Les recherches menées et financées prioritairement à l’heure actuelle auront un impact décisif sur le futur de notre société et de notre planète. Aussi est-il impératif que le cadre l’Union Européenne destiné à la gérer le fasse de manière à ce qu’elles répondent prioritairement aux besoins de notre société et de notre environnement et non aux intérêts privés, économiques et financiers de l’industrie et de la finance.
Une coalition de 98 associations et chercheurs européens ont à ce jour adressé à la Commission Européenne une lettre ouverte destinée à lui faire part de sa préoccupation en matière d’attribution des fonds destinés à la recherche et l’innovation dans le cadre du prochain programme-cadre pour le financement de la recherche (2014-2020). Pour ces acteurs, notre société est aujourd’hui confrontée d’immenses challenges environnementaux, sociaux et économiques. Un changement radical est nécessaire pour y faire face. La recherche et les technologies ont, dans un tel contexte, un rôle crucial à jouer. Et elles doivent – tout particulièrement lorsqu’elles sont financées par des fonds publics – bénéficier à l’ensemble des secteurs de notre société.
La recherche et l’innovation technologique ont, dans notre société, un double rôle: permettre d’accroître le panel de nos connaissances et informer les preneurs de décision. Mais on ne peut nier leur contribution à l’émergence de nouveaux problèmes. Les recherches en énergie nucléaire, pharmacie, nanotechnologie et ingénierie génétique ont absorbé une part conséquente des subsides publics, profitant aux secteurs industriels et financiers tout en occultant tant leurs impacts environnementaux et sociaux que les vives inquiétudes qu’elles génèrent au sein des populations. Et partant, ces pratiques ont limité et marginalisé les financements disponibles pour des domaines aussi importants que la protection de l’environnement, les politiques de prévention de la santé, l’agriculture biologique, les économies d’énergies et les énergies renouvelables, etc. Mais aussi pour la recherche en sciences sociales qui contribue aux changements sociaux et à la résolution de problèmes plus larges que ceux que l’on aborde si l’on se contente de ne prendre en considération que les technologies focalisées ou fermées (« technological fixes »).
Les programmes de recherche qui donnent priorité aux profits et aux perspectives de marché sont incapables de faire face à ces défis sociaux et environnementaux parce que ceux-ci nécessitent d’envisager des alternatives au modèle économique dominant de capitalisme financier axé sur une nécessaire croissance, modèle qui a autorisé de telles dérives. La recherche européenne doit promouvoir et se concentrer sur une innovation qui offre des solutions pérennes et ouvertes plutôt que d’investir dans des technologies « voies de garages » qui ne s’attaquent pas aux racines des maux auxquels notre société est aujourd’hui confrontée.
Malgré la prise de conscience par une part de plus en plus importante de la société de l’importance de cet enjeu, l’Union Européenne persiste à ne considérer la recherche et l’innovation que d’un point de vue « compétition » (notamment dans sa stratégie pour 2020). Elle envisage une société pilotée par des technologies « fermées plutôt que par des technologies mises au service des politiques sociales basées sur des solutions. Ce faisant, la menace est grande de voir s’imposer un biais structurel inacceptable dans le prochain programme cadre de recherche européen. C’est précisément à l’égard de ce biais les signataires de cette lettre ouverte expriment leur inquiétude.
Elles en appellent à une véritable priorisation des recherches destinées à rendre l’Europe (et le monde) plus respectueux d’un environnement qu’elles souhaitent plus sain, plus pacifique et d’une société plus égalitaire. Une politique alternative de recherche n’est pas seulement possible, mais elle est nécessaire ET urgente. Elle passe par :
le dépassement du mythe selon lequel seules des technologies complexes et coûteuses peuvent créer de la durabilité, et de l’emploi ;
l’assurance que le concept d’innovation inclut des formes adaptées à l’échelle locale, qui facilitent la coopération et l’échange de savoir entre les organisations de la société civile et les académies de manière à réaliser le potentiel innovant et créatif du secteur non- marchand ;
l’établissement d’un processus de prise de décisions quant au financement de la recherche qui soit démocratique et participatif, protégé des conflits d’intérêts et de la domination de l’industrie, et qui permette à la société civile de prendre part tant à la définition de l’agenda de recherche de l’UE qu’à la participation à ces programmes de recherches ;
la garantie que tous les experts qui conseillent les décideurs européens soient impartiaux et indépendants.
La Fédération Inter-Environnement Wallonie a souhaité rejoindre les signataires de cet appel, parmi lesquels se trouvent HEAL, Greenpeace Europe ainsi que l’association européenne des consommateurs.