Lors de la dernière COP sur le climat, Monsieur Antonio Gutteres, secrétaire général des Nations Unies, frappait les esprits en rappelant avec force que « notre planète approche rapidement des points de non retour qui rendront le chaos climatique irréversible » et déplorant que « sur l’autoroute de l’enfer climatique, notre pied est sur l’accélérateur. » Un mois plus tard, lors de la COP sur la biodiversité, il employait à nouveau des mots forts pour qualifier l’urgence à endiguer l’extinction massive des espèces et la destruction de la nature. Il soulignait que nos habitudes de production et de consommation intensives détruisent notre monde et qu’à travers la guerre que nous faisons à la nature, à travers la pollution des sols, de l’eau et de l’air, l’humanité est devenue « une arme de d’extinction massive »… La manière dont se « développe » une certaine activité économique en Wallonie constitue malheureusement une parfaite illustration du bien-fondé des propos alarmants (mais non alarmistes !) de Monsieur Gutteres.
Les objectifs de limiter le réchauffement de la planète et de stopper l’effondrement de la biodiversité ont été reconnus comme des priorités absolues au niveau mondial. La majorité des gouvernements du monde se sont donc engagés à traduire ces objectifs dans leurs politiques au niveau national, régionale et local. Ainsi, le gouvernement wallon a intégré ces priorités dans son Projet de Plan Air Climat Energie 2030 adopté le 16 décembre 2022. Concernant le secteur du transport, responsable d’un quart des émissions de CO2 de la Wallonie, ce plan inclut comme objectifs prioritaires la réduction ou la modification des besoins de déplacement, l’aménagement du territoire pour une mobilité bas carbone, la préservation des écosystèmes naturels et l’augmentation de la résilience des territoires.
Ces objectifs régionaux et internationaux, si urgents et irréfutables qu’ils soient, se trouvent néanmoins confrontés à des intérêts économiques puissants sur le terrain. Ce rapport de force se retrouve dans une demande de permis unique déposée récemment dans la commune de Grâce-Hollogne en province de Liège. La demande, accompagnée d’une étude d’incidences sur l’environnement, a été déposée par le groupe logistique belge Weerts et concerne la construction de cinq halls logistiques et de parkings sur une vaste surface de 29 hectares dans la zone de Fontaine, à proximité directe de l’aéroport de Bierset.
Le groupe Weerts est un acteur économique puissant en Wallonie et il a une présence de plus en plus importante au niveau national. À Liège d’abord, avec le Trilogiport et le zoning des Hauts-Sarts à Milmort. Dans le Limbourg et le Hainaut ensuite, avec des projets similaires de construction de gigantesques entrepôts, notamment sur le site du Garocentre à La Louvière. Bien que l’accent soit invariablement mis sur la création d’emplois (particulièrement dans la presse locale), on peut questionner le caractère durable de ces emplois et la pérennité de ce type de projets à haute empreinte carbone et impact environnemental très étendu.
Le développement exponentiel de l’activité du fret (routier et aérien) en Wallonie s’inscrit clairement à contre-courant des engagements et priorités des gouvernements belge et wallon dans le cadre de la lutte contre le dérèglement climatique et le déclin de la biodiversité. Cette activité entraîne d’importantes émissions de gaz à effet de serre, de polluants atmosphériques et de bruit. Elle implique de bétonner de grandes surfaces pour construire des entrepôts et des parkings, entraînant ainsi la destruction de la biodiversité et des habitats naturels (lesquels permettent aussi de stocker le carbone).
Dans le cas précis du projet de Fontaine, l’étude d’incidences environnementales reconnaît également que l’imperméabilisation très importante des parcelles concernées impliquera des risques accrus d’inondations, un appauvrissement des ressources en eau des villes de Liège et de Waremme et des risques notables de pollution des sols et des eaux par des hydrocarbures. Le transit de centaines de camions sur les abords du site (450 poids lourds générant plus de 2000 mouvements par jour) contribuera également à une augmentation importante des gaz à effet de serre et des particules polluantes nocives pour la santé qui seront diffusées dans l’atmosphère.
De nombreuses voix s’élèvent contre ce projet, actuellement en phase d’examen par l’administration wallonne après la clôture de l’enquête publique le 30 janvier 2023. Parmi celles-ci, le Comité Liège Air Propre (CLAP) et le collectif Stop Alibaba ont dénoncé la précarité des emplois générés dans le secteur de la logistique, les nuisances sonores et la pollution qui seront engendrées par le trafic des camions. Dans son courrier, Canopea a également mis en exergue les impacts sur le paysage, l’agriculture, la mobilité, les déchets, la biodiversité et l’hydrologie. Mentionnons également le courrier imparablement argumenté envoyé par Josepha Close, docteure en droit international, au nom de la Fondation Fayhai. En ressort clairement la totale incompatibilité du projet avec les priorités et engagements du gouvernement wallon dans sa déclaration de politique générale et son Plan Air Climat Energie. Citons-en les conclusions :
Les risques et incidences négatives très importantes qui seront engendrés par le projet Weerts paraissent tout à fait hors de proportion avec son impact positif hypothétique sur le développement d’une activité économique précaire en Wallonie qui ne pourrait en tout état de cause pas prospérer dans le long terme. Une décision de prendre des risques dans ces domaines particuliers serait de plus clairement contraire aux engagements internationaux de la Belgique et à ceux de la région wallone vis-à-vis de ses citoyens.
Il reste à espérer que les mots d’Antonio Gutteres résonnent à l’oreille des gouvernants wallons et leur donne le courage de privilégier l’intérêt général de la région liégeoise et des génération futures plutôt que l’intérêt à court terme d’un acteur économique prospère.
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