Un outil performant et socialement juste pour améliorer la sécurité routière
Lettre ouverte au MR et au PS
Une loi instaurant le permis à points en Belgique existe depuis… 1990 mais n’a jamais été appliquée. La crainte de l’impopularité semble être la seule explication au fait que, depuis 30 ans, il ne s’est pas trouvé un gouvernement qui ose mettre en place un système qui existe – et a fait ses preuves – dans pas moins de 23 pays membres de l’Union européenne 1. L’asbl Parents d’Enfants Victimes de la Route (PEVR) et CANOPEA appellent à un sursaut moral : sur un dossier tel que la sécurité routière, l’intérêt collectif DOIT prévaloir. C’est de souffrance humaine évitable qu’il s’agit.
En Belgique, en 2019 (dernière année « pré-Covid »), on déplorait 646 personnes tuées sur les routes – et 3 600 gravement blessées. Ces chiffres sont supérieurs aux moyennes européennes. Derrière les chiffres, il y a de la souffrance. Celle des victimes. Celle de leurs proches. Celle du personnel d’intervention et du personnel soignant. Et celle, aussi, des personnes ayant tué ou ayant gravement blessé.
Pour diminuer cette souffrance, les politiques de sécurité routière agissent sur trois leviers : les infrastructures, les véhicules et les comportements. Ces derniers sont fortement influencés par l’image de la voiture qui existe dans nos sociétés. Si la majorité de la population considère que la voiture est avant tout un outil de mobilité, près des deux tiers considèrent qu’elle n’est pas que cela2. Elle est aussi symbole de liberté pour beaucoup, de puissance pour certain.es…. Il existe dans nos sociétés une mythologie de la voiture dont les effets sur les comportements au volant comme sur les décisions (ou indécisions…) politiques sont largement sous-estimés.
Ce mercredi 23 novembre, le projet d’instauration d’un permis à points porté par les ministres de la Mobilité, de la Justice et de l’Intérieur n’a pas été adopté par le kern. Selon la presse et les déclarations des vice-premiers ministres MR et PS, ce sont principalement ces deux partis qui ont bloqué le processus. Les arguments avancés nous laissent perplexes. Mais aussi indigné.e.s.
Le retrait de permis ne serait pas la meilleure manière de lutter contre la récidive d’infractions de gravité moyenne selon le cabinet du vice-Premier ministre P-Y Dermagne3. Ce qui est factuellement vrai. Mais ceci ne constitue nullement un argument pour s’opposer à ce que le permis à points soit instauré. La sécurité routière ne peut être améliorée que si de nombreux outils complémentaires sont utilisés. Et le permis à points est l’un de ces outils, qui a largement fait la preuve de son efficacité en matière de lutte contre la récidive.
Le même cabinet ministériel avance que le retrait de permis pourrait avoir des impacts importants sur la vie professionnelle et familiale. Cet argument suscite particulièrement notre indignation. Le non-retrait de permis induit des accidents, des blessés graves, des tués ; ne s’agit-il pas aussi d’impacts importants ? Ceux-ci doivent-ils être tolérés pour éviter d’autres « impacts importants » aux personnes qui ne respectent pas le code de la route ?
Le vice-Premier ministre David Clarinval évoquait récemment à propos du permis à points une « sursanction » imposée aux automobilistes4et un « bashing anti-voitures »5. Ces propos sont trompeurs et dangereux en ce sens qu’ils associent la voiture à une utilisation irresponsable de celle-ci. En effet, ce ne sont pas « les » automobilistes que le permis à points sanctionne. Mais celles et ceux qui ne respectent pas le code de la route, mettant ainsi en danger l’intégrité physique et la vie de leur.e.s concitoyen.ne.s. Le permis à points n’est pas une mesure « anti-voitures » mais une mesure visant à une utilisation raisonnée de la voiture, dans le respect de toutes les personnes circulant dans l’espace public. L’Allemagne, l’un des 23 Etats membres de l’Union européenne qui appliquent un permis à points, n’est pas réputée pour sa politique « anti-voitures »…
Comme le soulignait Benoît Godard, porte-parole de l’Institut VIAS au micro de la RTBF ce 23 novembre :
« Aujourd’hui, en Belgique, vous pouvez tous les jours commettre certaines infractions, par exemple rouler à 160 km/h sur autoroute, par exemple téléphoner au volant, tous les jours – si vous en avez les moyens – payer votre perception immédiate et ne jamais être inquiété. »
Benoît Godard, porte-parole de l’Institut VIAS au micro de la RTBF ce 23 novembre
Le permis à points est une manière efficace de répondre à ce problème, et de manière socialement équitable : si seules les personnes qui en ont les moyens peuvent payer régulièrement des amendes, « prendre » 2 points sur son permis est une sanction dont les effets ne varient pas en fonction des moyens financiers des personnes sanctionnées.
