A travers l’exploitation du Bois d’Angre, un bois principalement composé de chênaies de substitution, ce n’est pas moins l’intégrité du réseau Natura 2000 qui est remise en cause que les déficits de la loi sur la conservation de la nature et l’inadéquation du Code forestier à l’évolution des pratiques forestières et aux nouveaux enjeux de la forêt.
Assimilées lors de la désignation du réseau Natura 2000 à l’Habitat naturel « Hêtraie » découlant de la directive européenne, la Division de la Nature et des Forêts a récemment revu sa position sur le statut des chênaies de substitution [[Pour rappel, la Chênaie de substitution est induite par les pratiques de gestion forestière (sélection des chênes, …) qui l’éloignent du stade d’équilibre vers lequel elle tendrait naturellement sur ce type de station, la Hêtraie..]] S’il existe une certaine controverse quant à l’inclusion de ces chênaies de substitution au sein des Habitats naturels d’intérêt communautaire « Hêtraie », celle-ci semblait pourtant être tranchée en Région wallonne. Lors de la désignation des sites Natura 2000 wallons, sous les injonctions de la Commission et le risque d’astreintes financières, la Région wallonne a clairement assimilé les chênaies de substitution aux hêtraies au point que sur les 72.000 ha de hêtraie participant au réseau Natura 2000, 40.000 ha sont des chênaies de substitution! L’enjeu est donc de taille : près de 20 % du réseau Natura 2000 seraient ainsi remis en cause : sans cette assimilation à la hêtraie, ces chênaies ne seraient plus protégées que très partiellement par les espèces Natura 2000 présentes sur les sites et plus ou moins dépendantes de cet habitat. Il s’agit en général de bondrée ou de pic, ce qui n’impliquerait qu’une protection très réduite. Le maintien à long terme de ces forêts feuillues est donc directement lié à l’interprétation de la directive Habitat.
Une controverse initiée par l’administration
La controverse sur le statut des chênaies de substitution nait du fait que la directive ne mentionne pas directement les chênaies de substitution comme Habitat Natura 2000. Or, de nombreux arguments plaident pour leur reconnaissance en Habitat Natura 2000 dépendant de la « hêtraie de l’Asperulo-Fagetum », habitat reconnu par la directive. Outre la position des scientifiques wallons (CRNFB et FUSAGx), la position prise par les états voisins plaide pour leur assimilation en hêtraie. La circulaire « biodiversité en forêt », éditée par la DGRNE elle-même les assimile aux « faciès de substitution de la hêtraie ». Comme les chênaies de substitution se trouvent majoritairement en forêt publique, il importe de considérer ce revirement : l’administration envisage-t-elle de transformer certaines chênaies de substitution en forêt de Douglas ou d’autres exotiques ?
suivie d’une reprise en main politique
Interpellé au Parlement Wallon sur cette question à travers le cas du « Bois d’Angre », le Ministre Benoît Lutgen n’a pas tranché la question comme l’avait pourtant implicitement fait le gouvernement précédent en proposant les sites wallons au réseau européen Natura 2000. Il s’est engagé à poser la question au Comité Habitat, un comité encadrant la mise en oeuvre de la directive.
Avec le risque de devoir compléter un réseau Natura 2000 appauvri
Et si demain les instances européennes devaient conclure que les chênaies de substitution ne font pas partie des habitats « Hêtraies », toute la cohérence des propositions effectuées par la Région wallonne serait remise en cause. Sachant que la Région wallonne est un des « bastions » de cet habitat, la cohérence du réseau pour celui-ci devrait être réexaminée par la Commission : celle-ci a approuvé une liste de sites dans lesquels figurait un total de 72.000 ha de Hêtraies. Des hêtraies qui n’ont, dans un premier temps, pas été proposées dans le réseau parce que l’on a estimé que les propositions étaient suffisantes pour cet habitat pourraient devoir être intégrées au réseau pour en compléter les trous nouvellement apparus. Dans l’attente de la réponse du comité Habitat, le principe de précaution devrait, en toute logique, être appliqué.
