Vues par certains comme la panacée pour lutter contre le dérèglement climatique, par d’autres comme une nouvelle stratégie de greenwashing menée par les entreprises pour préserver leur droit de polluer, les solutions fondées sur la nature défraient la chronique. Qu’en est-il exactement ?
Historique
L’existence de services fournis par la nature est connue depuis l’Antiquité. Déjà Platon, au IVème siècle avant Jésus-Christ, mettait en évidence le rôle de la forêt dans la lutte contre l’érosion, et pointait du doigt les conséquences de la déforestation sur la fertilité des sols. Cependant, l’importance de ces services a été très largement ignorée jusqu’au XXème siècle, la nature étant perçue avant tout comme un obstacle au développement économique. Fairfield Osborn1 (« La planète pillée ») et William Vogt 2 (« Route pour la survie »), en 1948, furent les premiers à tirer la sonnette d’alarme sur la destruction par les humains d’une nature pourtant essentielle à leur survie. Dans les années 1970, une nouvelle étape est franchie : le concept de « services environnementaux », « services de la nature » ou encore « services écosystémiques » apparaît dans la littérature scientifique 3;4.
Ce n’est pourtant que très récemment que les crises du climat et de la biodiversité et leurs conséquences déjà perceptibles ont suscité une prise de conscience par les acteurs politiques et économiques de l’importance de la nature pour le bien-être humain. La nature n’est plus vue comme un obstacle au développement mais comme une opportunité de répondre à différents enjeux sociétaux (atténuation et adaptation au dérèglement climatique mais aussi réduction des risques naturels, développement socio-économique, santé humaine, sécurité alimentaire, approvisionnement en eau, etc.). Le terme « solutions fondées sur la nature » (en anglais « nature based solutions ») apparaît dans la littérature dès le début des années 2000 5;6, mais ne sera officiellement défini qu’en 2016.
Définitions
Voici deux définitions officielles des solutions fondées sur la nature :
- Définition de l’IUCN 7 (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) : « Actions visant à protéger, gérer de manière durable et restaurer des écosystèmes naturels ou modifiés, pour relever directement les défis de société de manière efficace et adaptative tout en assurant le bien-être humain et des avantages pour la biodiversité »
- Définition de l’Union Européenne 8 : « Solutions qui sont inspirées et supportées par la nature, qui sont efficientes, et qui produisent simultanément des bénéfices environnementaux, sociaux et économiques et contribuent à la résilience. Ces solutions apportent plus de nature et une diversité d’éléments et de processus naturels dans les villes et les paysages, par des interventions localement adaptées, efficientes et systémiques ».
Ces deux définitions ont en commun la notion de bénéfices environnementaux (biodiversité) et sociaux (bien-être humain). Cependant, elles présentent également quelques différences.
- Les bénéfices économiques sont explicitement mentionnés dans la définition de l’UE mais pas dans celle de l’IUCN, même si l’IUCN inclut dans ses critères d’évaluation la « faisabilité économique », ce qui n’est pas tout à fait la même chose. L’importance accordée aux bénéfices économiques, placés au même niveau que les bénéfices environnementaux et sociaux dans la définition de l’UE pose question, bien que ces bénéfices puissent également être interprétés en termes de coûts évités par la prévention des catastrophes naturelles, par exemple.
- La notion de résilience est présente de manière explicite dans la définition de l’UE mais de manière implicite dans la définition de l’IUCN parmi les « défis de société », la résilience face au dérèglement climatique étant considérée comme un défi majeur.
- L’adaptation au contexte local, l’efficience et le caractère systémique des solutions n’apparaissent pas dans la définition de l’IUCN mais se retrouvent dans ses critères d’évaluation, comme nous le verrons plus loin.
Une nécessaire standardisation
Afin de garantir la cohérence et la pertinence des solutions fondées sur la nature, l’IUCN 7 a rédigé un standard pour la conception et l’évaluation de ces solutions. Ce standard est constitué de 8 critères et 28 indicateurs, et s’adresse à tous les acteurs désireux de participer à l’élaboration de solutions fondées sur la nature (gouvernements, communes, entreprises, ONG, gestionnaires d’aires protégées, acteurs des secteurs agricole et forestier, etc.).
- Les solutions fondées sur la nature doivent répondre à des enjeux de société. Ces enjeux doivent être suffisamment compris et pertinents pour les personnes concernées (ex : les populations locales). Les effets des solutions fondées sur la nature sur le bien-être humain doivent être régulièrement évalués.
- Les solutions fondées sur la nature doivent prendre en compte les effets d’échelle, en tenant compte des impacts potentiels au-delà du site d’intervention, des synergies entre acteurs et des interactions entre l’économie, la société et les écosystèmes.
- Les solutions fondées sur la nature doivent répondre à une évaluation de l’état de l’écosystème et des causes de sa dégradation, et intégrer la notion de réseau écologique afin de maximiser les bénéfices pour la biodiversité. Un suivi régulier de la biodiversité doit être réalisé.
- Les solutions fondées sur la nature doivent être économiquement viables, les sources de financement doivent être clairement identifiées et la répartition des coûts et bénéfices pour les différentes parties prenantes doit être définie à l’avance.
- Les solutions fondées sur la nature doivent reposer sur des processus de gouvernance inclusifs, transparents et habilitants, en impliquant toutes les parties prenantes et en tenant compte de leurs droits et intérêts. La participation doit être basée sur le respect et l’égalité.
- Les solutions fondées sur la nature doivent permettre un juste équilibre entre les différents enjeux auxquels elles répondent, sur base d’un compromis convenu d’un commun accord entre toutes les parties prenantes.
