Le CoDT est entré en vigueur ce 1er juin 2017. Parmi les outils qu’il met en place, le Schéma de Développement du Territoire, ou SDT. C’est le nouveau nom du SDER. Vous vous souvenez du SDER ? Mais oui, le Schéma de Développement de l’Espace Régional, adopté en 1999. Le SDT se veut, comme lui, l’expression d’une stratégie globale. L’élaboration de ce nouveau Schéma est en route. Une étape décisive vient d’être franchie, juste avant les remous politiques qui sont en train de redistribuer les cartes dans les entités fédérées. Juste avant, et c’est tant mieux, car ainsi la procédure SDT peut se poursuivre (presque) comme si de rien n’était.
Le 8 juin 2017, le Gouvernement wallon a adopté la méthodologie d’établissement du Schéma et pris acte de la « Proposition d’objectifs régionaux de développement territorial et d’aménagement du territoire ». Il a ensuite sollicité l’avis du Conseil Économique et Social de Wallonie (CESW), du Conseil Wallon pour l’Environnement et le Développement Durable (CWEDD) et de la Commission Régionale d’Aménagement du Territoire (CRAT) sur ces vingt objectifs.
Le CoDT établit quatre principes sous-jacents aux objectifs du SDT :
- la lutte contre l’étalement urbain et l’utilisation rationnelle des territoires et des ressources;
- le développement socio-économique et de l’attractivité territoriale;
- la gestion qualitative du cadre de vie;
- la maîtrise de la mobilité.
Voilà une excellente base de travail (même si la rédaction du point 2° est légèrement bancale sur le plan syntaxique). Le Code ne dit pas en toutes lettres que les quatre principes doivent être présents et assumés dans chaque objectif, mais la Fédération plaide dans ce sens. Près de la moitié des vingt objectifs proposés par le Gouvernement y parviennent. Enrichir chacun des onze objectifs restants pour qu’il tienne compte du ou des principes « oubliés » dépasse le simple pur exercice intellectuel et inscrit le SDT dans notre réalité territoriale, nécessairement complexe. En s’efforçant de répondre, aujourd’hui, à ces quatre principes, chaque objectif sera à même d’incarner une forme de projection vers le monde qui nous attend, demain. Endosser les quatre aspects est un passage obligé pour définir, de manière à la fois efficace et originale, une perspective de développement propre au territoire de notre région.
Je prendrai pour exemple celui du vingtième et dernier objectif, « Préserver – Valoriser. Faire des atouts du territoire un levier de développement touristique ». Un seul principe lui est associé, le deuxième (2° le développement socio-économique et de l’attractivité territoriale). C’est un peu peu !
Faisons la tentative de raccrocher cet objectif aux trois autres principes.
En inscrivant l’objectif « Faire des atouts du territoire un levier de développement touristique » dans le respect du premier principe, la lutte contre l’étalement urbain et l’utilisation rationnelle des territoires et des ressources, le SDT incitera à réfléchir aux conséquences d’une activité touristique sur l’usage du sol et des ressources : comment et où s’implante cette activité ? Quel rapport entretient-elle avec son environnement humain, architectural et naturel ? Quelles solutions d’épuration sont envisagées ? Pourquoi construire un hébergement à neuf, alors que des immeubles anciens attendent une reconversion ? En termes culturels et économiques, la réutilisation de bâtiments existants présente de multiples avantages : cachet, charme, intégration dans le bâti, moins d’énergie grise, plaisir de voir revivre un « vieux rossignol » ou un « paquebot en perdition ». Le SDT doit aussi attirer l’attention sur le sort des anciens villages de vacances, peuplés de micro-logements, et dont plusieurs sont à l’abandon ou sans activité. Cela vaut-il vraiment la peine d’en créer d’autres, si gérer le passif pose tant de difficultés ?
S’il veut faire endosser le troisième principe à l’objectif « Faire des atouts du territoire un levier de développement touristique », le SDT doit faire valoir que le cadre de vie et le bon développement d’une activité touristique sont intrinsèquement liés. Le projet doit tenir compte de ce qui est déjà là et s’efforcer d’entretenir avec le lieu qui l’accueille une véritable collaboration, notamment en réduisant ses nuisances et ses impacts et en offrant lui-même un cadre de vie attrayant aux riverains. Le projet touristique n’est-il pas justement attiré par un endroit précis, par un cadre d’une certaine qualité paysagère, patrimoniale, culturelle ? Par un certain calme ? Pourquoi ces éléments ne feraient-ils dès lors pas partie d’un raisonnement réciproque ?
