Alors que les émissions du secteur aérien n’ont cessé de croître depuis des décennies, l’Agence européenne de l’environnement (AEE) affirme qu’au niveau des transports, c’est encore dans l’aérien qu’il faut s’attendre à la plus importante hausse d’émissions d’ici 2030.
Les vols en jets privés sont particulièrement impactants. En effet, ils émettent nettement plus de CO2 que d’autres modes de transport. Selon l’association Transport & Environnement (T&E), ils émettent de 5 à 14 fois plus par passager/km que les vols commerciaux et jusqu’à 50 fois plus que les trajets en trains1.
Les vols en jets privés font l’objet de critiques de plus en plus fréquentes dans les médias et sur les réseaux sociaux2. Après l’équipe française de football PSG et l’homme d’affaires Bernard Arnault, c’est au tour du Président du Conseil européen, le libéral belge Charles Michel, de faire l’objet de critiques pour ses déplacements particulièrement nombreux en avions privés.
Les responsables de l’’aéroport d’Amsterdam-Schiphol ont quant à eux annoncé tout récemment qu’ils y interdiraient prochainement des vols de nuit et des jets privés « pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et les nuisances sonores », tandis que l’Assemblée nationale française a débattu (et finalement rejeté) ce 6 avril une proposition de loi portée par les écologistes visant à interdire les vols en jets privés.
C’est dans ce contexte que Greenpeace a commandité et diffusé tout récemment les résultats d’une étude réalisée en mars 2023 par Jasper Faber et Sander Raphaël, deux experts travaillant chez CE Delf.
Cette étude couvre le trafic aérien en avions privés en Europe3 en 2020, 2021 et 2022, ainsi que les émissions produites par ce trafic, les distances parcourues et le type d’avion utilisé dans le cadre des vols concernés, les route les plus fréquemment utilisées (avec le détail pour chaque année), l’intensité en CO2 des routes fréquemment utilisées4 et une analyse spécifique pour chaque pays inclus dans la zone. L’étude s’est basée sur une database détaillée constituée à cet effet par CE Delf et un large inventaire des vols et des émissions CO2 de chaque vol.
Essor des vols privés suite au COVID-19
Les résultats de l’analyse révèlent tout d’abord la croissance importante ce type de vols depuis la crise du COVID-19 : la database réalisée par CE Delf permet de recenser environ 120.000 vols en 2020, lesquels ont émis près de 355.000 tonnes de CO2. Pour 2021, la database compte presque le triple de vols et plus de 4 fois plus d’émissions de CO2 qu’en 2020. En 2022, le nombre de vos a été multiplié par 1,5 et le CO2 émis par ces vols a plus que doublé par rapport à 2020. Au final, selon CE Delf, on compte, en 2022, plus d’un demi-million de vols privés en Europe, lesquels émettent près de 3.400.000 de tonnes de CO2.
Selon la European Business Aviation Association (EBBA), le nombre de vols privés en Europe avait déjà retrouvé son niveau pré-pandémie en 2021, en dépassant même de 6% son niveau de 2019. L’année 2021 fut même une année exceptionnelle pour ce secteur spécifique, alors qu’il y avait des restrictions sur les vols commerciaux dans certains pays européens, étant donné que de nombreuses personnes – parmi celles qui pouvaient se le payer – ont étrenné un vol privé au cours de cette année.
Une majorité des vols privés parcourt de courtes distances
La distribution de ces vols du point de vue de la distance qu’ils parcourent est particulièrement interpellante. En effet, comme indiqué dans le graphe ci-dessous, la majorité des vols analysés s’effectuent sur une distance de moins de 500 km et parmis ceux-ci, 40% ont une trajectoire de vol de moins de 250 km. A noter également : les vols de plus de 3.001 km ont connu une progression entre 2020 et 2022, mais sans arriver au niveau des vols de courte distance.