Autre « argument » cité par la presse : le fait que les usagers professionnels de la route soient plus exposés au retrait de permis. Si c’est bien le cas, cela signifie simplement que ces personnes transgressent plus souvent les règles en vigueur, créant donc un danger accru dans l’espace public. Encore une fois, doit-on l’accepter, au mépris de la souffrance des victimes de la route et de leurs proches ?
Enfin, il se dit aussi que le système risque de n’être pas efficace car on ne dispose pas des moyens humains et financiers suffisants (notamment pour constater les infractions commises). Ce qui revient à affirmer que l’on ne se donne pas les moyens nécessaires pour lutter contre l’insécurité routière, que l’on continue à tolérer l’insoutenable souffrance humaine qu’elle induit. Triste constat en vérité. Auquel seul le gouvernement fédéral peut répondre…
L’attitude du MR et du PS dans ce dossier contribue à renforcer, dans l’imaginaire collectif, l’image de la voiture-liberté que l’on pourrait utiliser en se permettant quelques petites entorses « bien innocentes » au code de la route. Or, toute infraction est potentiellement dangereuse. Les règles du code de la route ont été et sont établies par des expert.e.s ayant à cœur de lutter contre l’insécurité routière, et non d’embêter les automobilistes (dont elles et ils font d’ailleurs généralement partie).
Un des défis de la mobilité est d’instaurer une relation plus rationnelle à la voiture, outil de mobilité parmi d’autres. Le secteur de la construction d’automobiles, poursuivant une logique d’accroissement de la masse, de la puissance et de la vitesse de pointe des véhicules, continue malheureusement à faire vivre l’image d’une voiture qui est « bien autre chose qu’un outil de mobilité ». Et à rendre, aussi, plus difficile le respect du code de la route (il n’est pas toujours facile de respecter les vitesses autorisées au volant d’un bolide prévu pour rouler à 200 km/h).
C’est pour cette raison que CANOPEA et PEVR ont, en 2014, développé le concept de LISA Car (light and safe car : voiture légère et sûre).
C’est pour cela aussi que nous remercions les ministres de la Mobilité, de la Justice et de l’Intérieur pour leur proposition d’instauration d’un permis à points en Belgique.
Et c’est pour cela que nous demandons au MR et au PS de sortir de leur attitude que nous nous permettons de qualifier de dogmatique et de faire en sorte que ce gouvernement soit enfin celui, attendu depuis 30 ans, qui instaure en Belgique le permis à points, outil d’amélioration de la sécurité routière, outil de diminution du nombre de victimes de la route, outil de diminution de la souffrance humaine.
Sylvie Meekers, directrice générale Canopea
Koen Van Wonterghem, administrateur-délégué PEVR
- En Union européenne, seules la Suède, la Slovaquie, l’Estonie et la Belgique ne disposent pas d’un système de permis à points. Le Danemark, la Finlande, l’Irlande et les Pays-Bas disposent d’un système similaire ou appliqué à certaines catégories d’usagers uniquement (les conducteurs débutants aux Pays-Bas).
- Selon les résultats d’une enquête réalisée par Canopea (à paraître prochainement)
- Cité par l’Echo du 23 novembre 2022
- Cité par La Libre le 18 novembre 2022
- Cité par Sud Info le 18 novembre 2022