Que ce soit en ville ou dans les communes rurales, le Plan de secteur joue très mal son rôle de garde-fou contre l’urbanisation, notamment parce qu’il en est empêché par les permis en dérogation. Le présent article tente d’expliquer l’inexplicable. A savoir, l’urbanisation des zones non urbanisables. Il s’agit de comprendre le contexte régional pour soutenir d’autres manières de faire, en connaissance de cause.
L’article « Artificialisation et Plan de secteur », dans Échelle Humaine n°4, démontrait comment le Plan de secteur, dans son état actuel, est tout sauf une solution à l’artificialisation. Il fallait tordre le cou à ce poulet. Une autre croyance a la vie tout aussi dure, c’est celle d’un Plan de secteur défenseur des « fonctions faibles » : agriculture, nature, espaces verts, forêts, parcs.
Fonctions « faibles » en zone urbanisable
Le bilan des terrains artificialisés en Wallonie atteste d’un phénomène qui conquiert sans relâche de nouvelles terres. Ces nouvelles terres, elles ne tombent pas du ciel, elles ont un usage bien réel avant d’être bâties ou traversées par une route.
La fonction qui a le plus cédé le pas devant l’avancée de l’urbanisation ? La fonction agricole. Par fonction agricole, il faut comprendre l’éventail des activités agricoles menées dans les parcelles jusqu’à ce qu’elles soient bâties. Il y a, aujourd’hui, des activités agricoles dans de très nombreuses parcelles situées en zone urbanisable, que ce soit en ville ou à la campagne. Elles pourront se poursuivre jusqu’à ce que le terrain soit mis en œuvre, c’est à dire que le permis d’urbanisme soit accordé et que les travaux commencent.
Il ne faut pas s’étonner, dès lors, de la boulimie de m² des projets immobiliers anciens et récents, mais il faut aussi se rendre compte que, malgré cette boulimie, il reste des terrains non urbanisés dans les zones urbanisables prévues au Plan de secteur. Pour faire empirer la distribution peu parcimonieuse de la ressource sol en Wallonie, il suffirait d’utiliser les 32% de zones d’habitat et d’habitat à caractère rural encore disponibles au plan de secteur. La surface actuellement utilisée pour l’habitat augmenterait de… 50%. Ce calcul donne le tournis mais il n’y a aucune obligation de le concrétiser. Réfléchissons avant d’utiliser ces terrains qui sont aujourd’hui des champs, des bois et des prés. Stop béton !
On compte par milliers d’hectares les pâtures et les champs repris au Plan de secteur en zone d’habitat (ZH) et surtout en zone d’habitat à caractère rural (ZHCR), ou en zone d’aménagement communal concerté (ZACC- parfois encore appelée zone d’habitat différé, parce que c’est son ancien nom). Ces activités agricoles ne se déroulent donc pas, vous l’aurez compris, en zone agricole (ZA). Le nombre d’hectares pas encore urbanisés mais situés en zone urbanisable est chiffré à environ 54 000 Ha pour les deux types de zones d’habitat et à plus de 16 000 Ha pour les ZACC. Ce sont les chiffres de l’IWEPS pour 2020.
Les parcelles concernées sont dispersées dans toute la région. 70 000 Ha à priori urbanisables, 70 000 Ha de cultures, d’élevage en plein air et de surfaces naturelles, parfois boisées, qui pourraient passer à la trappe. Pour le moment, rien ne l’interdit.