Une analyse des « routes » les plus fréquentées par ces vols privés au niveau Européen, ainsi que de celles qui sont la sources des émissions les plus importantes, montre que les liaisons entre Paris, Genève, Londres et Nice se placent au sommet de la pyramide en ce qui concerne le nombre de vols et d’émissions associées.
Par ailleurs, des connexions directes en trains permettent à l’heure actuelle de parcourir régulièrement et en quelques heures la plupart des distances qui sont les plus fréquemment reliées en vols privés.
Quatre fois plus de vols privés au départ de la Belgique entre 2020 et 2022
Selon le rapport publié par CE Delf, les vols privés au départ de la Belgique ont quasiment quadruplé entre 2020 et 2022 (passant de 2.794 en 2020 à 10.618 vols en 2022). Les émissions de ces vols ont été multipliées par 6 sur la même période (de 6.819 tonnes en 2020 à 40.965 tonnes en 2022, ce qui correspond aux émissions annuelles d’un peu plus de 27.000 voitures). L’aéroport le plus utilisé pour l’aviation privée en 2020 était Antwerp International Airport (EBAW) ; en 2021 et 2022, c’est de Brussels Airport (EBBR)qu’ont décollé le plus grand nombre de vols privés. Les routes les plus fréquentées par les jets privés au départ de la Belgique ont été les suivantes : Bruxelles – Paris, Bruxelles – Londres, Bruxelles – Genève ; en ce qui concerne les vols très courts, le trajet Courtrai – Mouscron remporte la palme de la route la plus courte comptabilisant 10 vols ou plus par an entre 2020 et 2022.
L’aéroport de Charleroi (Brussels South Charleroi Airport) se positionne comme le troisième aéroport belge en termes de nombre de vols privés y décollant, avec respectivement 616, 1.107 et 1.322 vols en 2020, 2021 et 2022.
Finalement, la Belgique se positionne en dixième position parmi les pays couverts par l’analyse, selon CE Delf, si l’on considère le nombre de vols privés qui y décollent en 2022.
Comme le souligne Greenpeace, non seulement les émissions des jets privés au départ de la Belgique sont tout à fait démesurées par rapport aux efforts de réductions qu’il convient de consentir pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré mais, en outre, les trajets les plus fréquents réalisés en avions privés ne prennent que quelques heures en train.
L’urgence de légiférer
Même si les vols en avions privés ne représentent en soi qu’une petite partie des émissions de l’aviation, il ne nous semble pas acceptable qu’une partie extrêmement restreinte de la population mondiale se permette d’émettre jusqu’à 50 fois plus par trajet que le commun des mortels. Outre la pollution immédiate occasionnée, cet excès de luxe et de pollution a une portée symbolique et un potentiel d’influence, comme le souligne Grégory Salle, sociologue à l’université de Lille et auteur de l’ouvrage « Superyachts, luxe et écocide »5.
Il faudrait donc trouver de toute urgence une manière de restreindre au strict minimum les vols en avions privés, en ce compris au départ de la Belgique. Deux pistes semblent se dégager pour ce faire : restreindre drastiquement les décollages de vols en avions privés au départ des aéroports belges (et ailleurs dans le monde) ou taxer de façon significative ce type de vols. La réforme en cours de la fiscalité au niveau du fédéral, portée par le Ministre Van Peteghem, pourrait être l’occasion d’atteindre cet objectif en matière de taxation.
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- Transport & Environment, 2021. « Private jets: can the super rich supercharge zero-emissionaviation? »
- « Au clash avec les gros pollueurs », Imagine, novembre – décembre 2022, p. 6.
- Plus précisément : les 27 pays membres de L’UE, la Norvège, la Suisse et le Royaume-Uni.
- Comme définit dans le rapport de CE Delf, l’intensité en CO2 correspond à la moyenne du CO2 émis par kilomètre sur les vols privés sur une route donnée (c’est-à-dire le total de CO2 émis sur cette route divisé par le nombre de vols et par la distance).
- « Au clash avec les gros pollueurs », Imagine, novembre – décembre 2022, p. 9.