Les Zones de basses émissions sont-elles une réponse adéquate à l’urgence sanitaire que constitue la prise en compte des problèmes de santé liés la pollution de l’air en ville ?
A sa naissance, la première chose que fait un bébé, c’est inspirer de l’air pour… vivre. Et il ne cessera de le faire jusqu’à son dernier souffle. C’est dire si l’air, cet invisible, est essentiel.
La qualité de cet air est déterminante pour une vie en bonne santé.
Elle est à ce point mise à mal qu’elle est devenue une préoccupation majeure en matière de santé publique. Sa détérioration est telle qu’aujourd’hui l’air tue de plus en plus[1].
La concentration en polluants à la base de la détérioration de l’air est particulièrement inquiétante en ville : les sources de pollutions y sont nombreuses et concentrées. Le tableau[2] suivant chiffre ce constat.
Ce tableau mentionne l’existence de valeurs limites réglementaires déterminées par l’Europe et des lignes directrices plus ambitieuses, mais non contraignantes, définies par l’Organisation mondiale de la santé. Il témoigne qu’il reste du travail pour protéger la population de la majorité des polluants.
Anvers et Bruxelles se lance dans l’aventure ZBE
Deux villes belges sont régulièrement citées dans le top 20 des villes les plus polluées d’Europe : Anvers et Bruxelles. Et ces deux villes sont précisément celles qui se sont lancées dans l’établissement de ZBE soit des zones de basses émissions (LEZ en anglais). Ces zones réglementent la mobilité car les chiffres indiquent qu’il s’agit d’un secteur-clé dans la pollution de l’air en ville. Prendre des mesures en matière de mobilité à tout son sens. Les particules, les oxydes d’azote et l’ozone sont les polluants les plus préoccupants[3].
Anvers s’est lancée en 2017 sur une zone de 20 km2 et Bruxelles lui a emboité le pas sur une zone nettement plus importante : 160 km2. Elles font partie des 231 villes européennes dotées de LEZ (dont 106 rien que pour l’Italie et 86 pour l’Allemagne). Gand, Malines et Willebroek s’y préparent et seraient « fonctionnelles » en 2020/2021. Il n’y a pas de ville wallonne qui se soit à l’heure actuelle avancée concrètement dans cette voie. Le gouvernement wallon a cependant décidé, le 22 décembre 2018 d’octroyer un budget de 200.000,00€ pour la réalisation d’une étude d’impact environnemental d’implantation de deux zones basses émissions sur le territoire wallon.
3 indicateurs pour évaluer l’efficacité des LEZ
« Une zone à faible émission (Low Emission Zone, LEZ) est une zone dont l’accès est interdit aux véhicules ne répondant pas à certains critères sur leurs émissions polluantes. Un des objectifs recherchés lors de la mise en oeuvre d’une LEZ est le renouvellement des véhicules les plus anciens afin de réduire les émissions en polluants liées au trafic routier(…) La réduction de ces émissions par véhicule permet, à terme, d’envisager une diminution des concentrations en polluants dans l’air ambiant. »[4] (nous soulignons).
Cette définition est issue d’un travail conséquent de compilation des LEZ existantes dans toute l’Europe. Sa mise à jour, qui vient de paraître, mentionne 3 indicateurs de suivi des effets des LEZ sur la qualité de l’air.
De manière synthétique :
1) le renouvellement progressif du parc automobile => il est effectif ;
2) la réduction des émissions subséquentes => elle est effective aussi, mais de manière moins importante que souhaitée (détails ci-dessous);
3) la baisse des concentrations de polluants => elle est assez difficile à déterminer et très limitée (détails ci-dessous).
Les chiffres relatifs à la réduction des émissions sont basés sur les normes Euro négociées avec les constructeurs pour la mise sur le marché des véhicules. Mais les résultats des tests pour l’homologation diffèrent de manière de plus en plus importante de ceux obtenus dans des conditions réelles de déplacement. En outre, tous les constructeurs trichent. Pierre Courbe, pour IEW, a calculé cette différence pour la Belgique pour un polluant ayant d’importants impacts sur la santé, les oxydes d’azote (NOx). Le total des émissions excédentaires imputables au non-respect des normes par les véhicules diesel Euro 5 et Euro 6 se monte à 31,4 kt NOX pour l’année 2016 et 33,8 kt NOX pour l’année 2017 (tableau 1).
