Des pesticides dans son assiette ? L’exposition à ces substances via l’alimentation est une des principales causes d’exposition de la population générale. Zoom sur nos étalages belges.
Le comité scientifique de l’AFSCA a publié fin 2022, un rapport sur l’ « Exposition chronique de la population belge aux résidus de produits phytopharmaceutiques par la consommation de fruits et légumes ».(1) Cette étude rassemble des données belges allant de 2014 jusque 2020 et a analysé 14 500 échantillons de fruits et légumes crus, de céréales, de pommes de terre et d’autres produits végétaux. Elle y a recherché la présence de 44 résidus de pesticides sur les 300 substances actives autorisées en Belgique, en choisissant les plus fréquents, les plus toxiques, les plus médiatisés ou pour des raisons de suivi d’études précédentes. Cette étude nous rassure quant aux quantités de pesticides retrouvés dans l’assiette belge, mais qu’en est-il des impacts santé au-delà des seuils recherchés ? Que dis la littérature ?
Qu’est-ce que l’étude de l’AFSCA nous apprend ?
Des pesticides sont retrouvés dans 69% des échantillons, mais dans 97 à 98% des cas, les limites européennes maximales de résidus ne sont pas dépassées. Comme fait assez positif, entre 2014 et 2020, la population est de moins en moins exposée au fil du temps. Si certaines molécules sont plus fréquemment retrouvées, les chiffres vont vers une diminution générale de l’exposition. Principalement grâce au fait que l’utilisation d’un certain nombre de ces substances a été restreinte en Europe.
Les messages clés de cette étude
- Les pesticides sont présents dans la majorité des aliments.
- Les fruits et légumes frais contiennent plus de pesticides que lorsqu’ils sont cuisinés, en jus ou épluchés, et les légumes que l’on consomme le plus fréquemment (pommes de terre, oranges, pommes…) participent souvent le plus à l’exposition. Certains pesticides restent sur la surface du feuillage traité, alors que les pesticides systémiques sont absorbés par la plante et transportés vers tous les tissus (feuilles, fleurs, racines, tiges, ainsi que le pollen et le nectar). Selon une revue de la littérature, laver un fruit ou un légume réduit de 40-60% les résidus de pesticides, les éplucher ou en faire du jus réduit de 83% et les cuire réduit de 87%. (2,3) Plutôt que de retenir des chiffres, souvenons-nous que les fruits et légumes frais contiennent plus de pesticides que lorsqu’ils sont cuisiné ou épluchés.
- S’il y a quelques années, des quantités problématiques ont été retrouvées, par suite d’interdictions successives de nombreuses substances, l’étal moyen belge est aujourd’hui bien plus sûr. De nombreuses molécules ont été dernièrement retirées du marché ou sont mieux contrôlées. Par exemple, en 2014, 40% des aliments analysés étaient contaminés par du glyphosate, ce chiffre tombe à 8,4% en 2020. De même, le chlorpyriphos, interdit en 2020, présentait des taux très préoccupants de 2014 à 2019. La présence du chlorpyriphos dans les fruits et légumes a diminué, passant de 6,0 % en 2008 à 0,7 % en 2020, l’année où le chlorpyriphos n’était plus autorisé. La règlementation des molécules est donc un bon moyen de réduire la contamination dans l’alimentation.
- Globalement, les enfants sont plus exposés et plus vulnérables que les adultes. Pourquoi ? Tout d’abord, les doses journalières admissibles sont exprimées en milligrammes de pesticide admissible par kilo de poids corporel de l’humain en question. Vu que les enfants sont plus légers, les quantités tolérées sont plus faibles. L’on sait également que les enfants sont plus à risque que les adultes : leur corps et particulièrement leur cerveau est en plein développement et en mettant tout en bouche, ils sont beaucoup plus exposés à d’autres sources de polluants. Ils sont donc particulièrement vulnérables. De même pour les femmes enceintes, une prudence particulière n’est jamais excessive pour ces publics, qui ont encore plus besoin d’un bon équilibre alimentaire.
Et côté santé, la présence de ces pesticides pose-t-elle un risque ?
