Ce 09 octobre, le Conseil européen se prononçait sur la proposition de révision des règlements européens relatifs eux émissions de CO2 des voitures et véhicules utilitaires légers. Les représentants de certains pays ont relayé avec beaucoup de zèle les préoccupations des constructeurs d’automobiles et ont fait plier les pays les plus progressistes. Crise aigüe de schizophrénie politique au lendemain de la publication du rapport « 1,5°C » du GIEC ? Non hélas : ceci n’est pas une crise, mais une constante : les intérêts financiers à court terme des constructeurs d’automobile priment sur le climat.
Ce 08 octobre, Jean-Pascal van Ypersele évoquait sur les ondes de la RTBF la nécessité d’une révolution à très court terme de nos modes de production et de consommation pour parvenir à limiter les conséquences des bouleversements climatiques. J’en ai eu un douloureux pincement de cœur : en 2002, ce scientifique engagé pour lequel j’éprouve le plus profond respect écrivait dans une carte blanche publiée dans Le Soir : « Pour éviter le crash climatique à nos enfants et petits-enfants, c’est une révolution qui est nécessaire ». Son appel avait fortement renforcé mon engagement dans la lutte environnementale.
Seize ans plus tard, le monde serait-il enfin prêt à mener cette indispensable révolution ? Il n’a fallu qu’un jour pour que les dirigeants européens nous fournissent la réponse. Elle est négative.
Le 09 octobre, le Conseil européen se prononçait en faveur d’une réduction de 35% sur la période 2021-2030 pour les émissions de CO2 des voitures neuves vendues en Europe. Les pays du groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie) et l’Allemagne ont réussi à faire plier la majorité des Etats européens qui plaidaient pour un objectif de réduction de 40%, en cohérence avec la position adoptée par le Parlement européen une semaine plus tôt.
Si la révolution indispensable pour éviter le crash climatique se produisait, ce serait à n’en pas douter sans les constructeurs d’automobiles. Ou plus exactement contre eux qui, sans relâche, luttent avec acharnement pour limiter l’ambition des législations environnementales. Contre eux qui, par l’entremise de relais politiques complaisants, font insérer dans les directives et règlements européens des dispositions qui en affaiblissent l’efficacité. Contre eux qui, en aval, se permettent encore d’interpréter ces législations de manière restrictive – voire de ne pas les respecter du tout.
Entre 2009 et 2016, les émissions de CO2 des voitures neuves vendues en Europe ont baissé de 18,9%, passant de 145,7 à 118,1 g/km. Ceci selon les chiffres officiels (c’est-à-dire ceux déclarés par les constructeurs). Le bilan des émissions réelles est bien inférieur. Selon les données de l’ICCT, qui fonde son analyse sur des bases de données de consommation réelle de carburant relatives à plusieurs centaines de milliers de voitures européennes, les émissions sont passées de 174,8 à 167,7 g/km, soit une baisse de 4,1%…
Comment des dirigeants politiques peuvent-ils accorder plus d’importance aux revendications des constructeurs qu’aux plaidoyer des scientifiques les exhortant à mettre en place des politiques de rupture pour sauver le climat planétaire – et donc l’habitabilité de la Terre ? Les réponses sont multiples. Le pragmatisme politique qui dérive souvent en un sordide marchandage. La recherche du compromis qui peut mener à la compromission. Le discrédit jeté sur les questions environnementales qui se mue chez certains en un rejet dogmatique de tout ce qui s’y rapporte. La peur panique devant les manœuvres de chantage à l’emploi qui induit parfois à accepter « tout sauf ça ». Le besoin de reconnaissance qui emmène certains à emprunter n’importe quels chemins du moment qu’ils les mènent dans les milieux économiques, dans les « hautes sphères » qu’ils ont tant de plaisir à fréquenter. Les logiques de groupe qui s’apparentent parfois à du copinage entre personnes issues des mêmes grandes écoles et se percevant comme appartenant à « l’élite »…
Derrière tout cela, une même logique qui consiste à privilégier les petits calculs de court terme au respect des valeurs qui fondent – ou devraient fonder – l’action politique. Laissons donc le dernier mot de ce petit billet à Christiane Taubira qui nous invite tous – citoyens comme décideurs – à sortir de cette logique mortifère : « Jusqu’où peut-on se laisser porter par l’instant, ses tyrannies, ses chimères, ses reniements, ses avilissements, alors que le temps, tôt ou tard, viendra imposer la toise à laquelle se mesure ce qui est bon, la balance où sera pesé ce qui est juste ? L’échelle du temps contre la pression de l’instant. Les valeurs contre les calculs. »[[Christiane Taubira. Nous habitons la Terre. Paris : Editions Philippe Rey. 2017, p. 57]]