Fin 2024, mon collègue Martin publiait une analyse dénonçant l’absence de prise en compte des enjeux du développement durable dans le budget wallon. Le développement durable semble effectivement avoir été oublié, non seulement dans le budget mais aussi dans de nombreuses politiques belges et internationales ainsi que dans les médias…
La notion de développement durable est définie par un équilibre entre trois piliers : le social, l’environnemental et l’économique. Or, les Nations-Unies constatent aujourd’hui un déséquilibre, le pilier environnemental étant le moins pris en compte dans les décisions politiques. Le pilier social est également encore trop souvent négligé, au profit du seul pilier économique. Pourtant, ce dernier est étroitement lié aux deux autres. D’une part, plus de la moitié du PIB mondial dépend de la nature ,tout effondrement écologique entrainera donc inévitablement un effondrement économique. D’autre part, le pilier économique n’a de sens que s’il contribue à améliorer le bien-être de la population, en renforçant le pilier social.
De même, la croissance économique ne constitue qu’un des 17 objectifs du Développement Durable. Si cet objectif est en soi questionnable (la croissance infinie dans un monde fini, tout ça…), le problème actuel est surtout son utilisation comme boussole unique par nos décideurs et décideuses, au détriment de tous les autres objectifs.
Pas de pauvreté
Si l’extrême pauvreté, définie au niveau international comme le fait de survivre avec moins de 2.15 dollars par jour, a quasiment disparu de notre pays, on estime que 7 % de la population mondiale, soit environ 575 millions de personnes, se trouveront encore en situation d’extrême pauvreté en 2030 si les tendances actuelles se poursuivent. De plus, cette absence d’extrême pauvreté chez nous ne doit pas masquer le fait que de nombreuses personnes sont néanmoins en situation de précarité et rencontrent des difficultés à répondre à leurs besoins fondamentaux tels que se nourrir, se loger ou se déplacer. La Déclaration de Politique Régionale ne promet pas d’améliorations significatives à ce niveau.
Prenons le cas du logement. La réduction des droits d’enregistrement permettra effectivement de faciliter l’accès à la propriété, mais cette mesure vise essentiellement la classe moyenne, les personnes les plus précarisées n’ayant de toute façon pas les moyens d’investir dans l’achat d’un logement. Il est regrettable que cette mesure ne soit pas couplée à un encadrement des loyers, qui permettrait de garantir un logement à coût abordable pour les personnes les plus vulnérables.
Quant à la limitation des allocations de chômage à deux ans, actuellement en discussion au niveau fédéral : sous prétexte de sanctionner les abus de quelques personnes, elle risque de faire basculer de nombreux ménages dans la pauvreté, en oubliant que l’accès à l’emploi n’est pas seulement une question de volonté.
Faim zéro
Le droit à l’alimentation ne se limite pas à un apport calorique journalier ; il s’agit aussi de pouvoir accéder à une alimentation saine et riche en nutriments, qui ne nous rend pas malades mais contribue au contraire à préserver notre santé. Garantir notre sécurité et notre résilience alimentaires nécessite aussi de rémunérer décemment les producteurs et productrices. Le maintien et le développement d’une production alimentaire locale sont d’autant plus cruciaux dans un contexte de dérèglement climatique et de tensions géopolitiques. Or, actuellement, un exploitant agricole wallon sur deux a plus de 55 ans ; ce sont donc la moitié de nos fermes qui risquent de disparaître d’ici une dizaine d’années si la relève n’est pas assurée, et de moins en moins de jeunes sont motivés par la profession vu les revenus très faibles pour un volume de travail conséquent (souvent 7 jours sur 7). Début 2024, les paysans et paysannes se sont mobilisé·es en masse pour dénoncer cette situation. Nos responsables politiques wallons, belges et européens y ont répondu par quelques mesures de simplification administrative et l’affaiblissement de certaines normes environnementales, sans répondre à la revendication principale du secteur : des revenus décents.
En l’absence d’avancée significative et dans un contexte de discussions sur le traité de libre-échange entre l’Union Européenne et le Mercosur, les mobilisations agricoles ont donc repris récemment. Ce traité prévoit des accords commerciaux et la réduction des droits de douane pour faciliter les échanges économiques avec les pays concernés (Brésil, Argentine, Paraguay et Uruguay). Il facilitera l’exportation de produits industriels européens (notamment des voitures) mais aussi l’importation en Europe de denrées alimentaires à bas prix, accentuant la pression des prix pour nos producteurs locaux. Il s’agit notamment de viande bovine issue d’élevages intensifs et traitée aux hormones et antibiotiques ; ou encore de fruits et légumes pouvant contenir des résidus de pesticides interdits en Europe. Ce traité constitue donc une menace pour le secteur agricole, mais également pour la santé des consommateurs et consommatrices.