Sur le Plan de secteur de Clavier figure une zone d’activités économiques (ZAE), colorée en mauve. C’est ce qu’on appelle la situation de droit. L’activité en cours actuellement à cet emplacement s’appelle la situation de fait. Dans un bon nombre de ZAE, vous trouverez une culture de céréales, des bandes enherbées, un chemin de remembrement agricole ou des prés à foin. C’est parce que la zone n’est pas encore mise en œuvre. Lorsque la zone d’activités économiques sera effectivement mise en œuvre, les activités agricoles qui avaient lieu à cet endroit seront, au moins en partie, remplacées par une autre série d’activités plus conformes à la situation de droit, comme une voirie carrossable pour les camions semi-remorque, des aires de déchargement asphaltées et bétonnées, des salles de machines, des hangars, des bureaux, des parkings, des halls de stockage, etc. Les m² restants continueront éventuellement à vivre leur vie agricole dans cette même zone d’activités économiques. Jusqu’à ce qu’ils soient à leur tour urbanisés. A ce moment seulement, la situation de fait de la zone d’activité économiques coïncidera parfaitement avec sa situation de droit.
Le passage d’une fonction faible à l’activité correspondant à la zone urbanisable planifiée par le Plan de secteur est orchestré via le CoDT, en se conformant au zonage du plan de secteur. Ce passage est prévisible, si pas inéluctable. Prévisible, parce que tout citoyen peut consulter le Plan de secteur à volonté et les propriétaires de la parcelle se sont depuis des années acquittés d’une série de redevabilités liées à la destination fixée par le Plan de secteur. Ainsi, les droits de succession sont plus élevés pour un terrain situé en ZACC que pour un terrain situé en zone agricole. Le passage est inéluctable, dans la mesure où, un jour, une autorisation sera délivrée pour exercer une activité conforme à la zone.
Fonctions « dures » en zone non urbanisable
En tant que zone officiellement dédiée à l’agriculture au plan de secteur, la zone agricole ne peut être urbanisée que très ponctuellement, sur base d’un permis accordé en dérogation.
Lorsque l’affectation prévue dans le projet ne correspond pas à la destination agricole de la zone, comme par exemple construire une maison d’habitation, l’autorité compétente (la commune ou le fonctionnaire délégué) apprécie si elle accepte ou non de déroger à l’affectation prévue par le Plan de secteur. La dérogation a un caractère exceptionnel par définition, qui se base sur le fait qu’une urbanisation est irréversible. Si l’autorisation est accordée, cela crée un précédent dont les autres candidats à la construction, sur d’autres parcelles en situation également dérogatoire, ne manquent pas de se réclamer. L’autorité compétente a dès lors du mal à refuser à un demandeur ce qu’elle a accordé à un autre.
La première dérogation apparaissait comme une petite exception locale. Avec toutes les autres dérogations obtenues au gré des demandes de permis, elle forme une atteinte globale à l’environnement et aux fonctions dites faibles. En Wallonie, il y a eu tellement de dérogations à la destination agricole que le Plan de secteur ne joue plus du tout son rôle de protecteur des fonctions faibles, même si il lui est encore associé dans certains discours. Les fonctions faibles existent toujours, mais leur protection et leur préservation peuvent être à tout bout de champ remises en question par la dérogation. Ce qui les rend d’autant plus faibles.
C’est ainsi que les terrains naturels, forestiers ou agricoles sont détournés de leur fonction première au service de l’urbanisation, sous l’apparence d’une répartition raisonnable et raisonnée des zones.
Le m² devrait compter double. Ou triple.
Ces m² artificialisés en dérogation sont pris en compte dans le décompte des terrains urbanisés comme ceux de n’importe quelle autre zone du plan de secteur. Pourtant, ils devraient plutôt, comme au Scrabble, compter double.
Pourquoi ?
- Parce que la dérogation écorne la règle qui – théoriquement – vaut pour tous : la zone non urbanisable ne peut être urbanisée. Au lieu d’entamer la zone non urbanisable, il convient de consommer (raisonnablement) la zone urbanisable.
- Parce que la dérogation crée un précédent. Une fois la dérogation accordée, cela donne envie à d’autres demandeurs de proposer le même projet, ailleurs dans la commune, voire même juste à côté du terrain fraîchement converti. A ce titre, il n’est pas rare que les autorités locales tiennent le raisonnement suivant : puisque la zone est entamée, pourquoi ne pas poursuivre ce qu’on a entamé en accordant d’autres permis en dérogation ? Voilà comment on vide une règle de son sens. Si les m² urbanisés en dérogation comptaient double, cela remettrait un peu de sel dans la délivrance des autorisations.
