Hausse des températures, fonte des glaces, sécheresse et désertification… Le discours sur les conséquences des changements climatiques fait figure de science-fiction quand il s’agit d’imaginer un scénario wallon.
Pourtant, des effets de la modification du climat, il y en aura bel et bien chez nous, en Wallonie. Autant les anticiper, s’y préparer pour, si possible, s’y adapter et les atténuer. En initiant une étude « L’adaptation au changement climatique en région wallonne », c’est ce que nos pouvoirs publics régionaux tentent de faire.
Juguler les causes du changement climatique (CC) amorcé, maintenir la hausse de température sous les 2°C, réduire drastiquement nos émissions de GES : fil conducteur de toute nouvelle politique, voeu pieux ou mission impossible ? Tout le monde est d’accord sur le principe.
Or, on rencontre peu de convergence sur les moyens. Chaque partie attend un consensus et des gestes forts des autres parties, que ce soit au sein de l’UE, entre pays industrialisés ou de la part des pays émergents.
Mais il y a un terrain d’action où chaque territoire a un intérêt à agir, vite, et s’il le faut, de façon indépendante : la projection des changements qu’il encourt et le développement d’une stratégie pour s’y adapter.
La Wallonie, via les missions de l’Agence wallonne de l’air et du climat (AWAC) a fait réaliser une étude visant à élaborer des projections climatiques à son échelle, à décliner leurs impacts en termes de vulnérabilité, voire d’opportunités pour le territoire et à suggérer des pistes d’adaptation.
Et si le constat paraît presque « prévisible » tant il devient « commun » de parler de changements climatiques, il n’en reste pas moins alarmant ! Ces prévisions apparaissent encore plus sombres quand on sait que les adaptations souhaitées ont encore beaucoup de mal faire partie intégrante des politiques régionales et plus particulièrement d’une stratégie cohérente et ambitieuse de développement durable.
Les modifications du climat à l’échelle régionale sont déjà amorcées, reste à espérer que les mentalités évolueront plus rapidement qu’elles, ce qui, sur base de ce qu’on l’on peut observer aujourd’hui, est loin d’être le cas.
Tendances générales et secteurs impactés
Les sciences du climat ne délivrent pas de réponses exactes quant aux futures modifications climatiques, régionales ou mondiales.
Beaucoup d’incertitudes demeurent relativement à l’amplitude des variations du climat mais aussi concernant la nature et l’intensité des impacts qui en découleront. Mais tout de même, des tendances se dessinent. Et celles-ci sont loin d’être réjouissantes.
Les 3 modèles retenus dans le rapport sont caractérisés comme étant : « projections humides », « projections sèches », et « projections moyennes ».
Rapide baromètre :
- Le mercure grimpe : entre + 1,3°C et 2,8C en 2050, entre +2°C er 4°C en 2085. Même avec les projections humides, le seuil des +2°C sera atteint en 2085 !
- Parapluie ? non, peut-être ! Les projections étudiées divergent sur ce point. Dans les projections humides, les précipitations augmenteront constamment à l’horizon 2085 (+8,8%) tandis qu’elles diminuent avec les projections sèches (-4% en 2085). Une chose est sure, le régime devrait varier avec des contrastes régionaux plus marqués.
- Tombe la neige… : jusqu’à +16,4% de précipitations hivernales en 2030 dans les projections humides. Les projections moyennes sont +7% (2030), +13,4% (2050) et +21.5% (2085). Tous les modèles prédisent une augmentation des températures : jusqu’à +2,6°C en 2050 et +3,3°C en 2085.
- L’été sera chaud : dans les projections sèches, la baisse de précipitations atteint -25% à l’horizon 2085 (-8% pour projections humides). Les températures augmentent de +1,8°C à +3,2°C en 2050 et +1,3 et 4,5°C en 2085. Jusqu’à +6°C pour des projections sèches. Les canicules1 seront également plus fréquentes : pour 2050 + 2.3 jours caniculaires en moyenne, en 2085 de +9 jours à +28 jours.
- Rien ne devrait nous être épargnés : très fortes précipitations2 , tempêtes, canicules… les épisodes extrêmes seront plus fréquents.
Ces modifications climatiques auront des impacts sur différents aspects de notre territoire.
L’étude caractérise ces impacts selon leur degré de probabilité, leur degré de gravité et leur étendue à l’échelle wallonne. Des critères comme l’urgence de la prise en charge de l’impact identifié, son niveau de prise en charge actuel ou le niveau de sensibilité des acteurs sont également des critères intéressant.
Enfin, certaines variations du climat pourraient avoir des impacts positifs. Mais il convient de considérer ces « opportunités » annoncées avec la plus grande prudence car il faut bien avouer qu’il existe un manque de connaissance sur la manière dont les écosystèmes seront affectés par des changements aussi rapides et sur les réactions en chaîne qui pourraient survenir.
