Le plan de relance de la Wallonie est devenu le pilier de la politique du gouvernement Di Rupo. C’est sur son succès qu’il sera jugé. Avec 7 milliards € annoncés sur 5 ans1, on le dit « plan de la dernière chance » : le pouvoir wallon ne devrait en effet pas jouir de sitôt d’une liberté de mobilisation financière aussi grande. Evidemment, il se veut vecteur d’activité économique, défenseur de l’emplois… Mais il affiche aussi (et c’est nouveau) une ambition de changer la politique en matière d’environnement. Etat des lieux.
Un plan de relance remanié, des demandes d’IEW inchangées.
Il est souvent douloureux de replonger dans d’anciens écrits pour mesurer le chemin parcouru. En Décembre 2020, 9 mois après le début de la crise covid, notre analyse de base était :« des milliards d’Euros seront dépensés par les autorités publiques dans les toutes prochaines années au nom de la « relance » de l’économie (…).Nous devons investir les moyens publics dégagés dans ce qui est vert (train, isolation des bâtiments, chaine d’alimentation durable, … ).
Nous devons utiliser ce moment pour transformer structurellement le fonctionnement de nos sociétés et de notre économie.
Et surtout éviter de mettre le moindre euro dans des secteurs ou des projets qui détruisent ou détruiront la planète (le gaz « fossile », la pétro chimie, le secteur aérien, l’étalement urbain, l’extension du réseau routier…) »
Revenons sur ces 3 demandes.
Investissement public direct : Clairement vers un mieux.
Demande de IEW en decembre 21 : « nous devons investir les moyens publics dégagés dans ce qui est vert (train, isolation des bâtiments, chaine d’alimentation durable, … ). »
Les pays de l’Union européenne dont la Belgique et encore plus particulièrement la Wallonie ont centré davantage leur plan d’investissement vers plus de durable. Bravo donc !
On l’a déjà dit dans notre analyse d’octobre 21 vers laquelle nous vous renvoyons pour une analyse plus en profondeur : « Le plan d’investissement public wallon est parmi les plus verts d’Europe et sans doute du monde. Si la crise COVID avait eu lieu il y a dix ans, il y a fort à parier que cette importante somme aurait davantage été destinée à la création de zones d’activités économiques décentrées et d’autoroutes qu’à des politiques de rénovation des logements ou de développement des transports publics. Bravo ! »
Plan de relance « recentré » pas moins vert
En mars 2022, suite à une demande des partenaires sociaux (syndicats, entreprises), le Gouvernement a annoncé le recentrage du plan de relance. IEW a été invité à la table de négociation. On a élagué le plan, mais pas au dépend de l’axe environnemental. Le Gouvernement a également accepté d’être soumis à un « accompagnement rapprochés » de 5 acteurs (UCM, FGTB, CSC, UWE et IEW) qui sont censés veiller à ce que ces projets prioritaires avancent et soient évalués correctement. Notons qu’inviter les associations environnementales à ce type d’événement est une première et donc le signe de l’intégration progressive de l’axe environnemental au même titre que l’axe social et économique.
Il est trop tôt pour tirer un enseignement de cette séquence. Est-ce que les projets du plan de relance jugés comme prioritaires seront mieux financés ? Et surtout, est-ce que cet argent sera utilisé de manière optimale (et non vite fait avant l’échéance électorale de mai 2024 !) ? On y veillera. Mais on note déjà a ce stade que certains projets super cruciaux avancent trop lentement… A moins de 2 ans des élections.
Par exemple, la super enveloppe allouée à la rénovation des bâtiments (presque 600 millions d’€ jusque 2026) doit entrainer une multiplication des chantiers de rénovation profonde sur le terrain. Pour accélérer la cadence, il faudrait sortir d’une logique du « chaque ministre son portefeuille » et faire de cet axe une « cause nationale » wallonne endossée par tout le Gouvernement … On en est très loin. La logique de priorisation aurait même plutôt poussé chaque ministre a protéger son pré carré…
Une vrai évaluation environnementale
L’évaluation de ces projets prioritaires est une des prérogatives dont pourront jouir IEW et les autres partenaires sociaux dans le cadre de l’accord de mars. C’est l’occasion d’avancer sur ce dossier important de la gouvernance environnementale.
La Wallonie dispose de beaucoup (trop ?) de structures d’évaluation, existantes (IWEPS, la Cellule de stratégie Transversales, ou le CESEW Wallonie), ou à venir (Haut conseil stratégique). Mais à ce stade, on ne dispose pas des outils ni des structures pour réaliser une véritable analyse d’impact des grandes décisions politiques le plus en amont de la décision et le cas échéant, pour que ces mesures puissent être sérieusement remises en questions. (On pense à un projet autoroutier qui pourrait être contesté voire suspendu pour raison environnementale ) Attention a ne pas multiplier les procédures et les structures ! Dans un monde idéal, on serait presque prêt à demander une large refonte des outils de gouvernance pour la prochaine législature …
Pour aller plus loin, on a édité un article spécifiquement sur cette question de l’analyse d’impact environnemental.
L’économie grise reste soutenue par la Wallonie
Demande de IEW en décembre 21 : « éviter de mettre le moindre euro dans des secteurs ou des projets qui détruisent ou détruiront la planète (le gaz « fossile », la pétro chimie, le secteur aérien, l’étalement urbain, l’extension du réseau routier…) »
Le plan de relance est donc vert. Bravo.
