Bonne nouvelle ! Le Plan Air Climat Energie wallon à l’horizon 2030, plus communément appelé PACE, est passé en 1ère lecture au Gouvernement ! Seconde bonne nouvelle : Il se veut ambitieux et vise une réduction de 55% des émissions de gaz à effets de serre (GES) sur la période 1990-2030 ! Pour de nombreux observateurs, dont Canopea, le PACE dépasse cependant difficilement le seuil des bonnes intentions. Les mesures qui y sont proposées risquent malheureusement de se révéler insuffisantes pour permettre l’atteinte de ces objectifs pourtant cruciaux. Une transformation de la société wallonne à la hauteur de l’urgence climatique nécessite une action plus forte, transversale et courageuse de l’ensemble du Gouvernement. Agir trop peu, c’est se condamner à subir.
Tout d’abord, il est important de rappeler que ces objectifs, aussi ambitieux soient-ils, sont imposés par l’urgence climatique découlant de décennies d’inaction politique. Si l’on veut garantir des conditions de vie décentes pour les générations futures (ainsi que pour les générations actuelles, les effets du dérèglement climatique se faisant déjà sentir tout autour du globe), l’atteinte de ces objectifs est un impératif pour tout un chacun. Ces 55% de réductions ne sont, par ailleurs, qu’un minimum sur une trajectoire de décarbonation totale de notre économie à l’horizon 2050, en se rappelant que, comme dans une course de fond, ce sont toujours les derniers mètres qui sont les plus difficiles à parcourir…
Aux yeux de Canopea, les mesures qui sont proposées dans ce PACE sont loin d’être suffisantes et permettront difficilement d’atteindre les objectifs énoncés ci-dessus. Une bonne partie des mesures présentées, par exemple, sont déjà d’application ou en développement dans notre région. Nous ne pouvons que déplorer le peu de mesures additionnelles. D’autres mesures pertinentes, pourtant présentes dans le projet de PACE rendu public en octobre 2022 (voir position de Canopea sur ce projet), ont été purement et simplement abandonnées (notamment dans la section mobilité et aménagement du territoire). Le Gouvernement actuel espère peut-être que les mesures du PACE permettront tout de même l’atteinte des objectifs, ou que le prochain Gouvernement prendra des mesures supplémentaires si le compte n’y est pas. Il peine cependant à convaincre le lecteur de la suffisance de son action à ce stade, et ne propose aucune estimation chiffrée de l’impact de chaque mesure tout en omettant de présenter les hypothèses utilisées dans ses différents scenarii.
Concrètement, ça donne QUOI ?
Les efforts à fournir pour atteindre ces objectifs à l’horizon 2030 et 2050 sont colossaux. Tous les secteurs doivent participer, en fonction de leurs spécificités. La figure ci-dessous nous montre la répartition sectorielle des émissions de GES wallons (pour l’année 2020). On peut y voir que les plus gros émetteurs sont les secteurs de l’industrie, du transport et le secteur résidentiel.
Secteur résidentiel
Pour le secteur résidentiel, on peut se réjouir de voir apparaitre des mesures absolument nécessaires :
La fin progressive programmée pour le chauffage au charbon et au mazout, bien que l’horizon ne soit pas encore totalement défini et que la manière concrète d’y arriver reste floue. On peut cependant regretter que le gaz ne soit, lui, pas totalement considéré comme une énergie fossile aux yeux des décideurs publics, vu que le PACE ne prévoit que le lancement d’une réflexion sur une stratégie de sortie du gaz non-renouvelable à l’horizon 2050 et un maintien, voire un développement, du réseau de distribution actuel.
L’obligation de rénovation d’un bien lors d’un changement de propriétaire ou pour les biens loués. Cette mesure est une nécessité pour enclencher la vague de rénovation. C’est surtout une mesure sociale qui devrait permettre aux locataires de ne plus se retrouver piégés dans des passoires énergétiques avec des factures faramineuses comme cet hiver.
L’imposition de standards énergétiques ambitieux pour les nouvelles constructions. Si cette mesure permettra de faire baisser une part importante de nos GES, le timing d’introduction est beaucoup trop lent. Le Gouvernement vise une performance moyenne de l’ensemble du parc résidentiel, y compris le logement existant, d’un niveau de PEB A à l’horizon 2050. Or, il n’impose pas de standards plus élevés (comme des PEB A+ ou A++) avant 2030 pour les nouvelles constructions.