Enfin, en termes de mobilité, ou quatrième principe, l’accessibilité multimodale de toute activité touristique doit être prise au sérieux le plus en amont possible, au niveau du Schéma régional, de façon à ce qu’ensuite les outils opérationnels d’échelle inférieure conduisent à une autorisation de bâtir qui fasse pleinement sens. Un hébergement de 200 lits n’est anodin ni pour une petite localité, ni pour une de nos villes moyennes. Comment s’y rendent les vacanciers ? Et les fournisseurs ? Existe-t-il une liaison par train ? Quelles sont les possibilités de transports en commun le week end ou en soirée ? Un lieu touristique doit être aidé par le SDT à se penser comme un moteur pour d’autres façons de se déplacer. En associant la mobilité – toutes les mobilités – à ses recommandations en matière de tourisme, le SDT ouvrira la possibilité à des lieux de villégiature de devenir des modèles de mobilité transposables au quotidien. Nombreux sont les Wallons qui ont pris le tram ou le métro pour la première fois dans une ville étrangère, ou ont testé l’autobus en groupe, et se sont sentis moins gauches lorsqu’ils ont dû le faire seuls « pour de vrai ». Le vélo est par excellence d’abord un loisir pour la plupart des gens. Que dire alors de la marche ? Certains d’entre nous ne marchent qu’en vacances… Il faut bien commencer quelque part !
On le voit, le respect de ces trois principes, loin de refréner les activités touristiques dans leur capacité à participer au « développement socio-économique et de l’attractivité territoriale », enrichit cette capacité d’une manière véritablement novatrice et proactive.
Au-delà de ce raisonnement sur la nécessaire présence des quatre principes dans la construction de chaque objectif du SDT, la Fédération s’intéresse également à l’étape suivante, celle des mesures de mise en œuvre qui vont concrétiser ces objectifs. La rédaction, qui a été confiée à la Cellule de Développement Territorial, vient de débuter. Un projet de texte sera peut-être disponible avant les vacances parlementaires. Dans l’intervalle, les autorités régionales, et en particulier le Ministre Carlo Di Antonio se disent ouverts aux suggestions et pistes de travail.
Voici nos propositions
Face à l’urbanisation éparpillée, qui a installé un rapport de dépendance à la voiture individuelle et abusé des ressources naturelles, on peut se réjouir que la tendance s’inverse dans notre région, avec un retour timide mais effectif vers les « centralités urbaines et rurales ». Si cela peut faire diminuer la pression immobilière sur les terres agricoles et éviter la prolifération d’un réseau routier déjà très dense, tant mieux.
Cependant, il convient d’accompagner ces nouveaux développements. Car après avoir banalisé les paysages ruraux, nombre d’acteurs immobiliers adoptent en milieu urbanisé une approche de type « table rase ». Ils se vantent de garantir densité et mixité, en remplaçant ce qui existe. Cette approche n’a aucun sens et n’est pas durable. Elle s’expose à de moindres chances de succès économique, en perpétuant un développement à l’ancienne, qui a fait son temps et beaucoup de dégâts humains, architecturaux et environnementaux. C’est bien de s’intéresser aux villes, aux périphéries et aux cœurs de villages, ces lieux souvent négligés ou maltraités. Mais pourquoi les traiter plus mal encore?
A l’échelle d’une parcelle, d’un îlot ou d’un quartier, le Schéma de Développement du Territoire a la capacité d’influer sur les approches immobilières. Même si son champ d’application semble réduit à une série de projets de services publics ou communautaires et aux projets de 15 hectares minimum, il s’applique aussi aux schémas et aux guides et donc, à travers eux, aux projets individuels de moindre envergure. Il est donc en mesure d’offrir des critères pour implanter un projet en fonction des activités, des immeubles et des espaces verts existants.
Pour maintenir ou installer la bonne activité à la bonne place et freiner concrètement le mitage des zones agricoles et naturelles, la stratégie du Schéma de Développement du Territoire peut orienter les projets en fonction d’une vision globale, structurante et actualisée du territoire régional, dans le plein respect du caractère indicatif de l’outil.
Les quatre principes qui sous-tendent les objectifs régionaux sont interdépendants.
La nouvelle feuille de route territoriale doit relier au mieux ces enjeux pour définir, de manière efficace et originale, une perspective de développement susceptible de rencontrer les impératifs de la transition écologique. La stratégie territoriale doit rendre compte de la manière dont interagissent la lutte contre l’étalement urbain, l’utilisation rationnelle des territoires et des ressources, le développement socio-économique, l’attractivité territoriale, la gestion qualitative du cadre de vie et la maîtrise de la mobilité.
Les projets reconnaissent et respectent les lieux qui les accueillent.
Puisque la plupart des projets de développement régional ou local se veulent à grande échelle, dans des dimensions souvent très vastes, le SDT doit les encadrer afin qu’ils s’harmonisent le mieux possible avec l’existant et le valorisent. Il s’agit de réconcilier l’homme, ses activités, et son environnement, à l’écoute des spécificités et des usagers.