Les effets sanitaires de cette tromperie sont donc conséquents. Le tableau ci-dessous les résume.
Pour les particules : les évolutions technologiques comme l’injection directe sur les véhicules à essence récents génèrent des pollutions qui « échappent » aux méthodes de mesure : l’importance des émissions de particules est donc également sous-évaluée.
En ce qui concerne les baisses de concentrations, plusieurs études convergent vers les deux grandes tendances suivantes :
– Un effet limité sur les concentrations en NOX et/ou NO2
– Un effet plus important sur les concentrations en particules, particulièrement pour les PM2.5, ainsi que sur le black carbon (BC).
Le tableau suivant résume les résultats disponibles. (NS = non significatif)
Notons que plusieurs études indiquent également qu’il n’y a pas d’effet des LEZ sur la congestion (embouteillages).
Et à Bruxelles ?
Bruxelles Environnement vient de publier son premier rapport sur la zone de basses émissions de la Région Bruxelles Capital. Son objectif : savoir si la LEZ a eu l’effet escompté au vu de son objectif, celui-ci étant de réduire le nombre de véhicules diesel les plus anciens en circulation afin de réduire les émissions de polluants provenant du transport routier. [5]
Ce rapport est riche d’enseignements sur de nombreux aspects de la LEZ, dont les modalités de sa mise en route et de son fonctionnement actuel. Un chapitre est consacré aux premiers résultats que nous allons examiner sur base des 3 indicateurs utilisés ci-dessus.
1) Le renouvellement du parc automobile : une diminution nette des véhicules diesel Euro 0 et Euro 1 est observée dès l’application de la mesure (1er octobre 2018). Moins de véhicules diesel circuleraient, mais il est difficile de dire si c’est un effet de la LEZ ou un effet « naturel » lié à d’autres facteurs (prix du diesel, évolution du marché…).
2) La réduction des émissions : Sur base des données caméras, et en prenant comme hypothèse le fait que le nombre de kilomètres parcourus est resté constant, on estime qu’entre la semaine représentative de juin 2018 et celle de décembre 2018 (6 mois), les émissions provenant des voitures en circulation ont diminué d’environ 4,7% pour les NOX et 6,4% pour les PM2.5[6].
Comme pour l’indicateur précédent, les auteurs précisent qu’à ce stade il est difficile de déterminer s’il s’agit d’un effet significatif de la LEZ ou d’un effet « naturel ». « Sur base des inventaires d’émissions annuels, on a calculé qu’entre 2016 et 2017 – période de 12 mois – les émissions de NOx et PM2.5 provenant des voitures (M1) immatriculées en RBC avaient diminué de manière « naturelle » d’environ 3,8% et 7% respectivement. La réduction observée sur 6 mois entre juin et décembre 2018 lors de la première année de la LEZ est donc du même ordre de grandeur que la réduction « naturelle » des émissions observée sur 12 mois avant l’entrée en vigueur de la LEZ. Une telle comparaison indique une accélération de la réduction des émissions du fait, entre autres, de la LEZ ».
Relativiser ce résultat du fait de la différence entre les normes Euro et les émissions réelles est nécessaire comme le souligne explicitement le rapport en p.25[7].
3) la baisse des concentrations : Les données sur les concentrations de NO2 et BC observées aux stations de mesure de la Région montrent que, depuis octobre 2018, la LEZ n’a pas encore eu d’impact significatif sur les concentrations de polluants atmosphériques mesurées à ces stations. Ces dernières sont en outre fortement influencées par les conditions météorologiques[8].
Un premier pas, mais…
Les 231 villes européennes qui se sont dotées de Zone de Basses Emissions ont décidé de prendre en compte la santé de leurs citoyen·nes mise à mal par l’air de plus en plus vicié en milieu urbain. C’est une excellente chose. Elles initient ainsi un cercle vertueux. Elles le font de manière douce, au moyen d’un dispositif assez consensuel : il heurte (et on peut les comprendre) principalement les possesseurs de vieux véhicules diesel à qui l’on propose quelques mesures d’accompagnement.