Le rapport souligne l’absolue nécessité de promouvoir la recherche sur les impacts des CC et les effets des stratégies d’adaptation associées.
Impacts et vulnérabilité
Infrastructures et aménagement du territoire
Inondations et tempêtes plus fréquentes endommageront les infrastructures. Les vagues de chaleur influenceront le sol (argile), perturberont certains services (rails dilatés, navigation en période d’étiage). L’amplification d’effet d’ilot de chaleur urbain impacteront sur la santé des habitants et les consommations d’énergie (besoin en climatisation).
Agriculture et sylviculture
D’intenses précipitations accentueront l’érosion des sols. Des inondations plus fréquentes toucheront certaines zones. Si une augmentation des précipitations hivernales pourrait favoriser la recharge des nappes, des périodes de sécheresse et de canicules auront un impact négatif sur les cultures et l’élevage. Maladies, parasites et espèces invasives impacteront sur les rendements, même si ceux-ci devraient être favorisés par un allongement de la période de croissance végétative.
Si la croissance forestière sera stimulée (+ de chaleur et + de CO2), les forêts devraient souffrir : sensibilité accrue aux maladies, pullulations de ravageurs, risque de chablis liés aux tempêtes, risque accru d’incendie…
Biodiversité
Les écosystèmes déjà fragilisés seront encore plus vulnérables de part des changements très rapides. Certains milieux comme les tourbières pourraient disparaître. Les cycles biologiques saisonniers (phénologie) seront perturbés. Les aires de répartition des espèces va évoluer avec comme corollaires des cortèges floristiques incapables de s’adapter et une présence accrue d’invasives. Certaines espèces seront plus sensibles aux ravageurs.
Ressources en eau
Un ruissellement accru favorisera la pollution des eaux de surfaces et un lessivage plus intense accentuera celle des nappes. Des débits d’étiage plus fréquent et des températures plus élevées conduiront à une dégradation de la qualité des eaux.
Energie
Si une diminution des besoins en chauffage est espérée, une hausse des consommations énergétiques liées au froid et à la climatisation est attendue. Les changements de régime pluviométrique et des périodes d’étiage plus fréquentes (ou plus longues) pourraient avoir une incidence sur les besoins en refroidissement des centrales thermiques (et nucléaires jusque 2025).
Des effets des variations de climat sur la production d’énergies renouvelables (éoliennes, photovoltaïque, croissance biomasse) sont très probables mais encore mal cernés. Il est clair la gestion du réseau électrique devra tenir compte des effets des CC sur l’offre et la demande en électricité.
Santé
Les risques pour la santé sont d’une part liés aux canicules plus fréquentes ce qui pourrait augmenter la mortalité chez les personnes fragilisées. Des hausses de températures et une moins bonne qualité de l’air augmenteront les risques d’allergies et de problèmes respiratoires.
Un risque de dégradation de la qualité de l’eau, de contamination ou d’intoxication alimentaire accru est à prévoir. Enfin, l’influence des variations climatiques sur le développement de maladies à vecteur est un champ qu’il conviendra d’étudier sérieusement.
Stratégie d’adaptation
Ce rapport n’est pas un plan d’adaptation mais il constitue toutefois un exercice indispensable en présentant des projections climatiques et les orientations que devront prendre une stratégie d’adaptation véritablement opérationnelle.
Il est crucial que la planification du territoire intègre dès à présent les enjeux de l’adaptation.
L’urbanisation à outrance, l’imperméablisation des sols, l’implantation d’infrastructures en zones inondables ou la disparition des zones naturelles « tampon » doivent cesser. L’eau et le végétal doivent réintégrer les centres urbains pour contrer le phénomène d’ilot de chaleur.
L’isolation du bâti doit être le maître-mot et des solutions de refroidissement passif doivent être préconisées pour éviter les systèmes de climatisation énergivores et préjudiciables pour la santé.
La préservation de la qualité de l’eau devra être centrale et à ce titre, on regrette la faiblesse des recommandations en matière de planification urbanistique pour respecter cet objectif. Une approche globale sur différents niveaux (cours d’eau, bassin hydrographique, régional et transfrontalier) est indispensable. Mais c’est surtout vers une utilisation plus rationnelle des ressources en eau qu’il faudra transiter.
Les menaces pesant sur la biodiversité ne sont pas neuves mais elles seront exacerbées par les changements climatiques. Les mesures actuelles ne suffiront pas.
Un réseau écologique étoffé impliquera de revoir le statut et les limites de zones protégées. La gestion de certains milieux naturels devra être adaptée. Un réseau de vigilance attentif aux espèces invasives devra être renforcé.
