Le tourisme peut-il contribuer à la Transition ?

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Une conférence internationale a été organisée ces 12 et 13 septembre à Brugge sur la thématique des changements auxquels l’industrie du tourisme doit faire face et par rapport auxquels elle peut même se positionner en tant que moteur. Organisée par Toerisme Vlaanderen et intitulée « Travel to Tomorrow – Growing Forward Together », la conférence rassemblait des orateurs de renommée internationale tels que Daniel Wahl (auteur de Designing Regenerative Cultures), Michèlle Holliday (auteur de The Age of Thrivability),  Rob Hopkins (TransitionNetwork.org) et Andrew Simms (co-auteur de The Green New Deal).

En outre, plusieurs projets de tourisme alternatif en Flandre y ont été présentés et des personnalités politiques de différentes localités de la Région ont pu témoigner sur les enjeux du tourisme tels qu’ils les perçoivent dans une optique de durabilité. La conférence se voulait également interactive, via une animation destinée à recueillir les avis et questions des participants qui représentaient le secteur touristique au sens large.

La particularité de cet évènement, qui en faisait toute sa richesse, était de faire intervenir en tant qu’orateurs notamment des personnes non-issues du secteur touristique, pour parler des enjeux du tourisme et de son avenir en termes de durabilité.

Une des idées maîtresses émanant des exposés était la suivante : les touristes doivent passer de la posture de prédateurs à celle de pèlerins. La comparaison entre les touristes et les pèlerins a déjà été faite dans le passé, notamment par Rachid Amirou, sociologue, qui a établi un parallèle entre le tourisme moderne et les pèlerinages du moyen-âge, en insistant sur les nombreux parallèles qui existent entre ces deux types de pratiques[1]. Dans le cadre de la conférence organisée par Toerisme Vlaanderen, l’idée défendue notamment par Daniel Wahl est celle que les touristes doivent développer une attitude de soutien à la destination qu’ils fréquentent, en contribuant à son bien-être par des actions autres que celles qui consistent simplement à consommer sur place et à profiter des lieux. Par exemple, en s’investissant dans des projets de restauration du patrimoine ou de recyclage des déchets. On pourrait même imaginer que les touristes puissent « parrainer » leurs destinations de prédilection, tout comme on peut le faire, désormais, avec des animaux sauvages. Les touristes peuvent aussi contribuer à la durabilité de la destination en apportant leurs savoirs et leur expertise. Ces différents types d’apports ont en commun le fait que la relation au lieu visité est modifiée, d’un rapport de « consommation » à un rapport qui consiste à « prendre soin » de ce lieu.

En outre, selon Daniel Wahl, la grande compétition qui existe entre les destinations touristiques, et la difficulté de positionnement des destinations rurales qui ne sont pas les destinations traditionnellement les plus populaires peuvent être considérées comme des facteurs permettant l’émergence d’innovations en matière de durabilité. Pour illustrer son propos en s’inspirant de cas dans d’autres secteurs, l’auteur a pris pour exemple la Chine qui n’était pas dans le peloton de tête des pays producteurs de voitures et qui a rattrapé son retard en produisant des voitures électriques. De façon identique, on pourrait dire que pour certaines régions rurales, le développement d’une offre touristique innovante et fortement teintée de durabilité (par exemple, le vélotourisme ou la mise en valeur de produits bio et locaux) permet effectivement une progression et une mise en concurrence par rapport à des régions touristiques plus traditionnelles qui n’ont pas fait l’effort de se réinventer.

Au niveau des tendances actuelles perçues par les orateurs et par les professionnels du tourisme,  plusieurs réalités contradictoires se font ressentir : d’une part une croissance continue du tourisme international à partir des pays émergents (notamment la Chine et l’Inde) et d’autre part, une prise de conscience de l’impact du tourisme, de son développement et de son accélération, dans les pays industrialisés. Les orateurs présents à la conférence recommandent aux professionnels du tourisme de se préparer à accueillir cette deuxième tendance qui vise au ralentissement et à la relocalisation du tourisme (tourisme de proximité), en développant des infrastructures adaptées (on pense évidemment ici aux infrastructures permettant des formes de mobilité moins impactantes et la vente en circuits courts). Cette adaptation est d’autant plus importante que les pays émergents sont également confrontés aux défis du changement climatique, qu’ils vont en ressentir les effets et qu’ils vont également devoir s’adapter.

