Justice sociale, climat, équilibre budgétaire, … les raisons ne manquent pas pour intégrer à la réforme fiscale en cours de discussion au sein du Gouvernement fédéral deux mesures essentielles. La première (la suppression du régime favorable appliqué aux voitures salaires) ne doit plus être présentée. La seconde, moins connue, est tout aussi capitale : la suppression du diesel professionnel.
Introduite en 2004, la mesure du « diesel professionnel » exempte de l’application du système du cliquet les transporteurs utilisant des véhicules d’une masse maximale admissible (MMA) supérieure à 7,5 tonnes1. Pour rappel, le système du cliquet consiste à neutraliser partiellement la diminution des prix des carburants (effet du marché) par une augmentation des accises. Huit autres Etats membres de l’Union européenne appliquent des taux d’accises préférentiels pour le diesel « à usage professionnel », dont la France. Les autres pays limitrophes de la Belgique (Allemagne, Luxembourg et Pays-Bas) n’ont pas de tarif préférentiel et c’est dans notre pays que les accises sur le diesel « à usage professionnel » sont les plus faibles2. Le montant des remboursements du diesel professionnel s’élevait à 773 millions d’euros en 2019 (dernière année « pré-Covid »).
L’exemption dont bénéficient les transporteurs s’élevait à 247,62 euros pour 1 000 litres de diesel jusqu’en 2021. Effet cumulé de la volonté du Gouvernement fédéral (pour une petite partie) et de la diminution d’accises consécutive à la flambée du baril induite par la guerre en Ukraine (pour le principal), l’exemption ne s’élevait plus « que » à 82,34 euros pour 1 000 litres en 2022. La volonté du Gouvernement semble être de revenir à sa trajectoire de réduction progressive (et très modeste) des taux, de 205,07 euros pour 1 000 litres à partir du 1er avril 2023 jusqu’à 202,07 euros au 1er janvier 2026.
C’est sans doute contre-intuitif, mais cette mesure est particulièrement avantageuse pour les transporteurs établis dans les pays où le prix de la main-d’œuvre est inférieur à ce qu’il est dans notre pays. En effet, le poste « carburant » est plus important dans leur structure de coûts qu’il ne l’est en Belgique. Dès lors, toute diminution de ce poste creuse l’écart concurrentiel à leur avantage. Et 77 000 entreprises étrangères bénéficient du système contre 66 000 entreprises belges.
Le secteur belge des transports est soumis à forte pression. Sur le plan économique et social d’une part. En raison de la hausse des salaires et des coûts du carburant, le nombre de faillites a augmenté d’un tiers depuis le début de la pandémie de Covid, entraînant la faillite de 400 entreprises et la perte de 1 000 emplois. Sur le plan environnemental d’autre part. Réduire les émissions de gaz à effet de serre de ce secteur est l’une des principales pierres d’achoppement des politiques climatiques.
Pour identifier les solutions les plus efficaces aux défis du secteur, il convient de s’extraire du schéma mental du siècle passé et d’éviter les simplismes. La baisse du prix du carburant n’est ni une mesure efficace ni une mesure soutenable. Il revient aux décideurs politiques fédéraux et régionaux d’apporter un soutien pérenne aux transporteurs belges pour les guider vers la décarbonation. Et ceci dans le cadre d’une approche systémique identifiant les besoins de réduction du volume total de transport, les spécificités des différents secteurs (transports agricoles, carriers, …), les capacités de transfert de la route vers le rail et les voies fluviales et les priorités en termes d’électrification des véhicules.
Font sans aucun doute partie de ces solutions efficaces l’augmentation progressive des accises et la suppression graduelle du diesel professionnel. Ceci en veillant aux effets indésirables en termes d’impact budgétaire : un déplacement du « tourisme à la pompe » dont bénéficie actuellement notre pays vers un Etat voisin pourrait induire une baisse nette des recettes d’accises. Il convient donc de tirer opportunité de la révision (en cours) de la directive européenne sur la taxation de l’énergie pour y supprimer la possibilité d’exemption pour le diesel « à usage professionnel ».
Une telle politique intégrée devrait permettre de dégager des moyens budgétaires pour la reconversion partielle du secteur et son écologisation (déduction accrue pour les investissements dans les camions à motorisation alternative et les infrastructures de recharge, soutien ciblé pour les PME, …).
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