Le peuple suisse met un sérieux frein à l’urbanisation

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62,9% de la population suisse s’est exprimée le 3 mars dernier en faveur d’un durcissement de la législation sur l’aménagement du territoire. Objectif : limiter la poursuite de l’urbanisation qui constitue une menace au développement durable du pays.

La fierté des Suisses pour leur modèle de société repose probablemement plus sur la qualité de leur système de démocratie participative que sur la beauté de leurs montagnes ou leur haut niveau de vie. Par ailleurs, si l’on parle beaucoup de participation citoyenne en Wallonie et si on en expérimente de nombreuses formules, force est de constater que l’on n’arrive pas à la cheville des processus démocratiques décisionnels à l’oeuvre chez les Helvètes.

L’ensemble de l’action publique peut en effet y être discuté et décidé dans le cadre de votations qui ont lieu fréquemment et qui sont l’occasion pour le peuple souverain d’imprimer dans la législation, sans intermédiaire aucun, ses choix pour l’avenir. De cette ouverture totale de l’action publique à la population, aucune matière et aucun niveau de norme ne sont exclues. La Constitution de la Confédération et les lois fédérales se voient ainsi régulièrement enrichies de paragraphes issus directement de la population sur des sujets aussi divers que le financement des pensions, les exportations d’armes ou l’utilisation du sol.

C’est justement sur l’utilisation du sol que portait, en partie, la dernière votation qui a eu lieu le 3 mars dernier.

Quelques éléments de contexte : le Parlement avait adopté la modification de la loi sur l’Aménagement du territoire, à titre de contre-projet indirect à l’initiative pour le paysage. Celle-ci, plus contraignante, visait à interdire pendant vingt ans l’augmentation de la surface totale des zones urbanisables en Suisse. Le groupe de pression environnemental a retiré son initiative à condition que la modification de la loi proposée par le gouvernement entre en vigueur. En substance, si la révision avait été rejetée par votation, l’inititiave populaire pour le paysage aurait été re-soumise au vote.

Mais il n’en a rien été. Le 3 mars 2013, la population suisse s’est prononcée en faveur de la révision de la loi sur l’Aménagement du territoire. Le résultat a été sans appel : 62,9% de la population suisse s’est exprimée favorablement au durcissement de la législation. L’ensemble des cantons a voté dans le même sens. Seule exception à ce raz-de-marée populaire, le canton du Valais qui a exprimé sa plus grande inquiétude en votant contre à 80%. Il faut dire que plus que tout autre le canton du Valais vit pour l’essentiel de son économie du tourisme organisée autour de ses stations de sport d’hiver prestigieuses comme Verbier, Morgins, Crans-Montana ou Nendaz, et qu’en l’état, cette économie du tourisme reste fortement orientée sur le développement immobilier.

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Grandes disparités territoriales dans les zones urbanisables non construites en Suisse. Le Valais – la large vallée au sud ouest du pays – présente clairement les plus grandes possibilités

Cette décision de la population suisse pourrait freiner drastiquement le mitage du territoire, et ce faisant, endiguer le gaspillage du sol, de garantir un développement de l’urbanisation plus compact et ménager le paysage. L’attractivité du territoire suisse comme lieu de résidence et comme lieu de travail ne devrait donc pas diminuer.

Plus concrètement

L’objectif de la révision de la loi sur l’Aménagement du territoire est de mettre un frein au gaspillage du sol et au mitage du territoire. Cette révision vise à assurer un développement plus compact du milieu bâti, à mieux utiliser les friches urbaines et à réduire les zones urbanisables surdimensionnées. La taille des zones urbanisables devra se fonder sur les besoins prévisibles pour les quinze ans à venir. Dans de nombreuses communes en effet, les zones urbanisables sont beaucoup plus vastes que nécessaire. Il faudra procéder à des déclassements de la zone urbanisable, là où, par le passé, les autorités en avaient délimité une trop vastes.

Il est donc important de définir les zones urbanisables avec mesure, un excès de celles-ci favorisant une urbanisation éparse. En conséquence, la surface occupée par l’urbanisation s’accroît et le paysage en souffre, et avec lui le tourisme et l’agriculture. En outre, le raccordement de ces zones au réseau routier et aux conduites (eau, électricité, égouts, rondes de la police, distribution du courrier) coûte plus cher.