- Les solutions fondées sur la nature doivent être gérées de façon adaptative, sur base d’une stratégie claire et d’objectifs clairement définis, et d’un monitoring régulier.
- Les solutions fondées sur la nature doivent contribuer à la réalisation des objectifs internationaux en matière de bien-être humain, de climat, de biodiversité et de droits fondamentaux. Les enseignements tirés de la mise en œuvre de ces solutions doivent être diffusés pour permettre le partage des connaissances.
Les clés de l’adaptation et de la résilience
L’IUCN estime que les solutions fondées sur la nature pourraient représenter jusqu’à 30 % des mesures d’atténuation du réchauffement climatique. Cependant, plus encore que dans l’atténuation, c’est dans l’adaptation que ces solutions ont un rôle crucial à jouer. En effet, le réchauffement climatique a déjà commencé ; il est trop tard pour l’empêcher totalement mais nous pouvons encore en atténuer l’ampleur et les conséquences et s’y adapter. Plus qu’un réchauffement, c’est à un véritable dérèglement climatique que nous assistons, avec une fréquence croissante de phénomènes météorologiques extrêmes tels que les inondations catastrophiques que nous avons connues en juillet 2021. Les solutions fondées sur la nature peuvent contribuer à prévenir ces catastrophes et à en atténuer les conséquences : c’est pourquoi nous défendons la conservation et la restauration de la nature comme solution climatique dans notre manifeste « No nature, no future ».
On peut citer notamment l’exemple de Medmerry 9 au Royaume-Uni, un vaste projet de modification du littoral réalisé en concertation avec 360 résidents locaux, combinant le déplacement des infrastructures artificielles, l’utilisation de la végétation naturelle et la création d’une zone intertidale servant de zone tampon pour éviter l’inondation des villes voisines lors des marées de tempête.
Cependant, ces solutions ne viennent pas en remplacement mais en complément des mesures de réduction des émissions de CO2, comme l’atteste l’un des engagements adoptés lors de la première partie de la COP15 pour la biodiversité, qui a eu lieu en octobre 2021 : « accroître l’application des approches par écosystème ou de solutions fondées sur la nature afin de lutter contre l’appauvrissement de la biodiversité, restaurer les écosystèmes dégradés, augmenter la résilience, atténuer le dérèglement climatique et s’y adapter, soutenir la production alimentaire durable, promouvoir la santé et participer à d’autres défis, améliorer les approches One Health (une seule santé) et garantir les bienfaits à l’échelle des dimensions économique, sociale et environnementale du développement durable grâce à de solides mesures de protection sociales et environnementales, en soulignant que ces approches fondées sur les écosystèmes ne remplacent pas les mesures prioritaires urgentes nécessaires pour réduire les gaz à effet de serre d’une façon conforme aux objectifs de l’Accord de Paris ».
Gare au greenwashing
Les solutions fondées sur la nature seraient-elles victimes de leur succès ? Diverses multinationales (Nestlé, Shell et bien d’autres) s’engagent maintenant à mettre en œuvre des « solutions fondées sur la nature », en plantant des dizaines de millions d’arbres pour compenser leurs émissions afin d’atteindre « zéro émission nette » 10. Or, il est évident que la superficie nécessaire pour ces compensations ne pourra être obtenue que par un accaparement massif de terres habitées et cultivées dans les pays du Sud, au détriment des populations locales.
En analysant ces stratégies de compensations d’après les critères de l’IUCN, il apparaît clairement qu’elles ne peuvent pas être considérées comme des solutions fondées sur la nature. En effet, ces plantations massives ne répondent pas à des enjeux pertinents pour les populations concernées, ne tiennent pas compte des interactions entre la société et les écosystèmes, ne sont pas basées sur une gouvernance inclusive et ne respectent pas les droits fondamentaux des populations locales.
N’oublions donc pas de rester critiques lorsque nous entendons parler de « solutions fondées sur la nature », en gardant à l’esprit la définition et les critères de l’IUCN afin de faire la différence entre stratégies de greenwashing et réelles solutions.
N’oublions pas non plus que les solutions fondées sur la nature ne suffiront pas à elles seules à atténuer le dérèglement climatique et doivent être complémentées par d’autres solutions, notamment en termes de sobriété et d’efficacité énergétique.
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- Osborn F. 1948. Our Plundered Planet. Little, Brown and Company : Boston.
- Vogt W. 1948. Road to Survival. William Sloan : New York
- Ehrlich P., Ehrlich A., Holdren J. 1977. Ecoscience : Population, Resources, Environment. W.H. Freeman : San Francisco
- Westman W.E. 1977. How much are nature’s services worth ? Science 197, 960-964
- Guo Z., Xiao X., Li D. 2000. An assessment of ecosystem services : water flow regulation and hydroelectric power production. Ecological Applications 10 (3), 925-936
- Blesh J.M. & Barrett G.W. 2006. Farmers’attitudes regarding agrolandscape ecology : A regional comparison. Journal of Sustainable Agriculture 28 (3), 121-143
- IUCN – Nature-based solutions. https://www.iucn.org/theme/nature-based-solutions/about
- European Union – Nature-based solutions. https://ec.europa.eu/info/research-and-innovation/research-area/environment/nature-based-solutions_en
- Medmerry coastal defence scheme. https://www.gov.uk/government/publications/medmerry-coastal-flood-defence-scheme/medmerry-coastal-flood-defence-scheme
- Greenwashing des entreprises. https://grain.org/fr/article/6636-greenwashing-des-entreprises-le-zero-net-et-les-solutions-fondees-sur-la-nature-sont-des-escroqueries-meurtrieres