Les destinations touristiques urbaines sont de plus en plus nombreuses à se vouloir « vertes ». Bruxelles n’échappe pas à la règle. Mais que se cache-t-il réellement derrière ces récentes ambitions ? Les politiques déployés ça et là en faveur du développement durable du tourisme urbain ont-elles une réelle valeur ajoutée ? Sont-elles probantes ?
Courant septembre, le Ministre-président de la Commission Communautaire française, Christos Doulkeridis et le Directeur général de l’agence de communication du tourisme de la Région bruxelloise « VisitBrusels« , Patrick Bontick ont rappelé devant les acteurs du secteur touristique bruxellois leur volonté de faire de Bruxelles une destination touristique durable.
Ce fut l’occasion pour nos deux orateurs de rappeler le dispositif et les initiatives d’ores et déjà prises – pour certaines depuis quelques années déjà – en vue de verdir davantage notre capitale en sa qualité de destination touristique. Parmi ces initiatives, citons : le Plan Régional de Développement Durable lancé par la Région de Bruxelles-Capitale (voir aussi les réflexions critiques d’Inter-Environnement Bruxelles (IEB) à ce sujet), l’adhésion au Réseau « Slow Cities », la croissance des entreprises et hôtels écolabellisés, le lancement du label Clé Verte / Green Key porté par la Fédération Inter-Environnement Wallonie, l’instauration d’un programme sociétale de l’entreprise par un nombre croissant d’acteurs touristiques, une approche plus respectueuse de l’environnement et de la société de la part des organisateurs de congrès et d’événements. Par ailleurs, “Brussels” accueille chaque année de nombreux événements qui ont pour thématique le « durable ».
Bruxelles est loin d’être un cas isolé. En effet, nombreuses sont les villes touristiques qui se bousculent au portillon de la durabilité, aspirant chacune à devenir destination touristique durable à part entière. Mais que se cache-t-il réellement derrière ce vocable ? Quelles en sont les initiatives sous-jacentes et sont-elles probantes ? C’est ce qu’a tenté de répondre le Comité Régional du Tourisme Paris Île-de-France dans une étude intitulée « Le tourisme urbain peut-il être durable ? Études synthétisées ». Pour ce faire, l’organisme français a observé les pratiques en matière de développement durable d’une dizaine de destinations touristiques européennes à forte fréquentation, parmi lesquelles Bruxelles, Paris, Londres et Amsterdam.
Le tourisme urbain peut-il être durable ? Éléments de réponse
Le développement durable, bien que concept limité (le développement économique, fut-il durable, n’est-il pas contraire à la préservation de l’environnement ? Persévérer dans la poursuite d’une croissance infinie n’est-elle pas utopique dans un monde où les ressources sont finies ?), a le vent en poupe. Nombreuses sont les destinations touristiques (urbaines) qui s’en saisissent. La ville de Stockholm semble détenir la palme en la matière et récolter les fruits de sa démarche. Démarche dépassant le seul tourisme puisque la capitale suédoise s’est vue décerner en 2010 le titre de “capitale verte” de l’Europe, prix d’un concours créé en 2009 par la Commission européenne visant à récompenser les villes exemplaires en matière de développement durable. Pour déceler ce titre, attribué pour une année, Stockholm a misé sur la réduction de ses émissions de CO2. Elle a déjà réussi à les baisser: de quelques 25 % (par rapport aux émissions de 1990) – ce qui est mieux que les objectifs européens qui prévoient, au mieux, une réduction de 30 % à l’horizon 2020 – en ce jour et ambitionne même de s’affranchir de toute énergie fossile d’ici 2050. Pour y arriver, elle a mis en place des politiques ambitieuses, particulièrement en matière de mobilité (péage urbain, développement du réseau de transports en commun existant, pistes cyclables). Et les résultats se sont rapidement fait ressentir puisque 77 % des habitants se déplacent via les transports publics et de plus en plus s’aventurent sur les quelques 760 km de pistes cyclables que compte la ville. Parmi les autres mesures, relevons : la politique énergétique (optimisation des système d’énergie, recours accru aux énergies renouvelables), la politique de réduction des déchets… et l’aménagement d’espaces de loisirs. En matière de tourisme, l’offre touristique se veut de plus en plus écolo. En témoignent les 100 hôtels (environ) détenteurs d’un écolabel, la plupart du bien connu Nordic Swan ou encore la brochure eco cool inventoriant les lieux et activités qui assureront au touriste de séjourner en limitant son empreinte écologique sur place (et uniquement… le déplacement vers les destinations touristiques grevant lourdement, comme on le verra plus bas, le poids carbone du secteur touristique).
Pour le reste, des initiatives « durables » existent dans les autres villes sondées, mais paraissent encore relativement marginales. Petit tour d’horizon.
Dans la perspective des jeux olympiques de 2012, Londres a créé une norme (BS 8901) dédiée aux professionnels impliqués dans l’organisation d’événements. Une autre démarche « durable » a également vu le jour. Intitulée « Green Tourism for London« , celle-ci réunit une quinzaine de centres de congrès et lieux d’organisation d’événements, ainsi que 85 hôtels qu’elle aide à améliorer leur gestion en ressources et en énergie, à réduire leurs coûts. Au final, ceux-ci se voient attribuer une accréditation se déclinant en différentes catégories : bronze, argent et or.
