Le Comité exécutif du Royal Saint-Hubert Club de Belgique (RSHCB) vient d’adresser une lettre ouverte au Gouvernement Wallon. Parlant de dérive « idéologique », les représentants des chasseurs s’y inquiètent des plans de tir établis par le DNF (Département de la Nature et des Forêts), jugés trop exigeants dans certains cas. Ils déplorent également l’extension limitée de la période de chasse en janvier. Soulignant la bonne volonté des chasseurs à s’impliquer dans la gestion du gibier, ils expriment le sentiment de ne plus être aujourd’hui entendus et, face à ce qu’ils considèrent comme du mépris, ils affirment – ou plutôt menacent : « l’équilibre entre la faune et la flore se fera avec les chasseurs ou ne se fera pas ».
Après des attaques en règle contre le mouvement environnemental, c’est donc maintenant l’administration forestière qui est clouée au pilori. Les représentants du monde de la chasse pratiquent la politique de la terre brûlée et risquent fort de finir très isolés, entraînant avec eux les chasseurs qu’ils sont censés défendre… Leur sortie mérite en tout cas quelques éléments de contextualisation complémentaires.
Un message politique clair
Dans les années 90, le gouvernement wallon a incité le monde de la chasse à se structurer en conseils cynégétiques. À travers ces structures, Il souhaitait, responsabiliser les chasseurs dans la gestion du gibier. En 2003, la commission du parlement wallon adoptait une résolution en vue de renforcer le rôle de ces conseils tout en les ouvrant aux autres acteurs de la ruralité. Les chasseurs étaient alors perçus comme des partenaires capables de résoudre les problématiques aujourd’hui prises en charge par l’actuel Gouvernement..
Pendant les 10 années qui viennent de s’écouler, le Royal Saint-Hubert Club de Belgique et ses représentants n’ont cessé d’œuvrer à la préservation du monopole des chasseurs sur la gestion de notre faune sauvage, dénommée quelques mois par an « gibier ». Appelés au dialogue par les autres acteurs de la société civile, ils n’y sont venus que sous la contrainte et y ont défendu une vision unilatérale, en décalage avec les constats scientifiques et les attentes des autres parties prenantes. Pendant ce temps, les dérives relevées en 2003 par les parlementaires n’ont fait que s’accentuer. Le Gouvernement, conformément à sa Déclaration de Politique Régionale, a pris ce dossier en charge, il faut l’en féliciter !
Une conception particulière de la démocratie
Pour gérer ces dérives, le gouvernement wallon a adopté, à l’initiative du Ministre Carlo Di Antonio, un plan de réduction des densités de gibier. Ce plan a recueilli l’avis de différentes Fédérations et des conseils consultatifs de la ruralité. Il a intégré un nombre appréciable des revendications portées par les chasseurs. Parmi celles-ci, l’extension de la période de chasse en janvier. Cette extension est liée à l’objectif fixé par le Ministre de réduire les densités de sanglier de 30 % en 3 saisons de chasse ; elle ouvre la chasse en semaine et en dehors des congés scolaires. Le comité exécutif du RSHCB juge cette pourtant décision « anti-démocratique, irrespectueuse de ceux qui, en semaine, travaillent et des jeunes et, enfin, contraire aux objectifs de réduction de population ».
Cette décision du gouvernement wallon est évidemment parfaitement démocratique, même si elle s’écarte de l’avis du Conseil supérieur wallon de la Chasse (CSWC). Le RSHCB – dont le Président est également celui du CSWC… – n’est pas sans savoir que les Conseils consultatifs n’ont en Région wallonne qu’un rôle d’avis. Le rôle du politique est précisément d’arbitrer entre les différents intérêts sectoriels et lobbys en présence. Car les chasseurs sont loin d’être les seuls usagers de la forêt. Et l’avis des représentants du CSWC n’est jamais que l’avis desdits chasseurs puisqu’ils y délèguent 16 membres sur 24. Son Président ne peut d’ailleurs pas ignorer l’avis plus nuancé du Conseil supérieur wallon des forêts et de la filière bois, dont il est également membre, un Conseil dont la composition est cette fois représentative des différents intérêts en jeu, en ce compris celui des chasseurs.
L’extension de la période de chasse offre une durée équivalente à 20 % de la période de chasse actuelle et permet d’augmenter les prélèvements en proportions, voire au-delà. Pour autant, bien entendu, que l’on fasse preuve d’un peu de bonne volonté.
Le RSHCB apparaît particulièrement mal placé pour parler de démocratie alors que de nombreux conseils cynégétiques n’en respectent pas les principes élémentaires (vote en fonction de la surface des territoires, par exemple). Là aussi, c’est le politique qui devra imposer la démocratie à ces conseils, comme le prévoit d’ailleurs également le plan élaboré par le Ministre.
Inaudible par les représentants des chasseurs
Quand les représentants des chasseurs s’inquiètent des plans de tir qui leur sont « unilatéralement imposés », par-delà l’énormité du raccourci, ils semblent oublier combien l’évolution des surdensités qu’ils entretiennent porte atteinte à la forêt, à l’agriculture et à la biodiversité. Pourtant, seuls les chasseurs disposent d’un droit de recours, les autres gestionnaires devant eux subir les conséquences des dérives de la chasse : écorcement des arbres, coût des plantations en l’absence de régénération naturelle, destruction des plantations et nécessité de les protéger, prairies retournées, dégâts aux cultures, etc. Accuser l’administration dans ce contexte, c’est voir la paille dans l’œil de son voisin pour ne pas voir la poutre dans le sien. Et regretter que cette même administration n’instruise pas sur le champ les faits de braconnage récents alors que ceux-ci expriment avant tout la frustration des victimes des dérives de la chasse laisse un peu plus perplexe encore.
Des menaces au détriment des chasseurs
Non satisfaits d’un élément mineur du plan de réduction des densités validé par nos Parlementaires et par le Gouvernement, les représentants des chasseurs menacent : « l’équilibre entre la faune et la flore se fera avec les chasseurs ou ne se fera pas ». Cette position nous inquiète : le pari, maintes fois répété du Ministre, est en effet bien de réussir cette baisse des densités AVEC les chasseurs. Le « respect » du monde de la chasse s’obtiendrait-il sous la menace, en l’imposant au détriment des autres utilisateurs de la forêt ?
Cette position nous semble dangereuse. Le monde de la chasse ne fait l’objet d’aucun mépris, ni du Gouvernement, ni des autres partenaires de la ruralité. Notre Fédération a attribué sa Palme de l’Environnement à des chasseurs et a plaidé, en son temps, pour un renforcement du rôle des conseils cynégétiques plus ouvert aux acteurs de la ruralité. Plusieurs de nos associations membres entretiennent des partenariats locaux fructueux avec des chasseurs. Car notre Fédération est consciente de l’utilité d’une chasse bien conduite et elle est de plus persuadée qu’une partie importante du monde de la chasse répond à ces critères.
Chasseurs, le Ministre lui-même n’a eu de cesse d’entendre vos représentants. Mais c’est l’incapacité de ceux-ci de proposer ou accepter des compromis qui polarise les points de vue. Plus profondément encore, c’est leur obstination à protéger les pratiques les plus indéfendables d’un petit pourcentage d’entre vous qui risque de finir par vous nuire à tous.
Chasseurs, ne laissez pas l’attitude autiste de vos représentants ternir et détruire ce qui fait votre passion et notre passion commune, la gestion de la faune sauvage et de la forêt. « La balle est aussi dans votre camp ! »