- Parce que le décompte actuel des m² urbanisés ne fait pas la différence entre ceux qui sont consommés en zone non urbanisable et en zone urbanisable. Il leur donne la même valeur. Il ne met donc aucun accent ni sur la gravité de l’éparpillement dans les campagnes, ni sur l’urgence de maintenir des espaces verts en milieu urbanisé.
Voilà pourquoi les m² artificialisés en zones non urbanisables devraient compter double. Au moins double. Pourquoi pas triple ?
Le gouvernement wallon peut décider de stigmatiser le mitage des zones agricoles et des espaces naturels en gonflant le décompte des m² en dérogation. Ce serait un premier pas, symbolique, dans la bonne direction.
Qu’en dit le Ministre Willy Borsus ?
Dans les prochaines semaines, le ministre de l’Aménagement du territoire devrait présenter au gouvernement le rapport du Groupe d’experts Artificialisation qui a débuté ses travaux en février 2020 et les a clôturés le 9 octobre 2020. En attendant, il est régulièrement interrogé par les parlementaires en commission Aménagement du territoire, sur ses actions en termes de freinage de l’étalement urbain et de renforcement de la protection de la nature. J’épingle ici la réponse donnée à Mme Mathieux qui l’interrogeait en séance de commission Aménagement du territoire, le 14 juillet 2020 sur la législation urbanistique en matière de végétalisation.
Mme Mathieux (MR)
« Monsieur le Ministre, le Gouvernement, dans sa Déclaration de politique régionale, entend notamment prendre une série de mesures afin de favoriser la végétalisation du territoire wallon pour mieux faire face aux bouleversements climatiques et environnementaux.
Si la végétalisation du territoire wallon est une matière vaste et transversale, je voudrais interroger le ministre sur sa politique du point de vue de l’Aménagement du territoire. Il semblerait que, jusqu’ici, aucun cadre législatif n’existe en matière de végétalisation sur des terrains appartenant à la Région wallonne.
Entendez-vous combler ce vide législatif ? Des projets sont-ils en cours, à l’échelle régionale, en matière de végétalisation des espaces ? Dans l’affirmative, lesquels ? Dispose-t-on ou disposera-t-on d’un outil recensant les initiatives régionales à cet égard ? Par ailleurs, des mesures visant à inciter les communes à soumettre des « permis de végétaliser » ont-elles été prises ou sont-elles envisagées ? »
M. Borsus, Ministre de l’Économie, du Commerce extérieur, de la Recherche et de l’Innovation, du Numérique, de l’Aménagement du territoire, de l’Agriculture, de l’IFAPME et des Centres de compétences.
« Madame la Députée, je vous remercie pour votre question. Un petit tour d’horizon par rapport aux éléments liés au cadre législatif et réglementaire actuel qui reprend les éléments liés à la végétalisation. Je tiens ce texte à votre disposition. On y retrouve différents éléments :
- dans le Code du développement territorial, l’objectif de base du code est d’assurer un développement durable et attractif du territoire, c’est l’article D.I.1, § 1er ;
- le plan de secteur, cité à l’article D.II.18 et suivants du code, qui prévoit l’imposition de dispositifs d’isolement pour les zones d’activité économique et les zones de dépendances d’extraction. Ces dispositifs d’isolement peuvent être végétalisés ;
- le Schéma de développement territorial, ensuite, qui accorde une large place à la mise en adéquation des projets d’urbanisme et d’aménagement du territoire avec l’environnement au sens large, c’est l’article D.II.2, § 2, 3° du code ;
- le Guide régional d’urbanisme également, les schémas communaux d’urbanisme, le Schéma d’orientation local.