Secteur des transports
Si les mesures concernant le logement vont dans le bon sens, le PACE propose peu de mesures significatives au niveau des transports, malgré la volonté d’infléchir fortement les émissions. En effet, une réduction (bien nécessaire) de 43 % des émissions de GES est visée pour la période 2005-2030, alors que seule une réduction de 8 % a été réalisée entre 2005 et 2019. Les objectifs à l’horizon 2030 imposent donc un rythme 9 fois plus élevé que le rythme récent, ce qui nécessite l’adoption de mesures de rupture, et une sortie de nos logiciels du vingtième siècle ! Citons, parmi d’autres problèmes, le fait d’avoir retiré de la liste des mesures une diminution de la vitesse maximale autorisée sur nos routes, alors qu’elle était présente dans la version d’octobre 2022 ainsi que dans les propositions du panel citoyen. Il s’agissait d’une manière simple de réduire les émissions liées au transport, déjà appliquée dans beaucoup de régions limitrophes (France, Flandre, Pays-Bas…) et qui, en plus des réductions d’émissions, apporte des bienfaits importants en termes de sécurité routière, notamment! Par rapport à la déclaration de politique régionale de 2019, le PACE est également bien moins ambitieux au niveau de la fiscalité automobile, alors qu’il s’agit d’un élément clé pour réduire la taille et la consommation excessives de nos véhicules.
Le transport de marchandises, qui est pourtant responsable de près d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre liées au transport en Wallonie, est peu mis à contribution dans le PACE. Celui-ci ne préconise qu’une baisse de 15 % des émissions dans ce secteur, associé à une stabilisation de la demande en transport de marchandises d’ici 2030. Imposer une diminution au transport de marchandises semble constituer un tabou, au motif que la demande serait induite par les choix de consommation. Il existe cependant de nombreuses mesures, en particulier les mesures de consolidation de flux logistiques, permettant de limiter le transport de marchandises sans modifier les comportements de consommation. Sans oublier qu’une modification de ces derniers doit également faire partie intégrante du débat. En effet, nous ne parviendrons pas à réduire sensiblement notre empreinte environnementale sans modification de nos modes de vie. Consommer à tout va des produits hors saison ou venant de l’autre bout de la terre, choisir une livraison à domicile dans les 24h, … ne sont que quelques exemples de comportements qui peuvent être modifiés sans trop d’impact sur notre bien-être. Aller vers davantage de sobriété, notamment dans notre consommation de viande, et se reposer sur des productions plus ancrées localement ne doivent pas spécialement être perçus comme des retours en arrière et des régressions sociales !
Concernant l’aménagement du territoire, les mesures les plus ambitieuses proposées dans la version précédente (on pense, par exemple, au fait de faciliter la mobilité résidentielle via la fiscalité immobilière ou encore à l’insertion de motifs de mobilité durable dans les possibilités de refus ou de modification de permis) ont aussi disparu. La formulation des mesures restantes est fort tiède, peu engageante et surtout non-contraignante. L’aménagement du territoire impacte pourtant fortement et pour plusieurs décennies les besoins en mobilité de la population. Pour Canopea, il est vital de conditionner le développement de projets, y compris urbanistiques, à une compatibilité avec une mobilité indépendante de la voiture individuelle. Il faut arrêter de rendre le wallon toujours plus prisonnier de sa voiture.
Secteur industriel
Enfin, nous regrettons le statut particulier appliqué au secteur industriel et particulièrement à celui soumis au système européen ETS (Emission Trading scheme, qui régule les émissions industrielles sur base d’échanges de permis de polluer). En effet, aucun objectif n’a été fixé pour ce secteur d’ici 2030 avec pour seule justification que cela “risquerait d’être contre-productif en incitant à la délocalisation et à l’importation sans réduction de l’impact global” (p.48). Cette justification est, pour nous, incohérente avec l’objectif d’avoir une industrie wallonne décarbonée d’ici 2050 et incohérente avec les compétences stratégiques dont la région dispose pour favoriser l’émergence d’une telle industrie, si elle le voulait. Peu de mesures, donc, pour initier la transformation industrielle sur le territoire wallon, et réduire les émissions de nos industries, pourtant responsables de 31% de nos émissions de GES, en dehors des nouveaux accords de branche (accords volontaires) en cours de finalisation actuellement.