Bonne santé et bien-être, eau propre et assainissement
La crise des PFAS, qui défraie la chronique depuis plus d’un an, a permis de mettre le doigt sur un problème de pollution de l’eau qui existait depuis longtemps mais qui était, jusqu’à présent, largement ignoré tant du grand public que des responsables politiques. Si certaines mesures ont été prises en termes de monitoring et de renforcement des normes de potabilité dans l’eau de distribution, nous attendons toujours que le problème soit traité à la source, c’est-à-dire au niveau des entreprises qui produisent ces PFAS. Le ministre de la Santé et de l’Environnement Yves Coppieters a récemment annoncé vouloir mener une campagne de mesures en vue de définir des valeurs limites d’émissions pour les industries. Affaire à suivre donc.
L’idéal serait bien sûr un renforcement harmonisé des normes relatives aux produits chimiques au niveau européen, mais la révision du règlement REACH (portant sur l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation de produits chimiques), qui aurait permis de restreindre ou d’interdire l’utilisation de nombreuses substances chimiques dangereuses présentes dans notre quotidien, a été reportée… à une date inconnue. Encore un bel exemple de « pause environnementale » à durée indéterminée…
Mais les produits chimiques ne sont pas la seule menace qui pèse sur notre santé. Ainsi, la pollution de l’air est responsable de près de 9000 décès par an en Belgique (dont 7400 imputables aux particules fines), sans compter les effets chroniques impactant la qualité de vie à long terme (détérioration des capacités pulmonaires et cognitives, troubles de la reproduction, risque accru de diabète de type 2,…) ni les effets aigus constatés lors des pics de pollution (irritation des voies respiratoires, crises d’asthme, maux de tête,…). Une étude de la KULeuven a ainsi estimé qu’une amélioration de la qualité de l’air pourrait permettre d’éviter 220 000 consultations médicales par an, représentant un coût évitable de 43 millions d’euros. S’ajoutent à cela les effets néfastes de la pollution sonore et de la pollution lumineuse qui ne sont tout simplement pas pris en compte dans les décisions politiques.
De nombreuses études démontrent que les espaces verts sont essentiels au bien-être de la population. Leurs effets bénéfiques sont nombreux, tant en termes de santé physique et mentale que de cohésion sociale. Des scientifiques ont établi la règle des 3-30-300, estimant que chaque personne devrait pouvoir voir 3 arbres depuis sa fenêtre, vivre dans un quartier ayant une couverture végétale d’au moins 30 % et avoir accès à un espace vert à moins de 300 mètres de chez soi. Une étude menée par Greenpeace et le DataLab démontre que cette règle est loin d’être respectée dans la plupart des communes belges. Plusieurs villes et communes wallonnes se situent d’ailleurs dans le bas du classement, notamment Mouscron, Waterloo, Nivelles, Ans, Herstal, Verviers et Wavre, où moins de 0.1 % des bâtiments répondent à ces trois critères. Pourtant, force est de constater que la préservation et le développement des espaces verts n’est pas une priorité politique, ces derniers étant encore trop souvent menacés par des projets immobiliers.
Education de qualité
Si l’accès à l’enseignement primaire, secondaire et supérieur est relativement bon en Belgique par rapport à d’autres régions du monde, on peut cependant se poser la question : cet enseignement nous prépare-t-il vraiment à répondre aux défis de demain, notamment en matière de développement durable ?
Ces dernières années, on a vu éclore différentes formations spécifiquement dédiées aux métiers du développement durable : bachelier de conseiller en développement durable, master en biologie de la conservation, etc. Cependant, ces notions de développement durable ne sont pas encore suffisamment intégrées de manière transversale dans les autres cursus. Ainsi, une carte blanche signée par de jeunes ingénieurs diplômés d’universités belges dénonce le manque de prise en compte des enjeux environnementaux dans leur formation. Le GIEC fait le même constat au niveau mondial : « Même si le rôle des universités dans l’éducation au changement climatique a été reconnu comme extrêmement important, il y a peu d’investissement pour intégrer l’éducation au changement climatique dans un contexte d’éducation supérieure. »
Egalité des sexes
La montée de l’extrême-droite en Europe comme ailleurs dans le monde (notamment avec l’élection de Donald Trump) fait craindre un risque de régression en matière de droits des femmes et des personnes LGBTQIA+. En effet, la plupart de ces partis ne sont pas seulement racistes mais aussi sexistes et homophobes. Le discours anti-woke, répandu par la droite et l’extrême-droite avec pour objectif de décrédibiliser les personnes qui dénoncent toute forme de discrimination (notamment de race ou de genre), est d’ailleurs de plus en plus présent dans les médias comme sur les réseaux sociaux (si vous avez 7 minutes à perdre, n’hésitez pas à regarder la vidéo de « Et tout le monde s’en fout » qui illustre avec humour l’absurdité de ce discours).