Puisque la mixité a le vent en poupe, le SDT peut expliquer en quoi elle consiste et apprendre à chacun à la reconnaître et la respecter, là où elle existe déjà. La mixité ne se crée pas et ne se décrète pas. Il faut se donner les moyens de laisser la variété d’usages existants se maintenir et s’épanouir. C’est pourquoi les objectifs régionaux du SDT exprimeront de manière claire les critères destinés à encadrer le réinvestissement, notamment dans les espaces déjà urbanisés.
IEW suggère de retenir, parmi ces critères :
- l’accessibilité piétonne et en transports en commun
- l’échelle humaine
- le caractère du paysage bâti et non bâti
- les aménités
- les activités économiques existantes
- les espaces verts et les continuités entre espaces naturels
La structure écologique devient une réalité, partout.
La structure écologique doit être établie par le SDT sur l’ensemble du territoire wallon. Les zones centrales de la structure écologique comprennent l’ensemble des sites reconnus en vertu de la Loi sur la conservation de la nature du 12 juillet 1973. On vise donc les réserves naturelles domaniales (RND), les réserves naturelles agréées (RNA), les réserves forestières (RF), les cavités souterraines d’intérêt scientifique (CSIS), les zones humides d’intérêt biologique (ZHIB) et la structure écologique principale (SEP) telle que définie par l’Arrêté du Gouvernement wallon du 14 juillet 2016 (Natura 2000).
La structure écologique du territoire va bien au-delà de ces sites reconnus par la Loi sur la Conservation de la nature. Elle doit aussi reposer à la fois sur les lieux imbriqués dans le tissu bâti, sur les cours d’eau grands et petits qui innervent le territoire et sur les espaces non urbanisés qui se font grignoter un peu plus chaque jour, sous le prétexte que notre région est vaste et verte : forêts, champs, prairies, haies, alignements d’arbres, vieux jardins, friches, etc. Ces différents éléments doivent être pris en compte pour la définition des éléments de liaisons écologiques qui complètent les zones centrales et les font vivre.
Par ailleurs, dans les “centralités urbaines et rurales”, les espaces non urbanisables actuellement présents doivent être mis en avant par le SDT comme des éléments moteurs des quartiers. Ils forment des maillons indispensables pour répondre aux principes fixés pour le SDT (utilisation rationnelle des territoires et des ressources, l’attractivité de notre région, gestion qualitative du cadre de vie, maîtrise de la mobilité). Ils font partie de la cohérence de la structure écologique que le SDT concrétisera à travers ses objectifs régionaux et à travers la carte de la structure territoriale.
Le volet cartographique est compréhensible par tous.
La structure territoriale s’exprimera dans des cartes à la fois schématiques et thématiques, accompagnées d’une légende et d’un manuel explicatif. Il s’agit d’éviter l’écueil de lecture au centimètre-près qui a parfois pu fausser la mise en oeuvre des options du Schéma de Développement de l’Espace Régional (SDER).
Une fois le SDT adopté : feuille de route, synergies et évaluation
1. Feuille de route
Pour rencontrer les grands enjeux territoriaux, le SDT devra bénéficier de l’adhésion active des autorités et des administrations, tant régionales que communales. Il doit devenir la feuille de route du Gouvernement wallon.
2. Synergies
Pour faire du SDT un document éminemment stratégique et transversal, il faut établir des synergies avec e.a. le Schéma Régional de Mobilité, la Politique de la Ville, le Schéma Régional de Développement Commercial, le Plan Marshall 2.0.
3. Evaluation récurrente
La vision globale du territoire gardera sa pertinence si les impacts du SDT sont régulièrement évalués sur base d’indicateurs spécifiques, avec à la clé un rapport du Gouvernement wallon devant le Parlement wallon.
En savoir plus
- « Place à une vision du développement territorial compatible avec l’environnement ! » Le 1er juin 2017, IEW publiait un communiqué de presse sur le SDT, disponible ici.
- En 2013, la précédente majorité avait déjà entrepris la rédaction d’un nouveau SDER. Voici les six axes de l’avis que la Fédération avait alors transmis au Ministre Philippe Henry, porteur du projet :
- Un droit de l’aménagement du territoire cohérent, stable, garant d’un équilibre territorial entre les différentes fonctions
- La fin de l’éparpillement de l’urbanisation et du mitage des terres non urbanisées
- La réduction de la dépendance à la voiture et le soutien à la mobilité de proximité
- La reconnaissance de la place de la nature sur le territoire, par l’augmentation des surfaces protégées, par la préservation de l’existant et par le respect de la nature ordinaire
- Un développement commercial qui respecte l’équité sociale et l’environnement, participe au bon aménagement des lieux, exemplaire en termes de mobilité collective et active
- La mise en valeur de l’architecture modeste, urbaine et rurale, à l’encontre de la banalisation du paysage
Le texte complet de l’avis d’IEW est ici.
Illustration en tête d’article : Jassogne, près de Crupet, mars 2012. Photo Hélène Ancion.