Ces divers outils d’aménagement du territoire prennent en compte, dans leurs objectifs, la gestion de la qualité du cadre de vie. L’analyse de la structure paysagère est également prise en compte, ce qui me semble important également.
Les sites à réaménager, les SAR, les sites de réhabilitation paysagère et environnementale, les SRPE, les périmètres de remembrement urbain, dans l’ensemble de ces procédures, les aspects relatifs à la végétalisation des sites sont également pris en compte, ainsi que la conservation de la beauté des paysages. Les procédures de la revitalisation urbaine et la rénovation urbaine prévoient également, dans les articles qui les concernent, la concrétisation tout à fait précise de la création d’espaces verts ou l’amélioration d’espaces verts existants.
Il y a les permis. Le CoDT fixe le contenu des dossiers, en particulier le contexte bâti et non bâti qui doit figurer dans les dossiers. Les espaces verts et les structures écologiques sont à prévoir dans les permis d’urbanisation. L’abattage des arbres isolés et des haies implique l’obtention d’un permis d’urbanisme. Par ailleurs, les charges d’urbanisme, vaste sujet, permettent à l’autorité compétente d’exiger des mesures spécifiques, telles que la création d’espaces verts publics, afin d’accompagner les projets significatifs ou importants. Les permis peuvent également être assortis de conditions en vue d’intégrer les projets dans l’environnement bâti et non bâti. Le CoDT a par ailleurs prévu des dispositions qui rendent obligatoire la consultation de certaines instances, parmi ces instances, en particulier le DNF.
Enfin, en vertu de l’article R.IV et IX du CoDT, la liste des arbres, arbustes et haies remarquables est mise à jour tous les trois ans, selon la procédure déterminée par le code.
On peut constater qu’il y a, à travers tous les exemples, tous les outils, les dispositions réglementaires ou légales que je viens de mentionner, un nombre conséquent d’outils et d’opportunités pour permettre, pour préserver, pour imposer la végétalisation des espaces, des sites ainsi que l’accompagnement paysager au sens large des projets.
Par ailleurs, il existe un groupe de travail regroupant le SPW Mobilité et Infrastructures, le SPW Environnement et DNF, et le SPW Territoire, dont l’objectif est la gestion de la végétation au bord et aux abords des routes régionales et espaces publics. Ce groupe met en place une procédure destinée à baliser la gestion des permis d’urbanisme relatifs aux abattages d’arbres, mais dans l’optique de la protection de l’arbre, du maintien d’un haut degré de sécurité routière et, bien sûr, d’un haut degré de protection de la biodiversité.
Enfin, citons encore qu’en matière d’arbres et haies remarquables, un travail en commun est mené entre le SPW Territoire, Logement et Patrimoine, et le SPW ARNE, afin de procéder à l’instruction des dossiers en vue de préparer la validation des listes par arrêté ministériel.
Certaines améliorations sont cependant possibles, par exemple, la mise en place d’une cellule interne au SPW Territoire, Logement, Patrimoine et Énergie, de manière à suivre l’évolution de l’ensemble des projets, des initiatives en la matière.
En résumé, pas mal d’outils sont aujourd’hui à disposition, qui permettent de gérer, de contraindre, de conditionner. Des outils prévoient également d’organiser, à travers les différentes références que je viens de donner, à savoir la protection, la végétalisation ou son déploiement.
Par ailleurs, je tiens à votre disposition l’ensemble des éléments de références légales par rapport à tout ceci. »
Mme Mathieux
« Merci, Monsieur le Ministre, pour ces informations. C’est une matière qui m’intéresse particulièrement et qui demande, je pense, une réflexion profonde avec une vision à long terme, vision qu’il serait difficile de contrer ou utiliser sans tous ces outils adéquats et une harmonisation encadrée pour nos communes. Je suis heureuse de voir les choses qui avancent dans le bon sens, même si l’on partait presque d’une page vide. »
C’était une réponse très abondante et, dans sa réplique, Mme Mathieux apparaît satisfaite. Le Ministre n’a cependant pas répondu pour ce qui concerne les terrains dont la région est propriétaire ; il aurait été intéressant de voir dans quelle mesure la Wallonie serait prête à montrer l’exemple sur ses propres terrains. Notons encore que le permis de végétaliser ne fait pas partie de l’arsenal déployé par le ministre Borsus. Par contre, il évoque à plusieurs reprises les arbres et haies remarquables, qui sont de véritables usines à biodiversité.
