L’avant-projet de décret qui formera le Code du Développement Territorial énonce en son article 1er un objectif et un principe qui peuvent paraître contradictoires. Comment, en effet, « répondre aux besoins de mobilité », sans cesse grandissant, et en même temps «maîtriser la mobilité» ? C’est pourtant possible: il faut contenir, voire réduire, les besoins de mobilité. Ce que seule une politique du développement territorial pensée en lien avec les enjeux de mobilité peut permettre d’atteindre. Est-ce bien le cas à travers le CoDT ?
Les arguments qui plaident en faveur d’une maîtrise de la mobilité sont nombreux et bien connus. Il y a bien entendu l’impact environnemental de nos nombreux déplacements: les émissions CO2 du secteur du transport poursuivent leur croissance contrairement aux autres sources d‘émissions (industrie, logement) ; la concentration de polluants locaux dans l’air (oxydes d’azote et particule fines émis princi- palement par le transport routier) reste problématique en Belgique (au-dessus des plafonds européens) ; l’impact du bruit issu du trafic sur notre santé est clairement établi ; etc.
Outre ses effets néfastes sur l’environnement, notre système de transport a également des impacts négatifs sur l’économie et la qualité de vie: congestion, stress, accidents routiers, coûts des infrastructures de transport, obésité, etc. Il est donc indispensable et urgent que les politiques d’améliorations technologiques (« mieux ») et de report modal (« autrement ») soient complétées par d’autres visant une réduction des besoins de mobilité («moins »).
Réduire la demande de mobilité apparaît souvent comme une entrave à un droit fondamental: pouvoir se déplacer librement. Pourtant, beaucoup vivent mal ce qui est devenu une obligation de se déplacer sans cesse. Peu de gens souhaitent bouger davantage encore ; par contre, tous veulent avoir un meilleur accès aux biens et aux services. Il serait donc plus judicieux de parler des besoins d’accessibilité de la collectivité plutôt que des besoins de mobilité de celle-ci.
Penser en termes d’accessibilité permet de sortir de l’apparente contradiction évoquée en introduction et qui apparaissait également dans les objectifs proclamés du nouveau Schéma de Développement de l’Espace Régional (SDER): il ne doit pas être question « de développer des transports durables pour un territoire mieux aménagé » mais bien de « mieux aménager un territoire pour permettre le développement des transports plus durables ».
Tant le SDER que le CoDT s’avérant peu explicites sur le sujet, il est intéressant de regarder comment cette politique de maîtrise de la mobilité par l’aménagement du territoire a été mise en œuvre dans des pays voisins.
La «localisation ABC» des Pays-Bas
Adoptée par le Parlement néerlandais en 1993, la politique de localisation ABC peut se résumer par « la bonne entreprise au bon endroit ». Cette politique, qui intègre autant les déplacements des personnes que des marchandises, est basée sur le fait que les besoins de mobilité et d’accessibilité aux infrastructures de transport diffèrent d’une entreprise à l’autre.
La politique ABC classe le territoire en trois « profils d‘accessibilité » et identi- fie les sites ne correspondant pas à ces trois profils par un « R » (voir tableau). Ensuite, les entreprises sont caractérisées selon les attributs qui influencent leur génération de déplacements et leurs besoins de mobilité, comme le volume de livraison de marchandises, l’affluence de clients ou l’espace occupé par employé. Ainsi, les entreprises identifiés en profil A, c’est-à-dire comptant un nombre important d‘employés occupant peu d’espace et recevant plusieurs visiteurs par jour doivent être localisées à proximité des infrastructures de transport public, sur un site A.
Cette politique a démontré son efficacité: dans le cas d‘entreprises relocalisées d’un site R ou C à un site B ou A, le changement modal vers les transports publics a atteint jusqu’à 70%.
La politique ABC en tant qu’outil contraignant a malheureusement été abandonnée ; les municipalités n’appréciaient pas de perdre des entreprises faute de sites compatibles avec leur profil. Cette politique guide encore de façon implicite les décisions des pouvoirs provinciaux et locaux mais ce sont dorénavant les paliers locaux et régionaux qui définissent les normes pour les types de localisation.
La politique ABC néerlandaise a inspiré des outils d‘aide à la décision en aménagement du territoire en Suisse. Ainsi, dans le canton de Vaud, un questionnaire ABC a été élaboré et est rempli au début de tout projet immobilier, en ce compris des projets de logement, d‘activités de loisirs ou d‘équipements publics, afin de vérifier sa conformité au schéma directeur.
Dans cette variante, on a ajouté deux profils d‘accessibilité. Le profil M combine une très bonne accessibilité en transports publics et en transport individuel, par exemple des centres commerciaux ; les sites H ont une accessibilité modeste en transports publics, par exemple des zones de logement. En plus d‘être utile lors de l’évaluation de projets particuliers, cette méthode ABC est efficace dans la définition des affectations du territoire en évitant que des projets d‘aménagement ne créent des besoins d‘infrastructures qui ne pourraient être comblés (comme les infrastructures de transport en commun).
Les projets «agglomération, transport et urbanisation»
En Suisse, la Confédération encourage les cantons et communes à élaborer un projet d’agglomération qui contienne tous les éléments décisifs pour une coordination des transports et de l’urbanisme. C’est d’ailleurs une condition sine qua non pour obtenir le cofinancement des infrastructures de transport. Un des objectifs importants est d’encourager un mode de planification et de pilotage concerté, favorisant le développement urbain vers l’intérieur. Une bonne coordination du développement de l’urbanisation et des systèmes de transport permet de maîtriser la dispersion des constructions et l’augmentation des déplacements. Elle permet de réduire la surcharge des réseaux de transport et ses répercussions économiques et écologiques.
Selon la Confédération, le concept de développement urbain vers l’intérieur contribue également au développement économique d’une agglomération. Il permet de profiler clairement l’agglomération et de renforcer l’image de celle-ci, lui procurant des avantages concurrentiels. Le but est de mettre à disposition aux emplacements appropriés les surfaces nécessaires (pour l’habitat et le travail), sans occasionner de surcharge du système de transport ni altérer la qualité de vie. Concrètement, la méthodologie propose pour déterminer chaque type de pôle de développement (logements, activités économiques de type service, activités économiques de type industrie, etc.) divers critères dont la catégorie d’équipement en transports publics.
Qu’en sera-t-il demain en Wallonie ?
Le projet de CoDT définit l’accès aux services et équipements des base (en ce compris les transports en commun, c’est précisé dans les commentaires des articles) comme un critère sur lequel le Gouvernement wallon devra se baser pour déterminer les «périmètres U». Densifier là où une offre en transport en commun existe déjà, c’est un bon point. Plus loin dans le texte, les « réseaux de transport » et « mesures de gestion de la mobilité » apparaissent comme des informations qui devront figurer dans les schémas communaux et les schémas d’urbanisation. Mais au-delà de ces quelques mots, aucun article du code ne prévoit les conditions d’une meilleure articulation entre urbanisation et système de transport. Rien n’encourage les pouvoirs locaux à qualifier l’accessibilité des différents lieux de leur territoire, rien n’impose aux porteurs de projet de définir les types et flux de mobilité que leur projet va générer, donc rien ne permet de juger de la bonne localisation de l’un par rap- port aux caractéristiques de l’autre…
Mesdames et Messieurs les Parlementaires, à vos amendements !
Article extrait de « La Lettre des CCATM » n°73, août-septembre 2013.
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