Les MAE, un enjeu pour notre biodiversité !

Lors de la présentation du budget au Parlement, le Ministre Carlo Di Antonio a annoncé le dépassement de l’enveloppe affectée aux mesures agroenvironnementales (MAE).

Victimes de leur succès, le renouvellement des contrats agroenvironnementaux arrivant à terme ainsi que les nouveaux engagements seraient limités en 2013 à 2 méthodes agroenvironnementales ciblées parmi les 10 du programme.

Cette mise en veille intervient en pleine période d’incertitude. Le programme agroenvironnemental wallon doit en effet être révisé en profondeur. Les mesures actuelles s’inscrivent dans le Programme wallon de Développement Rural (PwDR) 2007-2013.

Le prochain PwDR (2014-2020) devra intégrer tant l’évolution du cadre réglementaire européen – qui n’est toujours pas arrêté – que la révision à la baisse des budgets affectés au développement rural.

Trois piliers pour protéger la biodiversité

L’adhésion des agriculteurs mais aussi l’efficacité et l’efficience de certaines mesures agroenvironnementales en font l’un des piliers de la politique wallonne de gestion de la biodiversité.

Il y a autant de prairies de haute valeur biologique contractualisées (4.000 ha) que de réserves naturelles. Cette politique volontariste, au regard des budgets qui y sont affectés, constitue ainsi le premier pilier de cette politique.

Le second pilier de la politique wallonne, essentiel également, est celui de la gestion de la biodiversité dans des espaces voués à cet effet : les réserves naturelles.

Enfin, le troisième intervient par le biais d’approches réglementaires, toutes très récentes avec de plus faibles implications budgétaires. Cette approche est principalement dédiée à la gestion forestière publique et plus récemment à la gestion des habitats au sein des périmètres Natura 2000.

Moyens très réduits pour la création de réserves naturelles

Les aires protégées, affectées prioritairement à la gestion de la biodiversité représentent à peine 0,7 % de la surface régionale. Certes, chaque année ces surfaces augmentent mais elles ne dépasseraient pas, sur base de l’effort consenti actuellement, 1,4 % du territoire en 2040 auquel il faut cependant ajouter les réserves intégrales issues de la révision du code forestier.

À titre d’exemple, ces surfaces représentent 3 % du territoire en Flandre, 11,3 % au Pays-Bas, 5,6 % en Allemagne, 9,6 % au Luxembourg et 6,3 % en France. Ces différences reflètent également les moyens alloués à la protection de la biodiversité comme une politique à part entière. Les budgets wallons sont en effet parmi les plus bas.

Une approche négociée et incitative pour les gestionnaires privés…

En Forêt, la révision du code forestier a orienté la gestion forestière publique vers une gestion durable laissant une place à la biodiversité. La forêt privée est concernée, pour près d’un tiers de sa superficie, par un niveau d’intégration semblable en Natura 2000 mais en contrepartie d’une indemnité et d’avantages fiscaux.

Au niveau agricole, les mêmes principes prévalent en Natura 2000. Certaines mesures contraignantes s’imposeront dans les habitats naturels et d’espèces et seront compensées par un régime d’indemnité adapté.

Plus de la moitié des habitats naturels est déjà contractualisée dans le cadre des mesures agroenvironnementales et à peine 3 % de la surface agricole est en Natura 2000 dont plus de la moitié sans contraintes importantes.

En agriculture, l’essentiel des budgets est dévolu par le biais du programme agroenvironnemental, un cadre incitatif et volontaire. Plus d’un agriculteur sur 2 est engagé et participe, selon l(es)(a) mesure(s) adoptée(s), à la protection de la biodiversité.

Ce programme représente un peu plus de 40 % des budgets du Programme wallon de Développement Rural (PwDR) dont plus de la moitié à une vocation « biodiversité ». Concrètement, il s’agit d’un budget d’environ 30 millions d’Euro par an avec une moyenne de 4.000 euros pas agriculteur contractant.

Pas de véritable stratégie wallonne

La proportion du budget du PwDR affectée aux mesures environnementales peut sembler importante. Elle reste cependant très faible si on la compare aux régions du Nord de l’Europe ou à l’Angleterre. Elle doit aussi être relativisée eu égard aux autres piliers de la politique wallonne en faveur de la biodiversité : les moyens alloués à la création d’aires protégées d’une part et les normes d’intégration de la biodiversité.