On peut regretter que la réponse du ministre ne fasse pas le lien avec la situation pénible de la végétation ordinaire, si souvent menacée par les projets d’urbanisation. Sur le terrain, les désirs des demandeurs et les contraintes techniques des entrepreneurs font fi de la végétation et du relief en place, par manque de patience, par ignorance ou par goût pour un environnement propre et plat.
Où est passé le « grand récit de la ruralité » ?
Depuis les années 1970, le monde agricole a troqué les activités multiples pour la simplification, a opéré des agrandissements et des remembrements qui ont changé l’échelle des exploitations, a ajouté des engrais et des pesticides à chaque hectare cultivé pour garantir des récoltes sans histoire. Il a ainsi atteint un niveau de productivité qui ne laissait plus guère de place au bien-être humain et animal. C’était le prix à payer pour mériter le nom d’agriculture industrielle. Devenir une exploitation industrielle n’a pas toujours eu un sens péjoratif, et cela reste aujourd’hui un objectif conscient et honorable, pour de nombreux acteurs liés à l’agriculture.
Le Plan de secteur a largement encouragé cette tendance, parce qu’il n’est pas conçu pour représenter des réalités complexes, à petite échelle. Il fonce dans le tas et consacre à une fonction un gros paquet d’hectares, ou rien du tout. Le Plan de Secteur a en outre prévu de très grandes surfaces destinées à la résidence et aux fonctions connexes.
De là à dire que c’est le Plan de secteur qui a fait disparaître la ruralité, il y a un pas. D’autres facteurs ont contribué à transformer les campagnes. Mais une chose est sûre, il ne faut pas compter sur le Plan de secteur, tel qu’il existe aujourd’hui, pour valoriser une agriculture de petites exploitations, ni pour préserver les hectares arables de l’urbanisation.
La banalisation par répétition et agrandissement des parcelles, orchestrée dans le cadre du remembrement rural dès les années 1950, a pris la place de la mosaïque de prairies permanentes et temporaires, de vergers hautes-tiges, de jachères, mares et bosquets. Cette mosaïque à petite échelle était pourtant, comme les haies et les fossés, indispensable à la pollinisation, à la mitigation des températures trop élevée et au maintien des terres à découvert, pour éviter les coulées de boue après les labours et durant les levées, mais aussi pour protéger les cultures du vent. Ce morcellement à basse altitude était presque entièrement fabriqué à partir de végétaux secs ou sur pied. En l’absence de machines agricoles de très grande envergure, il n’était pas utile d’aplanir les reliefs, ni d’élargir les accès.
La mécanisation et l’intensification de l’agriculture, qui visaient à moderniser le métier pour nourrir davantage de monde, ont trouvé leur partenaire idéale dans la vision de l’aménagement du territoire qui consistait à répartir en grands compartiments étanches la réalité complexe et mélangée. Ensemble, elles ont refaçonné les normes.
Les situations réelles qui débordaient du nouveau cadre ont dû s’adapter. Finies, les occupations du sol à petite échelle, correspondant à des spéculations variées dans le chef d’un même exploitant. Les fossés ont peu à peu été supprimés et figurent encore parfois comme les derniers vestiges d’avant la grande uniformisation du remembrement agricole. La destruction systématique et subsidiée des haies a fait le reste.
