Vous pouvez essayer chez vous, avec vos amis ou avec vos collègues : aux questions Qu’est-ce qu’un centre-ville ? Quelles fonctions le définissent ? Comment pouvons-nous juger s’il est dynamique ou « en bonne santé » ?, le mot « commerce » sera de toutes les réponses. Quel triste sort pour nos cités d’être ainsi résumées à la seule fonction commerciale. Or, la ville est composée de beaucoup d’autres choses qui ne sont certes pas valorisables économiquement, mais sont tellement riches et essentielles pour les gens qui la composent et la vivent.
Du commerce en veux-tu en voilà
Début 2016, la presse relayait une étude du SEGEFA (Service d’Etude en Géographie Economique Fondamentale et Appliquée de l’ULg) sur la vitalité des centres commerçants wallons. Comme son nom l’indique, l’étude fait le bilan de santé d’une soixantaine de villes wallonnes en analysant « le taux d’occupation des cellules commerciales, la stabilité dans le temps des commerçants et la contribution des commerçants en équipement de la personne (vêtements, chaussures, parfums …) ». Du commerce donc.
Du côté de l’AMCV (Association du Management de Centre-Ville), les outils mis à disposition des managers de centre-ville sont largement orientés vers le développement commercial. A titre d’exemple, l’Outil de Gestion permet d’obtenir des informations qualitatives (type de commerces recherchés, zone de chalandise, ce qui est apprécié, ou pas, dans tel centre-ville…) et quantitatives (flux piétons, taux d’occupation ou de vacances des surfaces commerciales…). Du commerce, encore et toujours…
Pour l’Union des Villes et Communes de Wallonie, l’activité commerciale occupe également une place centrale dans le développement de nos villes. Un Midi de la Gouvernance y a d’ailleurs été consacré en 2012. Le commerce y apparaît comme une source d’emplois et de richesse pour la commune. Il convient donc de le développer, toujours plus.
Mais combien d’études pour démontrer l’impact sur la qualité de vie de la perte d’espaces verts, le manque d’espaces publics de qualité ou encore la disparition de marchés hebdomadaires locaux ? Et quand bien même ces matières feraient l’objet d’études ou de relevés, la presse s’en emparerait-elle pour en faire un sujet d’actualité ? Il semble bien que, médiatiquement et politiquement parlant, les espaces publics et le cadre de vie soient moins « sexy » que le commerce.
Le commerce définit-il à lui seul un centre-ville ?
Certes, le commerce joue un rôle indéniable dans la qualité de nos centres villes. De tout temps, le commerce a été un lieu d’échanges, de liens et de rencontres. On ne peut en effet imaginer une ville sans commerce ! Mais, si le développement commercial peut constituer une priorité dans les zones urbaines (et même rurales) où il fait réellement défaut, nous pouvons nous poser la question : en faut-il toujours plus ? Les m² supplémentaires que l’on voit fleurir en Wallonie actuellement (projet à Namur, à Verviers, Louvain-la-Neuve…) vont-ils réellement apporter une plus-value à la qualité de vie en ville ? N’y avait-il pas d’autres besoins à combler pour améliorer le cadre de vie des gens qui se trouvent dans ces villes ?
Mais au fait, c’est quoi un centre-ville ?
Ces questions nous amènent à d’autres questions cruciales : qu’est-ce qui fait une ville ? Qu’est-ce qui la définit ? Qu’est-ce qui la fait vivre? Qui la compose ? Habitants, commerçants, chalands, étudiants, travailleurs, touristes, membres d’associations et de collectifs, autant de facettes et de fonctions dont les besoins sont différents et peuvent aller jusqu’à diverger complètement. Si les étudiants apprécient notamment l’animation et les activités nocturnes, les familles préfèreront des espaces publics de qualité et de la tranquillité. La manière d’aménager les espaces, de les animer, de penser la mobilité, le stationnement, les rues… le politique a une véritable influence sur la manière dont la ville va vivre et se développer. La question de sa vision et la cohérence entre cette vision et les actions qu’il mène est donc primordiale.
En visant un développement commercial à tout crin et en s’engageant ainsi toujours plus vers une concurrence territoriale pour devenir LA ville commerciale de référence, celle dont la zone de chalandise est la plus grande et qui compte le plus grand nombre de m² (occupés ou non ?) commerciaux, à quel besoin répondons-nous ? Quel public vise-t-on ? A qui profitent ces surfaces supplémentaires ? Aux commerçants, aux promoteurs immobiliers, aux chalands (qui viennent de plus en plus loin pour quelques heures de shopping, souvent en voiture) ?
Le Schéma Régional de Développement Commercial : une occasion manquée
Pour contrer cette concurrence des villes et communes qui entraîne finalement une suroffre commerciale, une vision régionale et globale du tissu commercial est nécessaire. A l’heure actuelle, le seul outil qui peut se doter d’une telle vision et enrayer cette course aux m², est le Schéma Régional de Développement Commercial. Malheureusement, la dernière version adoptée par le Gouvernement Wallon en novembre 2014, passe clairement à côté de cette opportunité. Quant au Décret Implantations Commerciales, il est arrivé à point nommé après la position d’IEW, ce qui nous a permis d’alimenter les acteurs en arguments. Visiblement insensible à l’enjeu de cette autonomie communale, le décret laisse la main aux communes pour les projets allant jusqu’à 4.000 m². Quand arriverons-nous enfin à passer outre de ce sous-localisme qui empêche les décideurs locaux de juger de l’opportunité d’un projet commercial en toute objectivité ? Par ailleurs, le Ministre Marcourt a annoncé un Plan Commerce pour l’année 2016. Quel sera le contenu et quel sera l’objectif poursuivi par ce énième document impactant le commerce dans nos villes ?
Crédit photographique : Troyes, 2010. Photo : V. Vandendaele