Les doses journalières admissibles (ADI pour Acceptable Daily Intake), ce sont les doses maximales, définies au niveau européen, qui « si elles sont consommées quotidiennement durant toute la durée d’une vie, ne présentent pas de risque appréciable pour la santé. » (4)
En combinant la consommation du belge moyen en fruits et légumes et les quantités retrouvées sur ces mêmes aliments, on peut estimer si ces consommations sont problématiques (si elles dépassent la dose journalière admissible). Selon l’étude de l’AFSCA, les seuils retenus dans l’étude ne montrent pas de contamination préoccupante pour la santé. En moyenne (les calculs ont été faits pour la Suisse), on ingère 0,41 g de pesticide pour chaque kilogramme de pesticide pulvérisé. (2)
Les bénéfices indéniables d’une alimentation riche en fruits et légumes
De manière générale, de nombreuses études se rejoignent en affirmant le bénéfice de manger des fruits et légumes. Faire manger 50% de légumes et fruits est un vrai défi de santé publique. La consommation habituelle moyenne de fruits et de légumes dans la population belge s’élevait en 2014 à respectivement 110 et 145 g par jour, alors que l’Organisation Mondiale de la Santé recommande d’en manger au moins 400 g/j (5). Une étude sortie récemment, compare l’impact d’un régime équilibré (le régime de santé planétaire proposé par la commission EAT-Lancet) sur l’espérance de vie. (6) Ce régime conseille d’augmenter les proportions de fruits et légumes, les céréales complètes et les oléagineux, en diminuant la viande rouge, les boissons sucrées et les céréales raffinées. Cette proposition permet d’avoir une alimentation bonne pour la santé et soutenable pour l’environnement. Adopter un tel régime alimentaire à 20 ans, ferait gagner 10 ans d’espérance de vie à une femme et 13 ans à un homme. Ce qui est assez révolutionnaire dans cette étude c’est que les années de vie gagnées restent considérables peu importe l’âge de modification de régime : en changeant à 60 ans, le gain est encore de 8 ans et à 80 ans, on gagne encore 3,5 années de vie. En ce qui concerne spécifiquement les légumes, ils participent fortement à cette amélioration de la santé. Car en augmentant uniquement ces portions, on gagne 2 années de vie !
Les risques des pesticides
D’un autre côté, la littérature scientifique démontre certains risques pour des aliments riches en pesticides. C’est le cas de cette étude américaine (7), sortie en 2022, qui a suivi 146 000 personnes durant 20 ans. En comparant les régimes alimentaires fortement ou faiblement contaminés en pesticides, cette étude montre que le bénéfice de manger des fruits et légumes augmentent à mesure qu’augmente la consommation des fruits et légumes les moins contaminés : la population qui en consomme le plus voit sa mortalité réduite de 36 % par rapport à celle qui en consomme le moins. Cependant, à propos des fruits et légumes les plus contaminés, cela ne donne aucune différence de mortalité entre ceux qui en consomment le plus et ceux qui en consomment le moins : les chercheurs suggèrent ainsi que la présence plus importante de résidus de pesticides est à même de faire disparaître le bénéfice attendu de la consommation de fruits et légumes sur la mortalité. Toujours aux Etats-Unis et publié en 2018, ce papier (8) conclu que les patientes ayant une grande consommation de résidus de pesticides diminuaient leur chance de tomber enceinte lors d’un parcours de procréation médicalement assisté.
D’autres études se sont intéressées aux bénéfices d’une alimentation biologique.
Globalement, il y a moins de pesticides sur les aliments, lorsqu’il sont issus d’une filière bio (44% du non-bio versus 6,5% de la filière bio) (EFSA 2018). On sait également qu’il y a moins de pesticides ingérés : Il y a une corrélation entre la quantité de pesticides dans l’alimentation et la présence de métabolites urinaires (9) et une autre étude montre une diminution des métabolites du chlorpyriphos en passant à une alimentation biologique (10).
De nombreuses études montrent une amélioration des paramètres de santé en passant à une alimentation biologique : moins de malformations urologiques (11), de diabète et d’hypertension durant la grossesse (12), de risque de cancer (13), de surpoids et d’obésité (14,15). Sont résumés dans ce tableau dans l’étude de Vigar publié en 2020, les effets d’une alimentation biologique versus conventionnelle :
Les résultats sont éloquents. Cependant, un biais existe dans ces études. En se basant sur les populations qui mangent déjà bio, on inclut des personnes plus aisées, faisant attention à leur santé… Même en ajustant les résultats pour de nombreux facteurs confondants, comme le revenu, l’équilibre nutritionnel de l’assiette, la consommation de viande transformée, la consommation d’alcool, le tabagisme etc), les biais ne peuvent être complétement annulés. Par exemple, l’augmentation pour le cancer du sein de l’étude de Bradbury serait expliquée par le surdiagnostic chez les patientes plus aisées et qui ont plus accès aux mesures de dépistage (mammographies plus fréquentes etc).
Conclusion
Les pesticides sont donc présents dans la majorité des aliments que nous consommons. Les fruits et légumes frais contiennent plus de pesticides que lorsqu’ils sont cuisinés, en jus ou épluchés, néanmoins, il est conseillé de favoriser les aliments les moins transformés possibles dans l’alimentation. De quoi s’arracher les cheveux…
On voit aussi qu’il y a un vrai défi d’évaluer l’impact réel de ces consommations de fruits et légumes avec leurs lots de pesticides. Tout d’abord, car en mangeant plus de fruits et légumes on est globalement en meilleure santé qu’une population qui en mange moins. Pareil avec les aliments biologiques, si l’on peut se permettre une alimentation principalement bio c’est qu’on est statistiquement dans une meilleure situation socio-économico-sanitaire (on fait plus attention à sa santé, on est vigilant sur un tas d’autres comportements à risque également (sédentarité, tabagisme, dépistages…)).