C’est comme si le monde agricole avait voulu fusionner avec l’uniformité de la zone agricole au Plan de secteur. Or, si la zone agricole du Plan de secteur est nécessairement simple dans sa représentation, elle est aussi très englobante et peut recouvrir des tas de spéculations, d’activités et de finages différents. Le Plan de secteur n’oblige en rien à simplifier la variété d’occupations agricoles sur le terrain . Mais c’est ce qui s’est passé. Les pâtures de quelques ares sont devenues une seule aire clôturée de plusieurs hectares. De très vastes cultures de céréales, de pommes de terre et de plantes fourragères en openfield ont pris la place de plus petits champs et de prés de fauche. Heureusement, quelques irréductibles ont su voir au-delà des injonctions de l’agriculture « à l’Américaine ».
La vision de 1962, année de l’entrée en vigueur de la première loi sur l’Aménagement du territoire était que l’urbanisation de terrains agricoles serait moins compliquée et moins coûteuse que de reconvertir des paires de charbonnage, par exemple. Force est de constater que cette vision prévaut encore à l’heure actuelle.
Regardez n’importe quel extrait du Plan de secteur. La zone urbanisable non urbanisée est dessinée sur des champs cultivés, des terrains en friche, des prairies et des bois. C’est la condition tacite pour faciliter l’urbanisation ultérieure : les terrains doivent être aisément constructibles, tant sur le plan juridique que sur le plan des travaux à entreprendre. Cette optique découle directement de celle de 1962. Elle ne fait aucun cas du dommage environnemental.
Sur l’illustration, qui montre un extrait du plan de secteur à hauteur de Orp-Jauche, le Brabant Wallon semble rural, avec une dominante jaune où s’éparpille de l’habitat à caractère rural sous forme de grandes taches rouge rayé blanc. Par comparaison avec les quelques zones forestières en vert vif dispersées, de petite taille, on se rend compte les taches rouge et blanches s’étendent bien au-delà du « centre » des villages et des hameaux (pour autant que le mot « centre » ait jamais eu un sens).
Cette partie de la Belgique offre l’un des meilleurs sols de culture qui soient. La Hesbaye brabançonne figure parmi les terres les plus fertiles d’Europe. Mais le produit qui fait tourner l’économie de ces communes aujourd’hui, ce n’est plus la betterave ou les céréales, c’est l’économie immobilière, via la construction et la vente d’unités d’habitation. Les champs servent de décor pour attirer les candidats à la résidence, en villas quatre façades ou, suivant la nouvelle mode des promoteurs, en immeubles à appartement. La vaste étendue jaune de l’illustration est en réalité morcelée, non pas à cause de la variété des pratiques culturales, mais à cause des voies carrossables qui permettent de relier ces poches de logement à des agglomérations pourvoyeuses d’emploi.
L’une de ces agglomérations pourvoyeuses d’emploi n’est autre que le site universitaire de Louvain-La-Neuve, petite ville installée dans un contexte autrefois purement fermier, sur des champs et des pâtures. Quand Louvain-la-Neuve cherche à s’étendre ou à se densifier, elle jette son dévolu sur les quelques arpents agricoles qui lui restent. Pas question de toucher aux parkings en plein air ou couverts pour les réutiliser à des fonctions un peu plus intéressantes que le rangement de véhicules. Que du contraire – il y a même des projets pour AUGMENTER le nombre de places de parking…
Et la biodiversité dans tout ça ?
Avec la machine à urbaniser lancée à plein tube depuis cinquante ans, la biodiversité a bien du mal. Ce ne sont pas les quelques rares zones d’espaces verts et zones naturelles du Plan de secteur qui suffisent pour assurer son épanouissement. En zone agricole, elle est rarement bienvenue. L’agriculture intensive n’est absolument pas favorable à la biodiversité et a fait l’impasse sur ses capacités à rendre le sol fertile, à nettoyer les cultures ou soigner le bétail.