Mais le soutien à l’économie grise et fossile prend des forme diverses et pernicieuses.
Florilège des mesures prises ces derniers mois en Wallonie ou sur la table de négociation qui peuvent s’assimiler à une aide indirecte à l’économie fossile :
- Si il y a un dossier sur lequel le gouvernement wallon fait preuve d’un soutien sans faille, c’est celui de nos 2 aéroports dont Liège Airport que nous analysons ici.
- En matière de politique agricole relisez l’émouvante lettre de Julie Van Damme, notre chargée de mission agriculture face au peu d’ambition d’instaurer une politique agricole wallonne durable.
- On ne peut citer tous les projets de développement immobilier qui reçoivent toujours les permis nécessaires de la région. Citons le dernier en date que nous analysons : Crystal Park à Seraing, modèle de projet immobilier du passé qui pousse pourtant sans souci dans la Wallonie du Gouvernement le plus vert.
Les vieux démons frappent à la porte
Dans un monde d’incertitude (guerre en Ukraine, poussée inflationniste, …), les vieux démons ne sont jamais loin et la tentation de l’inertie est grande.
L’inertie d’abord : à notre connaissance une série de grandes réformes absolument cruciales demeure bloquée en Wallonie. On vous renvoie une fois de plus à nos dernières analyses et parfois à des articles de presse « favoris » sur ces réformes :
- La réforme de la fiscalité automobile devait viser à « encourager des voitures moins puissantes et moins lourdes et dès lors moins polluantes » selon la DPR. Les blocages politiques semblent s’accumuler. On suit cela de très près.
- Mesures pour stopper l’artificialisation des sol. Le dossier a très (très) peu évolué depuis notre analyse mi mandat. Doit on rappeler que ce dossier est LE nœud du problème environnemental en Wallonie ?
- Instauration d’un cadastre des subsides, placements et investissements publics dans les énergies fossiles en Wallonie (promis dans la DPR) : un oubli ??
Mais au-delà de ces réformes en suspens, 2022 semble à bien des égards sonner le retour en force du monde d’avant. La dynamique est évidente au niveau mondial… Petit florilège des faits les plus saillants :
- Les mesures environnementales agricoles EU sautent au nom d’un rendement agricole court-termiste ;
- le gaz ou le nucléaire acquièrent des labels verts et s’apprêtent à profiter des financements européens ;
- le gaz de schiste américain, le plus polluant de tous, s’apprête à envahir le marché européen pour remplacer le gaz russe ;
- la spéculation pétrolière connait son âge d’or : les prix du gaz/pétrole se sont envolés sans qu’aucune rupture d’approvisionnement ne le justifie. Résultat (1): Saudi Aramco, le plus gros producteur au monde est devenu la première capitalisation boursière du monde devant Apple. Résultat (2): les investissements dans des champs pétroliers et gaziers sont repartis à la hausse alors que nous ne pouvons en aucun cas les utiliser dans un scénario crédible +2°C (selon le dernier rapport du GIEC sorti… le mois passé !). Certains investisseurs s’en plaignent d’ailleurs (Je ne résiste a l’envie de vous mettre un article d’analyste financier en 2022 symptomatique d’un problème profond dans ce secteur. Je donnerais cher pour un souper autour de cette analyste 😉).
Il est évidemment difficile de juger de la capacité de la Wallonie à faire acte de résistance dans ce monde globalisé… A ce stade, on a une impression mitigée.
Le sujet qui est au cœur de toute les préoccupations est le pouvoir d’achat dans le contexte d’une inflation y compris pour les prix de l’énergie. La Wallonie n’a à ce stade pas cédé à la tentation du « cheque parapluie » sur les produits polluants telle la baisse de la TVA sur l’énergie décidée par le fédéral en février. Il faut en tout cas éviter des aides à la consommation de carburant/combustible non ciblées socialement. Les propositions sur la table (chèque énergie notamment) semblent a priori plutôt ciblées. On ne sera totalement rassuré que lorsque les mesures seront là. D’autant qu’au nom de l’urgence certains acteurs mettent la pression pour des mesures non ciblées. Il est plus facile et plus rentable électoralement de donner un chèque a tout le monde. La tentation est très grande.
Des aides « énergie » non ciblée sont pourtant inefficaces (car via l’index, le pouvoir d’achat n’augmente que très peu malgré l’aide) et cela coûte très cher à la collectivité et nous départit de notre capacité a investir dans la transition. A ce titre, certaines propositions soutenue par l’UWE de transférer une partie de l’enveloppe «investissements de relance » (celle liée aux projets non prioritaires abordé plus haut) vers des aides dites urgentes sont dangereuses et n’engendreront aucune amélioration pérenne, alors que le déficit d’investissement public est criant depuis des années.
Rappelons ici que nous mettons la justice social le cœur de notre action. Des mesures de court terme sont nécessaires sur les plus précaires et a priori sur certains profils de classe moyenne comme le préconisait Philippe Defeyt. Et que pareillement, nous ne voulons pas d’un désert économique et industriel wallon… Mais cela ne peut se faire au détriment de la transition vers un monde durable.
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