Energie propre et d’un coût abordable
Deux centrales à gaz sont en cours de construction pour compenser la sortie du nucléaire en Belgique, qui n’est finalement pas pour tout de suite puisque deux centrales sont prolongées pour minimum 10 ans, et certains évoquent même la prolongation d’autres réacteurs voire la construction de nouveaux. C’est bien connu, entre la peste et le choléra, ne choisissons pas, mais prenons les deux ! Car si la filière nucléaire a effectivement un impact limité sur le climat, il ne faut pas oublier l’impact de l’extraction d’uranium sur l’environnement et la santé des populations riveraines, sans compter la problématique des déchets qui n’est toujours pas résolue à ce jour.
Pour l’énergie propre, on repassera ; et pour le coût abordable aussi, car l’énergie la moins chère et la plus propre est celle qu’on ne consomme pas. Or, la sobriété énergétique reste la grande oubliée des politiques publiques.
Travail décent et croissance économique
La croissance économique a encore de beaux jours devant elle, puisqu’elle semble considérée comme la priorité absolue par nos gouvernements… souvent au détriment de la plupart des autres Objectifs du Développement Durable !
En matière d’emploi, en revanche, la stratégie est plus que nébuleuse. Les partis au pouvoir disent vouloir augmenter le taux d’emploi. Mais d’un autre côté, le Gouvernement Wallon annonce une réduction de 60 millions d’euros des « subventions facultatives » à destination du secteur associatif. Ces subventions n’ont pourtant rien de facultatif pour les associations qui les reçoivent. Il s’agit d’un secteur très intensif en main-d’œuvre puisque l’essentiel du budget annuel est consacré aux frais de personnel (contrairement à certaines activités industrielles par exemple pour lesquelles le coût des matériaux et la consommation d’énergie peuvent représenter une part importante des dépenses, tout comme l’octroi de dividendes aux actionnaires). Une réduction des moyens se traduira donc inévitablement par des suppressions d’emplois…
Bien sûr, les travailleurs et travailleuses laissés sur le carreau pourront toujours postuler à l’aéroport de Liège, dont le vaste plan d’extension devrait permettre la création d’emplois, nous promet-on… D’un côté, on supprime des emplois qui ont du sens dans des associations qui œuvrent pour le bien commun, et de l’autre, on crée des emplois dans un secteur climaticide… Pour se faire une idée des conditions de travail dans des entreprises logistiques telles que Cainiao (filiale d’Alibaba), il suffit de visionner le documentaire #Investigation sur le sujet : horaires de nuit, fausses promesses, pression constante, non-respect de la vie privée,… Travail décent, vous disiez ? Et ne parlons même pas des conditions de travail de celles et ceux qui fabriquent ces objets provenant de l’autre bout du monde…
Industrie, innovation et infrastructure
La Déclaration de Politique Régionale prévoit « une politique industrielle ambitieuse » et « l’innovation et la recherche comme moteurs du développement ». Cet objectif est donc bien dans le viseur du Gouvernement Wallon. On peut cependant se poser la question de la compatibilité de certaines innovations soutenues par le gouvernement (intelligence artificielle, voiture autonome, 5G,…) avec les autres objectifs…
Inégalités réduites
Dans un contexte de restrictions budgétaires, il serait juste que l’effort soit réparti équitablement au sein de la population. Or, alors que les personnes précarisées seront les plus impactées par les coupes budgétaires dans la sécurité sociale et les services publics, les plus riches bénéficieront quant à elles d’un cadeau fiscal par la réduction des droits de succession, avec pour conséquence un renforcement des inégalités, qui va totalement à l’encontre de cet objectif.