La Flandre a défini une stratégie claire, négociée de gestion de la biodiversité orientée essentiellement sur la création et de gestion des aires protégées. Les surfaces dédiées, 4 fois plus importantes qu’en Wallonie, y augmentent 6 fois plus vite (3.000 ha/ an contre 500 ha/an). Cette orientation politique résulte d’une négociation entre parties prenantes, avalisée par le politique. L’essentiel des budgets va donc à la politique sectorielle de la biodiversité plutôt que dans les politiques incitatives.

Dans cette même optique, la France a crée un établissement public, le conservatoire du littoral, doté de moyens financiers dédiés et importants, du droit de préemption et d’expropriation pour atteindre ses objectifs de création d’aires protégées.

Le succès des MAE, révélateur de normes environnementales trop faibles

La fixation de normes ambitieuses en terme d’intégration de la biodiversité constitue également une option politique d’intégration de la biodiversité. À ce titre, la Wallonie n’est pas à la pointe. Or, plus le niveau de protection de la biodiversité est faible, plus il devra être compensé par des mesures volontaristes coûteuses pour atteindre un même niveau de biodiversité. Voilà qui explique probablement l’affectation importante des budgets du PwDR aux mesures agroenvironnementales.

En France par exemple, les agriculteurs ont l’obligation de maintenir des bandes enherbées le long des cours d’eau et d’atteindre le seuil de 5 % d’éléments topographiques dans leur exploitation. En deçà, les exploitants sont pénalisés par la conditionnalité.

En Wallonie, il n’y a pas d’obligation pour les bandes enherbées le long des cours, la mesure est incitative (méthode 3.a) et peu efficace puisqu’elle protège un peu moins de 20 % des cours d’eau pour un budget très appréciable issu du PwDR.

La France a réalisé, avant l’heure, le verdissement annoncé de la PAC. Une mesure que le Ministre Carlo Di Antonio souhaite assouplir au niveau européen…

Quand le « volontaire » flirte avec le « contraignant »

Outre l’importante promotion et la qualité de l’accompagnement de terrain, l’adoption des mesures agroenvironnementales est facilitée quand le cadre législatif, « contraignant », se rapproche du cahier des charges de mesures « volontaires ».

Le succès de la MAE relative à la couverture hivernale du sol n’est pas étrangère à l’obligation de maintenir 75 % de cultures pièges à nitrate en zone vulnérable. La différence, soit le maintien pendant un mois supplémentaire de cette couverture, justifierait les 100 € octroyés par hectare. Une coquette somme qui, au vu des surfaces concernées, utilise près de 20 % du budget des MAE. Soit le montant nécessaire pour maintenir le programme wallon jusqu’en 2014.

En décembre 2010, le rapport d’évaluation à mi-parcours du régime agroenvironnemental suggérait déjà d’arrêter progressivement la subsidiation de cette mesure. Des alternatives existent donc pour prolonger le programme existant, il faut impérativement les évaluer avant de donner un signal négatif aux agriculteurs engagés dans la protection de la biodiversité.

Un manque de visibilité à long terme

La décision de restreindre l’accès aux mesures agroenvironnementales en 2013 et d’en arrêter la promotion interviendrait au plus mauvais moment pour les agriculteurs qui sont engagés dans ce programme. En effet, le contexte agricole n’est pas facile pour les éleveurs wallons, les mesures relatives à la biodiversité qu’ils ont mis en œuvre s’envisagent sur le long terme tant pour l’exploitant que pour la biodiversité et les montants concernés sont parfois très importants.

Les mesures agroenvironnementales constituent l’un des éléments clé de la politique wallonne de gestion de la biodiversité. Ce programme peut encore être renforcé à court terme en arrêtant le financement des mesures redondantes avec la législation (couverture hivernale des sols) et en faisant évoluer les pratiques agricoles par la voie réglementaire (bandes tampons enherbées le long des cours d’eau).

Le programme agroenvironnemental doit donc évoluer pour intégrer l’amélioration nécessaire des « bonnes pratiques agricoles » mais il doit aussi assurer la continuité et l’ambition du programme actuel dans sa programmation 2014-2020.

Si le monde agricole a besoin de visibilité à long terme, la politique Wallonne de gestion de la biodiversité en a tout autant besoin. La question du financement de mesures agroenvironnementales est révélatrice à ce titre de l’absence de stratégie claire.

Le Gouvernement fédéral mettra sous peu en enquête publique sa seconde stratégie pour la biodiversité à l’heure où la Wallonie n’a toujours pas son premier plan Nature… Une stratégie concertée est pourtant possible, Natura 2000 aura vu pour la première fois se dégager une vision commune entre parties prenantes, politique et administration mais Natura 2000 n’est jamais qu’une partie de cette politique.

Lionel Delvaux

Anciennement: Nature & Ruralité