Est-ce que ça va prendre auprès de la POPULATION ?
Comme nous l’avons déjà exprimé, nous regrettons que beaucoup de propositions du panel citoyen n’aient pas été reprises dans ce projet de PACE. Plus largement, le fait de n’avoir aucune analyse et justification du rejet ou de l’acceptation de ces mesures risque d’envoyer un message négatif aux citoyens et de mettre à mal la confiance en ce type de processus, pourtant crucial pour la gouvernance environnementale. Si l’on veut une adhésion massive de la population, il est primordial de prendre en compte son avis quand celle-ci a l’opportunité de s’exprimer !
Par ailleurs, pour que la transition soit acceptée par toutes et tous et qu’elle ne laisse personne au bord du chemin, il elle crucial qu’elle soit juste socialement. Les inégalités et la précarité ont fortement augmenté ces dernières années. Par ailleurs, les personnes les plus riches génèrent proportionnellement énormément d’émissions de GES comparé aux personnes les plus pauvres (voir notamment le rapport d’Oxfam à ce sujet). Il semble donc pertinent de faire contribuer davantage les hauts patrimoines et hauts revenus à la lutte contre le dérèglement climatique. De même, il est nécessaire d’accompagner les plus pauvres, qui risquent de devoir encore davantage se priver au niveau de leurs besoins de base pour répondre aux différentes contraintes et obligations. Les efforts n’ont pas la même signification au vu des inégalités de revenus. Les obligations de rénovation de logements ou l’impossibilité d’installer des systèmes de chauffage au mazout et au charbon, par exemple, auront un impact financier proportionnellement bien plus important pour les ménages les plus précaires, qu’il faut donc nécessairement soutenir et accompagner. Or, les aides prévues à cet effet sont loin d’être détaillées dans ce projet de PACE. La transition juste et la justice sociale demeurent trop peu présentes dans les mesures, même si elles sont présentées comme un principe directeur du Plan. C’est pourtant un élément essentiel pour susciter l’adhésion de l’ensemble de la population.
Et ça change vraiment par rapport à ce qu’on faisait avant?
Le défi qui nous attend est donc immense et nécessite des modifications importantes de notre société, de nos comportements individuels et de notre système économique. Pour arriver à réduire drastiquement nos émissions, il est nécessaire de prendre des mesures disruptives et de sortir de nos modes de fonctionnement antérieurs. Garder un business as usual, en ne changeant pas grand chose et en attendant juste des évolutions technologiques et des amendements à la marge ne suffira pas. Or, c’est trop régulièrement ce qui transparait à la lecture du PACE, ce qui n’incite pas à l’optimisme au vu des objectifs à atteindre!
La plupart des mesuresrestent incitatives (primes, aides), notamment dans le secteur des transports. Or, étant donné l’ampleur de la réduction nécessaire, il nous semble difficile d’imaginer que certaines mesures réglementaires ne soient pas prises. Citons , par exemple, l’obligation d’installations d’énergie renouvelable sur le bâtiment neuf, des mesures visant à favoriser la mobilité résidentielle, une politique volontariste visant à stopper au plus tôt l’artificialisation et l’étalement urbain, moteur de la dépendance automobile, ou encore des mesures concrètes pour baisser la consommation de viande rouge.
Par ailleurs, ce projet de plan oublie totalementles mesures de sobriété qui sont pourtant une composante absolument nécessaire de la transformation climatique, notamment mises en avant par le GIEC dans son dernier rapport, en complément des évolutions techniques. Une part grandissante de la population et une partie du monde politique commence à comprendre que, si l’on souhaite préserver une planète viable, des changements seront nécessaires dans nos modes de vie. Il est dommageable, dès lors, de ne retrouver cette orientation qu’à de rares endroits dans le PACE, généralement liée à des problématiques très précises (sobriété numérique, par exemple).
Chez Canopea, nous estimons donc que, d’ici la seconde lecture, le Gouvernement devra mettre les bouchées doubles. Et surtout oser : que chaque ministre ose des mesures à la hauteur du problème, et cela pour mettre la société wallonne en meilleure position face aux chocs à venir, et construire une résilience sociale et économique!
Pour aller plus loin: Avis Canopea sur le PACE
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