Villes et communautés durables
La volonté de réduction de l’étalement urbain, exprimée dans le nouveau Schéma de Développement du Territoire (SDT) grâce à la définition de centralités, mérite d’être soulignée. Malheureusement, ce SDT n’est pas contraignant, et de nouvelles constructions seront toujours possibles en dehors des centralités. L’étalement urbain peut donc se poursuivre allègrement, avec tous ses impacts négatifs sur la mobilité, le climat et la biodiversité…
Consommation et production responsables
La COP plastique, qui visait l’adoption d’un traité international contre la pollution plastique, s’est soldée par un échec cuisant, en raison du blocage des pays pétroliers.
Du côté européen, on peut souligner l’adoption d’une Directive qui impose aux entreprises un devoir de vigilance et de rapportage en matière d’environnement et de droits humains. Mais la mise en application de la loi sur la déforestation importée est quant à elle reportée d’un an…
Mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques
Alors que la barre symbolique de +1.5°C a été franchie pour la première fois en 2024 et que les effets du dérèglement climatique n’ont jamais été aussi perceptibles au niveau mondial (inondations, canicules et incendies à répétition), nos décideurs ne semblent toujours pas prendre la mesure de l’urgence, et continuent à financer des infrastructures climaticides tels que les aéroports et le circuit de Spa-Francorchamps.
Vie aquatique et vie terrestre
Après d’interminables tergiversations, la loi sur la restauration de la nature a enfin été adoptée au niveau européen. Elle impose aux Etats membres de prendre des mesures pour restaurer au moins 20 % des écosystèmes dégradés d’ici 2030.
On se demande comment la Wallonie va s’y prendre pour atteindre cet objectif alors que le budget consacré à la biodiversité est divisé par 4 ! On mesure l’ampleur du déni lorsqu’on entend un député MR (Yves Evrard) déclarer que « la biodiversité est en nette augmentation au niveau mondial, y compris en Wallonie ». Les données scientifiques alertant sur l’effondrement dramatique de la biodiversité ne manquent pourtant pas : Liste Rouge de l’IUCN, rapport Planète Vivante du WWF, rapportage sur l’état de conservation des habitats et espèces Natura 2000,…
Paix, justice et institutions efficaces
Nous avons récemment appris que la Wallonie avait octroyé plusieurs licences d’exportation d’armes à destination des Emirats Arabes Unis. Des associations de défense des droits humains ont intenté une action en suspension contre ces licences, dénonçant un risque de violation du droit humanitaire et de détournement du matériel exporté qui pourrait être utilisé contre des populations civiles au Yémen ou au Soudan. Trois licences ont été suspendues par le Conseil d’Etat ; le Ministre-Président wallon Adrien Dolimont a réagi en disant que cela « montre que notre législation en matière de licence d’armes est particulièrement restrictive et doit être revue ». Dans sa Déclaration de Politique Régionale, le Gouvernement Wallon exprimait déjà son intention de revoir cette législation pour « ne plus pénaliser les industriels wallons »…
C’est l’exemple le plus extrême de développement non durable, où des vies humaines sont littéralement sacrifiées sur l’autel de la croissance économique !
Partenariats pour la réalisation des objectifs
Les tensions géopolitiques ont visiblement eu raison de la volonté de collaboration internationale, avec l’instauration d’une ambiance de rivalité, de repli sur soi et de méfiance généralisée. Nous avons pu le constater lors de la dernière COP sur le climat : le clivage Nord-Sud sur le financement de l’action climatique a abouti à des engagements insuffisants et trop peu contraignants de la part des pays du Nord puisque la répartition de l’effort n’est pas précisée et que le financement inclut aussi des prêts, au risque d’aggraver la dette des pays du Sud.
Cette logique compétitive se traduit également au niveau wallon : le terme « compétitivité » apparaît 14 fois dans la Déclaration de Politique Régionale ! Cette notion est mise à toutes les sauces : compétitivité sur un marché globalisé, compétitivité durable, compétitivité énergétique, compétitivité du secteur aérien, compétitivité du territoire,…
Un tel discours, de plus en plus présent dans les déclarations politiques mais aussi dans la presse et sur les réseaux sociaux, favorise l’immobilisme de la part des individus comme des entreprises, empêchant toute transition vers un développement durable dans un contexte où évoluer seul signifierait prendre le risque de « perdre la compétition ».
Pour créer un futur désirable, nous devons au contraire retrouver une culture de la collaboration et de gestion collective des biens communs. Inspirons-nous de la nature où les symbioses sont nombreuses et où l’entraide est l’autre loi de la jungle !
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