En agriculture, il faudrait revenir à des variétés naturellement plus résistantes aux pestes, trouver des alternatives aux cultures gourmandes en intrants (eau, énergie, engrais). Les techniques culturales devront évoluer pour préserver les sols de l’érosion.
En foresterie, il faudra bannir la plantation d’espèces mal adaptées aux conditions pédo-climatiques de la station. C’est une sylviculture dynamique, attentive au fonctionnement naturel des forêts qui doit prévaloir.
Une meilleure gestion sanitaire lors d’épisodes caniculaires doit se développer notamment par une adaptation des bâtiments. Le rythme des activités, la mobilité devront être adaptés en conséquence. Il est en outre nécessaire de développer expertise et vigilance sur les effets des CC sur la santé (maladies à vecteurs, allergies, etc.).
Toutes ces recommandations ne sont pas foncièrement innovantes. Cela fait des années que le secteur environnemental préconise ce type de mesures. Les solutions sont sur la table depuis longtemps.
Reste à espérer que toutes ces recommandations ne resteront pas lettre morte et que les changements climatiques seront reconnues comme une réalité qui dictera les orientations à prendre au niveau de toute planification globale et plan de gestion sectoriel.
Inflexions ou rupture ?
Si ce rapport se garde bien de faire des choix, il avertit le politique qu’il doit en faire, dès aujourd’hui, selon l’urgence et la gravité des impacts attendus. Quel niveau de risque la société est-elle prête à accepter ? Quel coût consent-on à payer pour faire face aux CC ?
La question du financement des mesures devra également être soulevée rapidement ainsi que celle des leviers favorisant l’adaptation. La voie fiscale peut être un instrument puissant tandis que la voie normative et les dispositifs d’aides publiques doivent intégrer les enjeux liés au CC au plus tôt. La question d’acceptabilité des mesures envisagées par la population est évoquée.
Pour IEW, il ressort de la responsabilité politique de mettre tout en oeuvre pour impulser des changements de comportements durables qui permettront aux citoyens de non seulement s’adapter aux CC mais surtout de les freiner (une vraie politique de mobilité durable par exemple…).
Les experts pointent également du doigt les inégalités sociales que les CC rendront plus profondes. Les personnes défavorisées auront plus de mal à adapter leur logement contre les aléas climatiques ou à faire face à des problèmes de santé récurrents.
Le rapport a le mérite d’attirer l’attention sur un principe directeur qui doit guider les choix actuels et futurs : celui du contenu énergétique des mesures d’adaptation. Toute mesure, entre autres la rénovation d’infrastructures adaptées à la nouvelle donne climatique, mobilisera des ressources qui ont un coût environnemental et énergétique.
Et de là, aller plus loin que le rapport en préconisant une généralisation des ACV3 permettant d’orienter les politiques, mais aussi les entreprises et les citoyens, vers des choix aux impacts énergétiques et environnementaux minima. Le rapport de l’AWAC prône l’adaptation surtout par des inflexions des dispositifs actuels.
Pour IEW, la résilience aux CC ne peut se faire sans une rupture avec les systèmes actuels, qu’il s’agisse, entre autres, du système agricole conventionnel ou de l’étalement urbain continu !
En outre, le rapport n’évoque que très peu la nécessité de mettre en balance le coût des changements souhaitables (voire indispensables) avec le coût de l’inaction.
L’internalisation des externalités découlant du laisser-faire (ou BAU) pourrait donner un sérieux coup de fouet à certaines politiques qui tardent à être mises en oeuvre.
S’adapter, oui… mais est-il trop tard pour atténuer ?
Les changements climatiques estimés semblent inévitables. Est-il pour autant vain de lutter contre ces changements, d’atténuer leurs effets voire de renverser la tendance actuelle ? De nombreuses pistes existent pour lutter contre les changements climatiques.
La maîtrise de la demande énergétique est une des pierres angulaires des stratégies d’atténuation. C’est dans tous les secteurs que ce leitmotiv doit être décliné. Réduire nos émissions de GES de 80 à 95 % d’ici 2050 implique des modifications profondes de nos modes production et de consommation.
La transition climatique n’est pas qu’une affaire de scientifiques, elle doit être prise à bras le corps par les politiques bien sûr mais aussi par les économistes, les sociologues, les psychologues, etc. soit au moyen d’une approche pluridisciplinaire….
Á l’échelle individuelle, il y a quantité d’actions à mettre en oeuvre pour diminuer ses émissions de CO2.
- Une canicule se définit comme une période d’au moins 5 jours consécutifs avec une température de 25°C ou + et comprenant au moins 3 jours avec 30°C ou +.
- On entend par « très fortes précipitations » le nombre de jours où le volume des précipitations est supérieur ou égal à 20mm.
- Analyse de cycle de vie