Sur un plan plus sociologique, plusieurs phénomènes important ont été soulignés dans le cadre des interventions : une part importante de la population flamande n’a pas les moyens de partir en vacances, l’importance que le touriste accorde au fait de partager son expérience (pour de nombreuses personnes, l’expérience touristique prend sa valeur véritable lorsqu’elle peut être partagée, ce qui explique notamment le succès des photos et autres témoignages sur les réseaux sociaux) et l’importance du contact entre hôtes et visiteurs. Ces phénomènes sociologiques ne sont en soit pas nouveaux, mais ce qui l’est davantage, ce sont les mécanismes et technologies qui permettent cette forme de partages et de contacts : les réseaux sociaux, mais également les dispositifs mis en place par des villes en Flandre pour mesurer l’impact du tourisme sur les populations locales et faire émerger des solutions par une dynamique participative.

Rob Hopkins, lors de son intervention, a affirmé que les changements climatiques correspond en réalité à un déficit de notre capacité à imaginer des solutions. Selon l’initiateur du mouvement de la Transition, parmi les ingrédients qui permettent de stimuler l’imagination collective, l’espace (et notamment l’espace « temps » dégagé lorsqu’on est en vacances), la mise en pratique (l’expérimentation) et les accords (qui permettent de transformer les idées en réalité) sont déterminants. Certaines formes de tourisme sont, par excellence, des moments où le temps est plus disponible et où des expérimentations sont possibles. Les lieux qui incarnent la transition peuvent, en outre, devenir des « produits d’appel » touristiques (le tourisme à Totnes, par exemple, s’est développé suite au développement des initiatives de transition dans la ville, même si cela n’a pas été mesuré précisément, selon Rob Hopkins). Vu sous cette angle, le tourisme peut être considéré comme un terreau fertile pour des initiatives de transition.

Pour Andrew Simms, les problèmes que nous rencontrons sur un plan global (les changements climatiques, notamment) sont liés au fait que l’être humain a besoin de bouger physiquement (pour paraphraser Blaise Pascal[2]) et nous devrions cultiver davantage notre capacité à voyager mentalement (plutôt que physiquement). L’orateur a insisté sur l’empreinte carbone des voyages en avion et sur le fait que ce mode de transport est socialement très inéquitable.

Andrew Simms croit en la valeur de l’exemplarité. Par exemple, en Suède, le nombre de personnes prenant l’avion a significativement diminué suite au positionnement de Greta Thunberg sur la question.

Pour Simms, il existe une quantité de solutions mises en œuvre dans différents lieux de par le monde (tourisme communautaire en Equateur, villes telles que Paris qui bannissent la publicité sur panneaux en rue, jour (récurent) sans voiture à Djakarta, etc.) qui pourraient être partagées entre différents lieux, au titre de pratiques inspirantes.

Pour faciliter ce partage, l’auteur a créé un site internet (Rapid Transition Alliance[3]), sur lequel ces pratiques sont présentées. Il est convaincu de la capacité d’adaptation de l’être humain et en prend pour preuve les grands chantiers qui ont permis de créer les voies de chemin de fer à la fin du 19è siècle ou encore notre capacité à réagir collectivement à des grandes crises. 

En lien avec ce qui est écrit au début de cet article, Simms pense que le parrainage entre lieux intéressés par la transition offre de belles perspectives en termes de progrès, de solidarité et d’innovation.

En somme, le message clé de la conférence était le suivant : le tourisme représente à la fois une menace mais aussi une opportunité. A nous de la saisir, mais sans plus attendre.

Plus d’information sur les exposés : https://youtube.com/user/toerismevla


[1] AMIROU Rachid, Imaginaire touristique et sociabilités du voyage – Éditions PUF – août 1995.

[2] « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. », Blaise Pascal, dans Discours sur les passions de l’amour.

[3] https://www.rapidtransition.org/