Les sables bitumineux du Canada : pétrole éthique ou bombe climatique ?

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Charbon, pétrole, gaz : sous forme solide, liquide ou gazeuse, les hydrocarbures sont à l’origine du développement technologique de nos sociétés. A l’état liquide, ils conjuguent une très haute densité énergétique à une grande facilité de transport et d’utilisation. Dès lors, les applications mobiles (soit principalement le transport des biens et des personnes) sous leur forme actuelle dépendent à 95% du pétrole au niveau mondial (un peu plus dans les pays dits développés).

Si certains estiment encore que les réserves de pétrole sont « inépuisables » (ce qui n’est pas sans rappeler les discours selon lequel une croissance infinie est possible sur notre planète de dimensions finies), de nombreuses voix se sont élevées ces dernières années pour sensibiliser les décideurs à l’épuisement des réserves de pétrole dit conventionnel, appellation qui recouvre en gros les champs onshore classiques et les champs offshore en eau peu et moyennement profonde.

Le défi des changements climatiques impose une forte limitation de la combustion d’hydrocarbures (laquelle dégage du CO2). L’Agence internationale à l’énergie estime que « moins de la moitié des réserves fossiles prouvées restantes peuvent être utilisées au cours des 40 prochaines années » (WOE 2011). Ceci si l’on veut éviter une augmentation de la température globale supérieure à 2°C.

Le pétrole à tout prix

La diminution de la consommation apporterait une solution à ces deux crises majeures (énergie et climat) auxquelles est confrontée l’humanité. Sous l’impulsion de nombreux gouvernements et acteurs économiques (notamment ceux du secteur des transports, qui échappe encore et toujours à tout contrôle de la demande, c’est dans le chemin inverse que nous nous engageons. Négligeant avec dédain l’immense défi climatique (au niveau mondial, diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre en un peu moins de quarante ans), de grands groupes financiers et des gouvernements investissent des fortunes dans l’exploitation de pétroles dits non conventionnels. Ceux-ci, dont l’extraction et le traitement induisent un surcoût, deviennent économiquement rentables du fait du renchérissement du prix du baril induit par l’épuisement des ressources conventionnelles et par la demande énergétique soutenue. Au premier rang des pétroles non conventionnels paradent les sables bitumineux du Canada (en anglais : oil sands ou tar sands) qui sont des amalgames de bitume brut (mélange d’hydrocarbures très visqueux, voire solide), de sable, d’argile et d’eau.

Face à l’ampleur des moyens de lobby déployés par les autorités canadiennes pour promouvoir leur pétrole (en ce compris certaines de techniques de désinformation bien éprouvées, comme l’utilisation d’appellations telles « pétrole éthique »), une plate-forme a créé un site d’information objective, basée sur des données scientifiques vérifiables. Cette plateforme, mise en place par le Tar Sands Solutions Network, est constituée d’organisations environnementales travaillant en collaboration avec les Nations premières concernées et un panel de scientifiques de renom. Une petite vidéo présentant un résumé des informations est disponible sur le site de la fédération européenne Transport and Environment (T&E), membre du panel. Les informations n’étant disponibles qu’en anglais, nous vous en offrons ci-dessous une synthèse en français.

Climat, droits humains, biodiversité, sols, air, eau : le désastre

Climat
La production de pétrole issu des sables bitumineux émet 3 à 4 fois plus de gaz à effet de serre que celle de pétrole conventionnel. L’exploitation des sables bitumineux est la principale raison pour laquelle le Canada n’atteindra pas ses objectifs de réduction de gaz à effet de serre. De tous les pays occidentaux, le Canada est celui dont les « performances » climatiques sont les plus mauvaises. Les choses ne devraient pas s’améliorer de si tôt : les plans de développement prévoient de faire passer la production de 1,9 à 5 millions de barils par jour. Notons au passage que la production actuelle requiert plus de 17 millions de m³ de gaz naturel par jour, de quoi chauffer trois millions de maisons canadiennes…

Droits humains
Les Cris du lac Beaver (Nation première) ont recensé 20.000 cas de violation des traités établissant leurs droits, du fait de l’exploitation des sables bitumineux. 80% des territoires traditionnels de deux nations premières (Athabasca Chipewyan et Mikisew Cree) sont rendus inaccessibles en raison du développement des sables bitumineux. Les impacts sur leur santé sont avérés : depuis 2007, on a constaté un taux supérieur à la normale d’incidence de cancers rares et mortels dans les communautés des nations premières. Ces faits ont été établis par des médecins indépendants et par le Département de la Santé de l’Alberta.

Sols et biodiversité
Les concessions pour l’exploitation de sables bitumineux en Alberta couvrent actuellement 20% de la surface de la province, soit environ 130.000 km² ou un peu plus de quatre fois la superficie de la Belgique. En 46 années de développement, seuls 0,15% des dommages environnementaux ont été « réparés ». Relevons qu’il n’existe aucun moyen de rétablir la forêt boréale dans son état d’origine. A titre symptomatique, on s’attend à la disparition complète des caribous des forêts et à la perte de 30 millions d’oiseaux dans les vingt années à venir si les plans d’expansion actuels sont mis en œuvre.

Air et eau
En 2011, environ 170 millions de mètres cubes d’eau ont été utilisés pour l’exploitation des sables bitumineux, soit l’équivalent de la consommation résidentielle de 1,7 millions de Canadiens. On trouve au Canada deux des trois plus grands barrages au monde. Ils sont utilisés pour retenir les boues toxiques issues des sables bitumineux. 11 millions de litres d’eau polluée s’échappent des bassins de retenue dans la forêt boréale et la rivière Athabasca chaque jour, soit 4 milliards de litres par an.
Les normes de pollution de l’air en Alberta sont moins exigeantes que les standards internationaux. Malgré cela, les objectifs qualitatifs ont été dépassés 1556 fois en 2009 (contre 47 fois en 2004).

Tout ça pour ça…

Quelle raison supérieure justifie donc les sacrifices brièvement esquissés ci-dessus ? Le maintien de notre train de vie, voire son amplification. De la sacro-sainte tonte du gazon jusqu’aux vols transatlantiques pour les vacances en passant par tous les déplacements que-l’on-fait-en-voiture-pour-ne-pas-se-faire-mouiller, la liste est longue des moyens loufoques de gaspiller du pétrole qu’ont développé nos sociétés. Au vu de ce qui précède, mettre un terme à ces comportements devrait être regardé par les individus et les collectivités comme un impératif moral.