Si le mouvement environnemental n’a de cesse de pointer les impacts environnementaux, mais aussi sociaux liés à aux énergies fossiles[Voir le dossier complet Le Livre Noir des Energies Fossiles http://www.iewonline.be/spip.php?article7025]], depuis quelques années les signaux d’alerte s’étendent également aux sphères économiques. IEW a été une des premières organisations en Belgique à pointer les risques liés à une [bulle carbone. A quelques jours de l’ouverture de la COP21, comment cette menace est-elle prise en compte ?
Budget serré, une bulle qui enfle
La notion de budget carbone est dictée par l’ambition de la communauté internationale de limiter le réchauffement global à 2°C à l’horizon 2100. Une ambition doit être traduite par des engagements concrets de la part des états. Différentes voies doivent être empruntées et poursuivies sur le chemin de la décarbonisation de nos sociétés et il est évident que continuer à exploiter les énergies fossiles au rythme actuel nous mène tout droit dans une impasse. Le budget carbone dont nous disposons est connu[[Carbon Tracker Initiative- Unburnable carbon- Are the world’s financial markets carrying a carbon bubble ? Rapport 2014]] (886 GtCO2 entre 2000 et 2050). Or, le contenu carbone de la totalité des réserves prouvées[[réserves prouvées : réserves pour lesquelles il y a 90% de chance de récupérer plus de pétrole ou de gaz que l’estimation annoncée]] en charbon, pétrole et gaz est estimé lui à 2795 GtCO2, soit 5 fois plus que le budget admissible pour les 40 prochaines années. Bref, il nous faudra laisser dans le sol la majorité des réserves d’énergies fossiles si nous ne voulons pas dépasser le seuil critique au-delà duquel les conséquences seront incontrôlables et irréversibles.
Le fait que le système fiscal et financier mondial, à travers des aides d’état, une fiscalité avantageuse, des fonds d’investissement privés et (semi)publics, etc. continue à investir dans l’exploration et l’exploitation d’énergies qui n’ont pas d’avenir est un non-sens qui fait courir un risque systémique puisqu’une grande partie des actifs des sociétés actives dans les énergies fossiles seront dépréciés par la contrainte climatique.
De la rue aux cénacles politiques, financiers et religieux
Depuis 2011, différents mouvements citoyens rassemblés sous la coupole de 350.org appellent à une prise de conscience de la part de communautés pour que celles-ci désinvestissent les énergies fossiles. Universités, fondations, congrégations religieuses, fonds de pension, organismes publics… près de 500 institutions se sont engagées à ne plus placer leurs billes dans les énergies fossiles. D’après 350.org la valeur de ces désinvestissements avoisine aujourd’hui les 2 600 milliards de dollars ! Un chiffre impressionnant qui montre la force et l’impact d’actions citoyennes même s’il reste beaucoup à faire puisque la valeur des actifs sur les places boursières des 100 plus grandes compagnies représente plus du triple.
Ces derniers mois, des signaux positifs ont été émis par des instances internationales et par différents courants, qui, on l’espère, auront une portée plus que symbolique à l’heure de prendre des engagements. En juin dernier, le G7 a pour la première fois annoncé une volonté de décarbonisation complète de l’économie mondiale notamment « en transformant les secteurs énergétiques » pour atteindre le « zéro émission » au niveau des énergies fossiles d’ici 2100.
Les Nations unies par son organe qui est la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (unfccc) a appelé sans détour au désinvestissement et a présenté les alternatives, à savoir les investissements dans les secteurs énergétiques propres et efficients comme « the Clearest, No-Regret Investment Choice ». Lors de la Climate Week qui s’est déroulée à New York en septembre dernier, de grands noms de la finance (Justin Rockfeller) mais aussi du show biz (Leonardo DiCaprio) ont présenté les résultats du mouvement Divest-Invest qui a réussi à réorienter les portefeuilles de plus de 430 institutions.
Des économistes de renom comme Jospeh Stiglitz et Thomas Pikkety[[http://www.theguardian.com/environment/2015/nov/14/thomas-piketty-economist-investors-divest-fossil-fuels-ahead-climate-talks]] alertent également sur les dangers financiers et économiques que constituerait cette fuite en avant en investissant dans des énergies qui mettent le bien-être des citoyens en danger.
Enfin, en octobre dernier 154 chefs religieux de différents groupes confessionnels ont signé une déclaration « pour un futur sans carbone, équitable et résistant au changement climatique » dans laquelle ils exhortent les gouvernements à arrêter progressivement l’utilisation des énergies fossiles. Avec la Déclaration bouddhiste sur le changement climatique et la Lettre rabbinique sur la crise climatique l’année dernière, la Déclaration islamique sur le changement climatique ou encore la dernière encyclique du pape François « Laudato Si » en 2015, toutes les confessions appellent à l’abandon des énergies fossiles. Qu’on soit croyant ou non, ce positionnement du monde religieux est historique comme l’explique l’économiste Jean Gadrey dans un de ses billets.
Des mots à l’action
Malgré ces appels convergents et montants colossaux désinvestis, la schizophrénie et les doubles langages perdurent. Certaines banques françaises par exemple, dont BNP Paribas qui est partenaire officiel de la COP21, ont investi 129 milliards d’euros dans le secteur des fossiles entre 2009 et 2014[Rapport Fair finance France- Banques françaises : quand le vert vire au noir (novembre 2015) http://www.fairfinancefrance.org/media/60889/banques-fran%C3%A7aises-quand-le-vert-vire-au-noir.pdf]]. Le magasine Basta! a d’ailleurs décerné son [« prix Pinocchio » pour dénoncer l’hypocrisie des multinationales face à la crise climatique. La Grande-Bretagne, qui avait pourtant pris des initiatives allant dans le sens d’une prise en considération de la menace d’une bulle carbone[En 2014 la Bank of England a exprimé ses inquiétudes auprès de l’Environmental Audit Committee britannique et poursuit son enquête sur les impacts économiques que pourraient avoir ces actifs à risques]], est aujourd’hui [le seul pays du G7 ayant augmenté ses investissements dans les énergies fossiles…
On le voit, même si l’évolution des mentalités est sensible au sein de différents cénacles, il reste encore beaucoup à faire pour transformer les intentions en action. L’histoire a maintes fois montré que prendre conscience d’un danger n’est pas suffisant pour l’adoption de réponses adéquates à la menace que représente une bulle carbone. Si des décisions et engagements cruciaux pour le futur de la planète doivent être pris lors de la COP décembre, gardons à l’esprit que ce « sommet » ne constitue pas un aboutissement, ce n’est qu’une étape. La mobilisation citoyenne a maintenant tracé une voie assez large pour qu’on ne puisse s’en détourner.
Passez à l’action en signant la pétition : http://www.mabanquezerocarbone.be