L’urbanisation pourrait-elle lui réserver un meilleur accueil, en la laissant résider avec les humains, dans les zonings, les lotissements ? Le ministre Borsus mentionne dans sa réponse les zones tampons prévues entre les zones d’activités économiques ou les zones d’extraction et les zones voisines. C’est déjà un bon début, qui donne des résultats sur le terrain et assume un rôle paysager non négligeable. Le débat de la Maison de l’Urbanisme du Brabant Wallon présenté dans l’éditorial, « Et la nature dans tout ça ? » met le doigt sur une autre opportunité : l’étude d’incidences sur l’environnement, qui est chargée de proposer des mesures pour qu’un projet ne nuise pas à la biodiversité. Force est de constater que ces recommandations ne s’aventurent guère au-delà de la plantation d’espèces indigènes. A de rares exceptions près, l’étude d’incidences n’impose pas de conserver les arbres et les broussailles en place, ni de maintenir le relief irrégulier du site.
Pourtant, c’est de cela que la biodiversité a besoin. Comme expliqué dans le film « Le silence des oiseaux » qui clôture l’éditorial, les oiseaux sont là grâce notamment à des friches, qui sont les premières à disparaître quand on met en œuvre un projet. Les insectes ne résistent pas aux pesticides, même quand les aspersions ont cessé depuis plusieurs années. Aujourd’hui , les jardins naturels, moins manucurés, font office de havre, en ville comme à la campagne. Mais c’est beaucoup trop peu. Énormément d’espèces ont besoin d’espace, de tranquillité, de confort et de nourriture. Comme nous, en somme ! Il reste de ces espaces sauvages et fragiles en Wallonie, mais nous ferions bien de nous en occuper mieux, si nous voulons encore entendre chanter les bruants, les verdiers, les roitelets, et voir revenir les hirondelles et les muscardins.
C’est précisément dans ce but que Véronique Hollander a rencontré cet automne des dizaines de communes wallonnes. En leur proposant d’examiner ensemble les résultats de l’enquête sur les mesures pour contrer le déclin de la biodiversité, elle a pu nouer un dialogue positif qui rend plus tangible l’urgence de prendre ses responsabilités et permet d’espérer que des avancées seront obtenues durant cette mandature.
Pour aller plus loin
- Le développement rural wallon et la biodiversité : le n°12 des Cahiers de la Fondation Rurale de Wallonie, “La nature, la biodiversité. Le développement rural y contribue”
- Astrid BOUCHEDOR (FoodFirst Information and Action Network FIAN Belgium), « Pressions sur nos terres agricoles. Face à l’artificialisation des sols, quels leviers d’action ? « , Bruxelles, 2017.
- Dounia SALIMI « Campagne chic », dans Médor n°18
- « Votre jardin au naturel », brochure publiée par la Wallonie et disponible sur le portail de l’Environnement
- En mode contemplatif, les travaux photographiques de Jean-Luc Mylayne sont le résultat d’heures de patience et un pied-de-nez à la photographie animalière. Pas de fauve au regard appuyé, pas de troupeau battant majestueusement des ailes ou des sabots : le sujet, ce sont les oiseaux dits communs, dans leur écosystème le plus ordinaire de jardins, lisières et parcs. Chaque image (tirée à un seul exemplaire !) fait redécouvrir ce qu’on croit connaître.
- Si chaque geste compte pour la biodiversité, pourquoi ne pas semer tant et plus ? Et pourquoi gaspiller autant de papier à journal ? Pour goupiller ces deux idées, les Japonais du quotidien Mainichi proposent de planter les pages une fois lues. Et aussi incroyable que ça paraisse, elles germent.
« The Mainichi, c’est plus de 4 millions de journaux imprimés chaque jour. De quoi recouvrir tout le Japon de verdure ! Chaque exemplaire est fait d’un mélange de papier recyclé, d’eau, de graines et d’une encre qui fait office de fertilisant naturel. Après l’avoir lu – et au lieu de le jeter – il suffit de l’émietter, de l’enfouir sous la terre, d’arroser le tout et d’attendre qu’il pousse ! »