Le « KlimaTicket » autrichien : un exemple à suivre ?

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Le 26 octobre, l’Autriche a lancé officiellement un abonnement annuel valable pour tous les transports en commun du pays pour seulement 1.095 €, soit trois euros par jour. L’objectif est d’encourager l’usage des transports en commun, de réduire l’utilisation de la voiture et d’agir ainsi contre le dérèglement climatique. Une idée, séduisante sur le papier, à implémenter en Belgique ?

Précisions sur le « KlimaTicket »

Le « KlimaTicket Ö » est valable pour tous les transports réguliers des 9 Lands autrichiens (trains publics et privés, transports urbains et publics). Il est vendu au prix de 1.095 € par an ou 821 € par an pour les jeunes, les seniors et les personnes à mobilité réduite. Pour un supplément de 110 € par an, un abonné peut emmener gratuitement jusqu’à 4 enfants de moins de 15 ans. Le coût de l’opération pour l’Etat est estimé entre 200 et 300 millions d’euros par an. L’ambition climatique est claire sur le site dédié au KlimaTicket « C’est le ticket avec lequel nous visons à atteindre ensemble les objectifs climatiques de Paris. Les transports publics sont l’alternative écologique aux transports individuels motorisés. Plus vous participez, mieux c’est pour le climat. C’est pourquoi le KlimaTicket est simple et abordable ». Dans l’intention, cette mesure a donc le mérite d’offrir une réponse concrète aux citoyens qui demandent des actes en faveur du climat.

Transfert modal : même objectif en Belgique

Une chose est certaine : si nous voulons atteindre nos objectifs climatiques, nous devons convaincre beaucoup plus de gens de choisir les transports publics, non seulement pour aller travailler ou étudier, mais aussi pour les déplacements liés aux loisirs, commerces et visites qui représentent 60% des kilomètres parcourus en Belgique1. En Wallonie, la vision FAST fixe des objectifs de transfert modal pour 2030 : réduire de 80 à 60% les kilomètres parcourus en voiture et augmenter l’utilisation des autres modes de déplacement dont les transports en commun qui doivent passer de 13 à 25% des kilomètres parcourus. L’objectif annoncé du KlimaTicket répond donc aux ambitions wallonnes (et belges) de réduction des émissions de CO2 du secteur du transport de personnes.

Toutefois, il est difficile de prévoir l’importance exacte qu’aurait un abonnement illimité à prix attractif sur les habitudes de tout un chacun en Belgique. L’exemple autrichien nous permettra d’en savoir plus d’ici un ou deux ans. On sait que plus de 80.000 KlimaTicket ont été vendus en prévente ce qui est positif mais il faudra analyser précisément le profil des utilisateurs de ce nouveau produit. Il est en effet possible que cette proposition n’attire que des utilisateurs actuels des transports en commun qui y verront une réduction de leur coût de transport et ne provoque qu’un faible report modal depuis la voiture. Ou au contraire que le fait de réduire les prix et de présenter l’abonnement comme une solution à part entière dans le cadre de la lutte contre le dérèglement climatique créent une prise de conscience auprès d’automobilistes qui hésitent à faire le choix d’une autre mobilité.

Quel prix pour un « Abonnement climatique » belge ?

En Belgique, si une personne âgée entre 25 et 64 ans souhaite acheter un abonnement illimité auprès de la SNCB, elle doit actuellement débourser 3.286 €2. Si elle souhaite également s’abonner aux 3 sociétés régionales (STIB, TEC, De Lijn), le montant grimpe à 4.669 €2. Sur le papier, le prix autrichien est donc imbattable !

Mais dans les faits, toute la population belge ne se déplace pas suffisamment que pour rentabiliser un tel investissement. Un exemple : le prix du train en Belgique n’est pas si élevé que cela quand on utilise les Pass : Standard Multi (ancien Rail Pass) et Youth Multi (ancien Go Pass). N’importe qui peut se déplacer d’Arlon à Ostende pour 8,6 € maximum 2. Il faudrait faire plus de 64 allers-retours en Standard Multi par an pour qu’un abonnement illimité, dont le prix serait fixé à 1.095 €, soit rentable. Tout le monde n’est pas concerné, même lorsqu’on prend en compte un abonnement de quelques centaines d’euros auprès d’une des sociétés régionales pour les déplacements du quotidien ! Plusieurs catégories bénéficient déjà de facilités d’accès aux transports en commun : essentiellement les jeunes de moins de 25 ans, les personnes de plus de 65 ans et les étudiants. Le klimaTicket ne les attirerait sans doute pas sauf si une formule à prix réduit était envisagée comme en Autriche.

