant d’entrer dans le vif des négociations. Dans une Lettre Ouverte, des scientifiques et des mouvements de citoyen·nes (soit 320 signataires) leur demandent d’inclure une politique climatique ambitieuse au cœur de la déclaration de politique fédérale.
Monsieur De Wever, mesdames et messieurs les négociateur·rices,
2024 restera probablement dans les livres d’histoire comme une année des records de chaleur. Le réchauffement de la planète s’est accéléré, entraînant une série choquante de phénomènes météorologiques extrêmes : sécheresses, vagues de chaleur, inondations, tempêtes intenses et incendies de forêt. Le chaos, les souffrances humaines et les pertes économiques causés par ces phénomènes sont incalculables.
Notre pays n’a pas été épargné. « Les pires de l’histoire » : c’est ainsi que les habitant·es de la commune limbourgeoise des Fourons décrivent les inondations qui les ont frappés récemment. L’eau est montée jusqu’hauteur de poitrine. Les habitant·es ont dû fuir leur maison. Les souvenirs, traumatisants, des inondations en Wallonie, en 2021 ont été ravivés. Il y a à peine un mois, nous avons commémoré les premiers « morts climatiques » belges.
Sur le plan économique également, le bilan de 2024 est lourd : il suffit de penser aux mauvaises récoltes et aux cultures pourries que nos agriculteurs et agricultrices ont dû endurer en raison des précipitations sans précédent. Mais ce n’est qu’un signe avant-coureur de ce qui nous attend à mesure que les dérèglements se poursuivent. Les données scientifiques sont claires et précises : chaque fraction de degré de réchauffement supplémentaire a des conséquences dévastatrices pour nos écosystèmes, la santé publique et les économies du monde entier. On estime que la crise climatique pourrait coûter plus de 9,5 milliards d’euros par an à la Belgique en raison d’événements météorologiques extrêmes.
Le climat doit donc être une priorité absolue pour les négociateur·rices politiques. Des ambitions claires et des mesures sociales concrètes en matière de climat sont essentielles pour relever les défis. Mais les documents de négociation qui ont fait l’objet de fuites ne laissent entrevoir que des révisions, des reculs et des remises en question des engagements existants sur le climat.
Nous profitons de la fin de la « semaine de pause » dans les négociations pour rappeler aux formateur·rices fédéraux la situation exceptionnelle et inquiétante dans laquelle nous nous trouvons. Pour stopper le réchauffement, les émissions de gaz à effet de serre doivent être drastiquement réduites avant 2030. La Belgique doit y contribuer. Non seulement en réduisant ses propres émissions, mais aussi en s’engageant dans une coopération internationale et européenne forte.
Pour les pays qui ont le moins contribué à la crise climatique, les conditions météorologiques extrêmes sont une réalité quotidienne depuis de nombreuses années. Les typhons, les sécheresses et les ouragans augmentent et exacerbent les inégalités. La crise climatique ne s’arrête pas à la frontière belge. La solidarité et la coopération internationales sont essentielles pour faire face à cette crise climatique.
Jusqu’à présent, la Belgique n’a pas pris au sérieux cet appel urgent. Les plans actuels de réduction de nos émissions ne sont pas conformes aux accords européens. Ils ne sont pas non plus conformes à l’arrêt de l’affaire climat, qui a statué que la politique climatique de la Belgique violait les droits humains de ses citoyens et qui impose une réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici à 2030. C’est le strict minimum que notre pays doit faire pour éviter un réchauffement dangereux de plus de 1,5°C.
Cette négligence est écologiquement, économiquement et socialement irresponsable. Les solutions et les technologies nécessaires à une politique climatique forte sont disponibles. Une politique qui associe le climat et la justice sociale peut permettre de réduire les coûts énergétiques, d’améliorer considérablement la santé grâce à un air plus pur, de créer des emplois dans les technologies propres et de restaurer une nature vivante et résiliente. En outre, le soutien est là : depuis des années, une majorité de Belges se prononce en faveur d’une politique climatique vigoureuse. Des sondages tels que l’Eurobaromètre (2024) le montrent. 82 % des Belges se disent directement concernés par les problèmes environnementaux, 91 % pensent qu’une législation européenne est nécessaire pour limiter les conséquences du changement climatique et protéger l’environnement, et 82 % estiment que nous devrions aider les pays non européens dans leur politique climatique.
Il n’y a donc aucune raison de ne pas placer la transition climatique en tête de l’agenda. Faire preuve de courage politique aujourd’hui signifie un monde plus sûr et plus prospère pour toutes et tous demain. Nous appelons les négociateur·rices fédéraux à faire preuve de la détermination et de l’ambition nécessaires pour faire face à cette crise. Pour garantir à nouveau une société vivable et saine, aujourd’hui et dans l’avenir de nos enfants et petits-enfants. Il n’y a pas de meilleur moment que celui de la formation du gouvernement.
Cette lettre ouverte est publié sur le site du journal Le Soir (12/08/2024). Elle est signée par plus de 320 personnes/académiques/organisations.