Lorsque l’on se lance dans une politique de ce type, on souhaite avoir des résultats objectifs qui, on l’espère, récompenseront les efforts consentis pour mettre en place le dispositif et pour le faire fonctionner. Les LEZ en ont. Mais ils sont très limités. Ils ne permettront pas un retour à un air de qualité suffisante pour ne pas nuire à la santé de la population.
Dans un dossier de cette importance, la crédibilité des instances publiques et politiques est directement mise en jeu. La population des grandes villes place la qualité de l’air qu’elle respire de plus en plus haut dans ses revendications : la multiplication de Collectifs citoyens tels Bruxselair en témoigne. L’Etat français est actuellement en jugement pour « carence fautive » : le tribunal administratif de Montreuil examine un recours déposé par une mère et sa fille. Souffrant de problèmes respiratoires, elles réclament 160 000 euros d’indemnisation.
Les LEZ se développent en réponse à ces revendications mais présentent des lacunes et des contradictions.
En résumé
• Elles sont d’une efficacité limitée pour la réduction des concentrations de polluants dans l’air.
• Les LEZ n’ont aucun effet sur la congestion ce qui est un frein au redéploiement d’un service de transport en commun efficace dont la vitesse commerciale demeure insuffisante dans un contexte de surcharge chronique des infrastructures.
• Cette pression automobile importante continue de contribuer à la dangerosité des déplacements en mode actif (piéton, vélo). C’est d’autant plus inquiétant que le renouvellement du parc se fait aujourd’hui en faveur des SUV dont les caractéristiques (forme, poids, puissance…) augmentent même cette dangerosité.
• Le principal bénéficiaire des ZBE est l’industrie automobile : le renouvellement du parc dynamise les ventes. Le principe du pollueur payé ? Outre la santé des citoyens, les bénéficiaires devraient être : les transports en commun et les modes actifs. Une politique de mobilité efficace favorise un transfert modal.
• Ce système est enfin discriminatoire d’un point de vue social tant chez nous – les véhicules anciens appartiennent majoritairement aux personnes qui ont moins de moyens – que dans les villes/régions qui héritent de ce parc déclassé.
La bonne nouvelle, c’est que les efforts et les moyens déployés pour mettre en place ces LEZ ne sont pas perdus : outre les résultats engrangés, tant les caméras que les bases de données des véhicules peuvent être utilisées dans d’autres systèmes de gestion de la pollution de l’air par les voitures en ville.
Lesquels ? LISEZ LA SUITE…
[1] Source du tableau : Courbe, P. et alii, Pour un environnement sain, Susciter le changement pour diminuer l’exposition à la pollution de l’air et aux perturbateurs endocriniens, Inter-Environnement Wallonie, 2016, p. 24
[2] source : ibidem
[3] Pour une description détaillée des principaux polluants et de leurs incidences sur la santé, nous vous renvoyons à Courbe, P. et alii, Pour un environnement sain, Susciter le changement pour diminuer l’exposition à la pollution de l’air et aux perturbateurs endocriniens, Inter-Environnement Wallonie, 2016, p. 23 à 28.
[4] ADEME, Rincent Air, Pouponneau M., Forestier B., Cape F. 2019. Les zones à faibles émissions
(Low Emission Zones) à travers l’Europe : déploiement, retours d’expériences, évaluation d’impacts et
efficacité du système – Rapport. 136 pages. Cet ouvrage est disponible en ligne www.ademe.fr/mediatheque
[5] Bruxelles environnement, rapport technique Mobilité, Evaluation de la zone de basses émissions, rapport 2018, Mai 2019, p. 6.
[6] ibidem, p.24.
[7] Renvoi vers une étude d’IRCELINE (http://www.irceline.be/fr/nouvelles/impact-du-dieselgate-et-de-la-fraude-aux-filtres-a-particules-de-sur-la-qualite-de-lair)
[8] ibidem p. 25.