Un déclencheur : le bois d’Angre
Le bois d’Angres est situé sur la Commune des Honnelles et jouxte le site bien connu du « Caillou qui Bique », un site principalement forestier et classé pour son intérêt géologique (dôme de poudingue) et patrimonial. L’ensemble constitue une forêt principalement feuillue intégrée au site Natura 2000 « Haut Pays des Honnelles ». Le bois d’Angre a été racheté, il y a quelques mois par un exploitant forestier en vue d’y réaliser une exploitation des bois de valeur avant d’en revendre le fond à un tiers. Si ce type d’opération « financière » tend à devenir courant, il pose de nombreuses questions quand à une gestion durable des forêts. Mais c’est la superficie concernées par cette exploitation (85 ha) et ses particularités qui interpellent plus encore. Ce bois a en effet été désigné par la Région wallonne en 2002 pour les habitats naturels d’intérêt communautaire qui s’y trouvent. La fiche descriptive du site Natura 2000 est très explicite puisqu’elle démontre que plus de 90 % des forêts du site sont des habitats naturels au sens de la directive. A priori, ils devraient être protégés du fait du « régime préventif », d’application sur les sites Natura 2000 dans l’attente d’un arrêté de désignation qui stipulera plus explicitement ce qui peut être ou ne pas être fait.
Dans les faits, l’administration ayant revu sa position sur les chênaies de substitution, l’exploitant avait les mains libres… En limitant l’exploitation à la coupe des arbres de plus de 140 cm de circonférence et en laissant en place quelques gros arbres, l’exploitant évitait de tomber dans les limites liées à la coupe à blanc et respectait ainsi l’habitat des espèces Natura 2000 présentent sur le site [[Rappelons qu’il n’existe pas vraiment de moyens légaux pour protéger les habitats d’espèces avant l’arrêté de désignation car ceux-ci ne sont pas soumis comme les habitats naturels à permis d’urbanisme et que la Loi sur la protection des espèces reste très insuffisante.]]. Mais c’était sans compter sur l’attachement de la population locale à son patrimoine. La mobilisation des riverains ne s’est pas fait attendre et la manifestation organisée par ceux-ci réclamant l’arrêt des travaux, a permis de mettre à jour ce qui en d’autre lieu aurait fait peu de bruit. La question est en effet rapidement passée de l’administration au politique, via une une interpellation parlementaire.
Après quelques jours l’exploitation a été interrompue et une concertation entre les principaux acteurs et partenaires du dossier a été initiée à l’initiative du cabinet Lutgen. Natagora, la Commune de Honnelles, la Division Nature et Forêts (DNF),… étaient réunis autour de la table des négociations, au Cabinet du ministre Lutgen, en vue de trouver une solution pour sauver le site du Bois d’Angre. Affaire à suivre… sur le site de Natagora.Où l’on peut lire, que ce vendredi 24, « La solution est finalement venue d’Elio Di Rupo, Ministre Président du Gouvernement wallon qui, à la lumière des éléments apportés par Natagora, a demandé au ministre Daerden d’inscrire le Bois d’Angre sur une liste de sauvegarde. Le site est ainsi de facto protégé pendant un an, un délai raisonnable pour envisager de manière sereine toutes les pistes pour tenter de protéger définitivement le Bois d’Angre. »
L’arbre qui cache la forêt
Si le bois d’Angre peut effectivement être sauvé, il reste que les chênaies de substitution mais aussi plus largement, l’ensemble des forêts feuillues indigènes hors habitat naturel d’intérêt communautaire ne bénéficie d’aucun statut ou mesure de protection. Ce cas illustre l’inadéquation des outils légaux pour préserver la biodiversité et pour s’assurer d’une gestion durable des forêts.
Alors que l’objectif 2010 d’arrêter l’érosion de la biodiversité se rapproche de plus en plus, les législations sur la protection des espèces mériteraient un solide rajeunissement afin de les rendre plus crédibles et accessibles. Mais c’est certainement le dépoussiérage du code forestier, sur les rails depuis plus de 10 ans maintenant, qui doit être mis en oeuvre. Celui-ci devra intégrer des dispositions qui protègent les forêts anciennes feuillues, limitant la taille des coupes à blanc et cadrant l’exploitation forestière pour que celle-ci reste une exploitation durable, même au sens économique.