Amsterdam, à l’image de Londres, surfe également sur le secteur MICE (meetings, incentives, conferences, events), avec comme ambition affichée de devenir le leader européen de l’organisation d’événements dans une démarche durable à l’horizon 2013. Pour ce faire, la capitale hollandaise a développé une politique de développement durable volontariste à destination de ses centres de congrès et d’expositions. Amsterdam n’est également pas en reste au niveau du secteur des hébergements, puisqu’elle dénombre pas moins de 44 hôtels détenteurs de l’écolabel international “The Green Key.” Le fruit de multiples actions de sensibilisation réalisées auprès des professionnels du secteur mettant spécifiquement en exergue les économies de charge réalisées grâce au label.
À Paris, les initiatives existent mais restent relativement timides. Pourtant, la Ville-Lumière n’est pas sans ambition. Devenir une référence internationale en matière de développement durable du tourisme, et par là la première Eco-Région d’Europe, tel est le rêve de Paris-île-de-France.
Grâce au développement de l’écolabel régional « label entreprise écodynamique« , Bruxelles ne s’en sort pas si mal. En effet, 17 hôtels sont labellisés, soit 11,5 % de l’offre hôtelière en Région bruxelloises, loin devant d’autres destinations. Seule Stockholm fait mieux, avec une proportion atteignant les 36,5 %. Et c’est sans compter sur le lancement officiel du label “The Green Key” fin 2010, qui a déjà récompensé deux hôtels bruxellois, alors qu’une dizaine d’autres sont à ce jour inscrits dans la démarche.
Destinations touristiques durables ? Peut mieux faire !
Les principaux enseignements de cette étude concluent à la timidité des actions et initiatives en matière de développement durable (souvent, force est de constater que celles-ci sont plus abouties en zones touristiques rurales, littorales ou en montagne) , et ce malgré le poids touristique des destinations européennes visées. En toute logique, celles-ci devraient d’ailleurs constituer de véritables leviers, permettant d’allier tourisme et durabilité, ce qui ne serait pas un luxe vu les perspectives de l’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT) qui attend 1,6 milliards de touristes à l’horizon 2020 (contre respectivement 25 et 165 millions en 1950 et 1970). En attendant, force est de constater que ces destinations urbaines, excepté peut-être la ville de Stockholm comme évoqué précédemment, n’en sont qu’aux prémisses d’un développement qui se veut durable. Pourtant, comme le relève l’étude française, le développement durable constitue bien, aujourd’hui, un enjeu incontournable. D’une part dans la mesure où un environnement détérioré nuit incontestablement à l’image et à la qualité d’une destination touristique. D’autre part du fait que le développement durable devient de plus en plus un critère de choix, voire même une valeur ajoutée, pour le secteur « MICE » et ce phénomène devrait s’amplifier et toucher demain la clientèle d’affaires individuelle.
La « faiblesse » des initiatives du secteur touristique en matière de développement durable découle également du fait que, actuellement, l’offre d’équipements et services touristiques dits « durables » est insuffisante que pour pouvoir communiquer de façon crédible. À titre illustratif, Paris n’enregistre à ce jour que 1 % d’hébergements écolabellisés sur son territoire.
L’étude déplore aussi que les destinations touristiques ont tendance, dans leurs démarches, en s’axant presque exclusivement sur l’environnement, d’éluder les deux autres piliers du développement durable pourtant évoqués en 1999 par la Commission sur le Développement Durable (CSD) des Nations Unies qui décide alors d’adapter le développement du tourisme aux engagements pris à Rio. Ainsi la dimension sociétale, bien que non négligeable dans un secteur tel le secteur touristique, est souvent éludée. Certes, l’accessibilité, tantôt à l’égard des personnes à mobilité réduite tantôt à tous (les budgets), est parfois considérée, mais est trop souvent le fait de petits groupes spécialisés. Citons toutefois à cet égard l’indice Passe-Partout, système d’évaluation détaillé de l’accessibilité des bâtiments pour tout type de handicap, développé par l’asbl Gamah en Wallonie et à Bruxelles, et mise à l’honneur dans le rapport du Comité Régional du Tourisme Paris Île-de-France.
Le transport pèse lourdement dans l’empreinte écologique du secteur touristique, de par la généralisation de l’avion comme mode de transport privilégié (le transport aérien représente à lui seul 40 % des émissions de gaz à effet de serre générées par le secteur touristique dans sa globalité). Il pèse également, bien que dans une moindre mesure, dans les déplacements sur le site touristique en lui-même. À ce niveau, les grandes villes touristiques ont incontestablement un rôle à jouer : inciter leurs visiteurs à se déplacer durablement. La généralisation, dans un nombre croissant de grandes et moyennes villes, de systèmes de vélos partagés à l’instar de notre Villo bruxellois qui semblent fortement appréciés des touristes va dans ce sens. Tout comme l’offre de pass combinant accès aux activités touristiques (musées, …) et aux transports en commun (auxquels pourrait s’ajouter un accès aux stations de vélos partagés) qui prévaut dans des villes telles que Milan, Londres, Barcelone, Stockholm et Bruxelles.
De leur côté, les professionnels du secteur, à travers le témoignage de quelques 1.700 entreprises française du secteur horeca, ne paraissent pas insensibles aux préceptes du développement durable. Néanmoins, ils sont plus nuancés quant au fait d’appliquer cette démarche dans leur gestion quotidienne. Les manques de moyens financiers, d’informations sur le développement durable et de temps en constituent incontestablement des éléments de dissuasion. D’un autre côté, les professionnels ne sont pas insensibles aux plus-values d’une telle démarche, parmi lesquelles ils citent la mise en conformité avec la législation environnementale, la valorisation de l’image de l’entreprise, les avantages économiques et l’exigence de la clientèle et des partenaires financiers. Raisons pour lesquelles les auteurs de l’étude française en appellent à des actions à mener spécifiquement auprès de ce public : accompagnement technique (centres de ressources), mise en réseau et valorisation des initiatives exemplaires.
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