La consommation de fruits et légumes est toutefois recommandée indépendamment de leur mode de production par les recommandations nutritionnelles belges, les bénéfices excédant les risques – notamment par rapport à d’autres types d’aliments (produits ultratransformés, viande, charcuteries, etc.). En France depuis 2019, le Programme National Nutrition Santé recommande d’aller vers plus de produits bio.
Sources
1. SciCom – Comité scientifique de l’Agence Fédérale pour la Sécurité de la Chaine Alimentaire. Exposition chronique de la population belge aux résidus de produits phytopharmaceutiques par la consommation de fruits et légumes (période 2014-2020) [Internet]. 2022 [cité 16 janv 2023]. Disponible sur: https://www.favv-afsca.be/comitescientifique/avis/2022/_documents/Avis09-2022_SciCom2019-05_ExpositionPPP.pdf
2. Juraske R, Mutel CL, Stoessel F, Hellweg S. Life cycle human toxicity assessment of pesticides: comparing fruit and vegetable diets in Switzerland and the United States. Chemosphere. nov 2009;77(7):939‑45.
3. Liang Y, Liu Y, Ding Y, Liu XJ. Meta-analysis of food processing on pesticide residues in fruits. Food Addit Contam Part A. 2 sept 2014;31(9):1568‑73.
4. DJA | EFSA [Internet]. [cité 16 janv 2023]. Disponible sur: https://www.efsa.europa.eu/fr/glossary/adi
5. AVIS DU CONSEIL SUPERIEUR DE LA SANTE N° 9284 Recommandations alimentaires pour la population Belge adulte – 2019. 2019.
6. Fadnes LT, Økland JM, Haaland ØA, Johansson KA. Estimating impact of food choices on life expectancy: A modeling study. PLOS Med. 8 févr 2022;19(2):e1003889.
7. Sandoval-Insausti H, Chiu YH, Wang YX, Hart JE, Bhupathiraju SN, Mínguez-Alarcón L, et al. Intake of fruits and vegetables according to pesticide residue status in relation to all-cause and disease-specific mortality: Results from three prospective cohort studies. Environ Int. 15 janv 2022;159:107024.
8. Chiu YH, Williams PL, Gillman MW, Gaskins AJ, Mínguez-Alarcón L, Souter I, et al. Association Between Pesticide Residue Intake From Consumption of Fruits and Vegetables and Pregnancy Outcomes Among Women Undergoing Infertility Treatment With Assisted Reproductive Technology. JAMA Intern Med. 1 janv 2018;178(1):17‑26.
9. Baudry J, Debrauwer L, Durand G, Limon G, Delcambre A, Vidal R, et al. Urinary pesticide concentrations in French adults with low and high organic food consumption: results from the general population-based NutriNet-Santé. J Expo Sci Environ Epidemiol. mai 2019;29(3):366‑78.
10. Hyland C, Bradman A, Gerona R, Patton S, Zakharevich I, Gunier RB, et al. Organic diet intervention significantly reduces urinary pesticide levels in U.S. children and adults. Environ Res. avr 2019;171:568‑75.
11. Brantsæter AL, Torjusen H, Meltzer HM, Papadopoulou E, Hoppin JA, Alexander J, et al. Organic Food Consumption during Pregnancy and Hypospadias and Cryptorchidism at Birth: The Norwegian Mother and Child Cohort Study (MoBa). Environ Health Perspect. mars 2016;124(3):357‑64.
12. Simões-Wüst AP, Moltó-Puigmartí C, Jansen EH, van Dongen MC, Dagnelie PC, Thijs C. Organic food consumption during pregnancy and its association with health-related characteristics: the KOALA Birth Cohort Study. Public Health Nutr. août 2017;20(12):2145‑56.
13. Baudry J, Assmann KE, Touvier M, Allès B, Seconda L, Latino-Martel P, et al. Association of Frequency of Organic Food Consumption With Cancer Risk: Findings From the NutriNet-Santé Prospective Cohort Study. JAMA Intern Med. 1 déc 2018;178(12):1597.
14. Kesse-Guyot E, Rebouillat P, Payrastre L, Allès B, Fezeu LK, Druesne-Pecollo N, et al. Prospective association between organic food consumption and the risk of type 2 diabetes: findings from the NutriNet-Santé cohort study. Int J Behav Nutr Phys Act. 9 nov 2020;17(1):136.
15. Sun Y, Liu B, Du Y, Snetselaar LG, Sun Q, Hu FB, et al. Inverse Association between Organic Food Purchase and Diabetes Mellitus in US Adults. Nutrients. 3 déc 2018;10(12).
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