La révision améliore par ailleurs la disponibilité des terrains classés en zone urbanisable. Ceux-ci ne doivent pas être thésaurisés pendant des années, mais être utilisés de manière judicieuse, pour répondre aux besoins de développement territorial. Un remaniement parcellaire peut être nécessaire à cet égard. Il consiste à échanger des parcelles pour créer des zones continues propres à la construction. A titre exceptionnel et en dernier recours, les cantons pourront contraindre un propriétaire à construire sur son terrain dans un certain délai. Ils ne pourront toutefois ordonner une telle mesure que si l’intérêt public est prépondérant, notamment pour empêcher une thésaurisation spéculative du terrain concerné.

Les cantons prendront ces mesures d’amélioration foncière en collaboration avec les communes et en tenant compte des particularités locales.

Lorsqu’un terrain est reclassé en zone urbanisable, sa valeur augmente fortement. La révision prévoit que les cantons et les communes recevront désormais au moins 20% de cette plus-value. Les propriétaires ne devront toutefois pas acquitter la taxe immédiatement : celle-ci est due lorsqu’ils ont touché cette plus-value, à savoir après la vente de leur terrain ou une fois que celui-ci est construit. Les cantons et les communes utiliseront le produit de la taxe pour indemniser les propriétaires dont les terrains sont déclassés, opération par laquelle ils perdent de la valeur.

La révision ne sera pas opérationnelle du jour au lendemain. D’abord, les cantons adapteront leurs plans directeurs dans un délai de cinq ans. Ensuite, il conviendra d’adapter les plans d’affectation des communes. C’est seulement après qu’interviendra la véritable gestion des terrains urbanisables. Plus la situation est complexe dans un canton, plus la procédure concernant les déclassements nécessaires risque d’être longue. Dès lors, il faut s’attendre à ce que la gestion des zones urbanisables s’échelonne sur une vingtaine d’années. Un temps qui peut sembler long au regard de la temporalité courte de la politique mais qui s’inscrit totalement dans la temporalité longue du territoire.

Une législation “marxiste” ? Nécessaire en tous cas !

Une telle législation risquerait d’être taxée de marxiste dans le débat public wallon. Si on met par exemple les innovations de la législation suisse en perspective avec les discussions autour des noyaux d’habitat, il y a de quoi se poser des questions. Accusation pour le moins décalée quand on connaît l’ancrage politique historique respectivement de la Wallonie et de la Suisse. En tout cas, quand on s’intéresse un peu à la santé de notre territoire, on ne peut qu’être séduit par la créativité, même prudente, du législateur populaire suisse.

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La région de Lausanne au bord du lac Léman en 1938 (en haut) et en 2011 (en bas). L’urbanisation, à la faveur de la voiture individuelle et de contraintes minimes en terme de construction, s’est desserée dans des proportions spectaculaires, se développant tout au long des berges et dans les franges rurales (crédits : swisstopo)

Différents arguments permettent de convaincre du bien fondé de cette politique toute personne un minimum sensible à son environnement :

 en Suisse, les surfaces bâties croissent à un rythme soutenu, soit 27 km2 chaque année. Cette augmentation n’est pas seulement due à l’augmentation de la population. Dans la plupart des cantons, les surfaces bâties croissent nettement plus vite que la population.

 les surfaces agricoles diminuent constamment, perdant chaque année 40 km2 de leurs sols les plus fertiles.

 le mitage du territoire impacte de plus en plus les paysages, diminuant d’autant l’attrait touristique du pays.

 les habitats naturels sont de plus en plus morcelés, allongeant en conséquence les listes d’espèces menacées.

 l’extension de l’urbanisation génère des coûts d’infrastructure de plus en plus élevés aux pouvoirs publics (transports en commun, routes, impétrants).

 l’éparpillement des fonctions sur le territoire provoque l’explosion des besoins en mobilité.

Des problématiques quasi universelles dont on observe chaque jour avec un certain désespoir les incidences les plus néfastes sur le territoire wallon.