Il est probable que les premiers intéressés seraient les utilisateurs réguliers du train qui ne bénéficient pas de prix réduits, essentiellement des navetteurs. Un exemple parlant : le prix d’un abonnement annuel entre Ottignies et Bruxelles est de 1.045 € (gratuit pour un enfant de moins de 12 ans, 209 € pour un étudiant de 12 à 25 ans)2. Si on ajoute les 499 € 2nécessaires pour s’abonner à la STIB, le navetteur et son employeur, qui paye souvent tout ou partie des abonnements, en sortiraient gagnants. D’autant plus que l’ensemble du réseau serait utilisable toute l’année pour tous les autres déplacements ! Par ailleurs, on peut raisonnablement espérer que le prix attractif et le caractère illimité du produit incite une partie des automobilistes à adhérer à la démarche, en tout cas, parmi ceux qui ont facilement accès au réseau de transports en commun.

Le prix d’un klimaTicket belge devrait donc être bien étudié pour être attractif pour un maximum de profil sans mettre en danger la pérennité financière des sociétés de transports publics. Il est possible qu’il doive être encore moins cher que l’abonnement autrichien pour attirer les non-navetteurs vu le contexte belge.

Et pourquoi pas la gratuité ?

Cette proposition d’abonnement illimité fait écho au débat sur la gratuité des transports en commun qui revient périodiquement au-devant de la scène belge, encore récemment suite à une sortie de Paul Magnette 3. Notre point de vue est clair sur le sujet : Nous ne sommes pas contre la gratuité des transports publics mais il ne faut pas se tromper d’enjeu. La gratuité est une mesure sociale avant d’être une mesure environnementale. Elle permet de donner un accès financier plus facile à un service existant pour toute la population ce qui est  favorable à l’inclusion sociale des moins nantis. Elle a aussi l’avantage de réduire le sentiment d’une partie de la population qui associe les transports en commun à un mode de déplacements réservés aux personnes incapables de s’acheter une automobile, à la limite aux navetteurs.

Par contre, le coût des transports en commun n’est pas le principal facteur d’un transfert modal réussi. Pour ce faire, il est plus important de mettre à disposition de la population une offre de transports publics attractive et efficace. A l’exception de citoyens très engagés, personne n’abandonnera sa voiture si on doit passer une heure de plus par jour dans les transports en commun, même s’ils sont gratuits ou à moindre coût. Vu les moyens budgétaires limités alloués aux transports publics, nous privilégions donc l’investissement dans l’offre de transports à la gratuité totale. Les revenus générés par la billetterie nous paraissent actuellement mieux investis dans l’amélioration du réseau de transport : plus d’offre le matin, en journée, le soir voire la nuit, une meilleure ponctualité, de meilleures correspondances entre les différents modes, etc.

On parviendra à convaincre une partie de la population de changer ses habitudes de mobilité à la seule condition que le service proposé soit une alternative crédible et sûre à la voiture individuelle (et même partagée). Jouer sur le tarif pourrait alors provoquer un effet amplificateur de l’utilisation d’un réseau de transports en commun qui aurait retrouvé la confiance des utilisateurs.

Un KlimaTicket belge est donc envisageable et même souhaitable mais à la condition d’avoir préalablement réinvesti dans les transports en commun ou à la condition que les pouvoirs publics dégagent suffisamment de moyens financiers pour se permettre de faire les deux en même temps.

Il est difficile de ne pas faire un lien avec le système des voitures de société qui « coûte » à l’Etat entre 2 et 3 milliards d’euros selon les sources. Une somme importante qui pourrait être réinvestie dans les transports en commun tant pour développer massivement l’offre que pour proposer le KlimaTicket voire la gratuité. De plus, une proportion importante de la population de travailleurs (près de 30% des employés en possèdent une, 2% des ouvriers) n’est de facto pas du tout incitée à l’utilisation des transports en commun ce qui rendrait moins efficace la mise en place d’un KlimaTicket. Le nombre de voitures de société augmente sans cesse et ce n’est pas l’électrification qui freinera cette croissance. Il est impératif de stopper ces « subsides » à l’automobile, contraire à nos objectifs climatiques, pour permettre un report modal efficace vers les transports en commun et les modes actifs. Si vous souhaitez en savoir plus sur la gratuité des transports en commun, un article détaillait déjà notre point de vue en 2019.

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  1. Bureau fédéral du Plan, 2015.
  2. Prix au 1er novembre 2021 hors tarif social éventuel.
  3. https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_paul-magnette-veut-la-gratuite-totale-des-transports-en-commun-dans-la-lignee-de-l-ecosocialisme-prone-par-le-ps?id=10848441

Denis Jacob

Mobilité