La forêt représente un tiers du territoire wallon, soit la même proportion qu’à l’échelle européenne et mondiale. Elle apporte des services écosystémiques indispensables à notre société, tels que le stockage de carbone, l’atténuation des extrêmes climatiques (inondation et canicule), l’accueil de la biodiversité, la purification de l’eau et de l’air et bien d’autres. Elle a également toute son importance en termes de tourisme – la forêt est parcourue par environ 8 millions de visiteurs par an – ou d’économie locale. La filière bois compte plus de 9.000 entreprises et environ 20.000 emplois directs en Wallonie, et représente une source de revenus importante pour certaines communes.
Malheureusement, entre épisodes climatiques extrêmes, insectes ravageurs, tassement des sols, surpopulation de grands gibiers et autres maladies, la forêt wallonne est soumise à des pressions de plus en plus importantes. La majorité des peuplements forestiers présents en Wallonie sont dès lors menacés.
Quelles solutions pourrions-nous mettre en place ? Petit tour d’horizon des pratiques développées actuellement.
Les mentalités au sein du secteur forestier ont fortement évolué ces dernières années, principalement à cause de ( ou grâce à ?) la prolifération des scolytes de l’épicéa qui ont remis en question un bon nombre de certitudes.
Entre 2022 et 2024, un long processus de concertation entre 63 acteurs a eu lieu pour arriver à une série de recommandations. Ces Assises de la forêt ont permis de mettre en évidence certaines convergences d’idées pour assurer l’avenir de la forêt wallonne.
Nous pouvons donc affirmer maintenant que tous les acteurs de la forêt sont d’accord au moins sur les points suivants.
- Il faut protéger les sols en évitant le tassement lors de l’exploitation forestière via une diminution la taille des machines et en encadrant l’accessibilité aux peuplements via un réseau de cloisonnements réfléchi, suffisamment espacé et immuable. Mais également laisser une partie de la matière organique et des minéraux retourner au sol.
- Une meilleure prise en considération de l’adéquation entre la station et les essences d’arbres. C’est une obligation légale de tenir compte du fichier écologique des essences qui détermine où chaque essence peut être plantée en Wallonie. Cependant, ce document doit déjà être revu car les aires de répartition de certaines essences ont déjà fortement évolué depuis la dernière mise à jour du fichier en 2017.
- Il faut diversifier les peuplements forestiers afin de limiter la prolifération des maladies et ravageurs et permettre aux arbres de profiter de niches écologiques différentes sur un même emplacement (ou, d’un point de vue économique, ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier). Mais cela nécessitera une adaptation de la filière de transformation du bois à une ressource plus diversifiée… Actuellement, les entreprises de la filière bois tournent presqu’exclusivement grâce aux résineux, principalement l’épicéa, le douglas et d’autres essences résineuses importées. Les essences feuillues qui représentent 56% de la forêt wallonne ne sont presque plus valorisées localement, exception faite du chêne.
Une des résolutions des Assises de la forêt exprime également la volonté d’« encourager la diversification de la composition et de la structure des peuplements forestiers afin de réduire, notamment lors de leur renouvellement, la proportion de peuplements équiennes et monospécifiques à grande échelle ».
- Il faut augmenter les surfaces de zones forestières strictement protégées. Les arbres sont capables d’étonnant processus d’adaptation, « les études rétrospectives de telles forêts révèlent une capacité d’adaptation à de nouvelles conditions après seulement une à quelques générations d’arbres ». Il serait certainement très dommageable pour nos forêts de sous-estimer cette capacité d’adaptation.
- Il faut également augmenter significativement la quantité de bois mort et d’arbres d’intérêt biologique d’essences diverses en forêt1. « Le bois mort est une ressource clé pour environ 30 % des espèces vivant en forêt et il joue un rôle capital dans les cycles du carbone et des nutriments, qui sont essentiels pour la régénération forestière et pour l’amélioration de la résilience et de la robustesse des forêts aux changements globaux. Il renforce également la productivité de la parcelle par un meilleur fonctionnement biologique du sol » (source SRFB). Par ailleurs, une étude2 réalisée en 2021 sur les préférences des promeneurs en forêt met en évidence que 86% préfèrent une forêt irrégulière et 80% la présence de bois mort, c’est donc un atout touristique également.
- Une résolution des Assises évoque la nécessité de « réduire progressivement le nourrissage du grand gibier en forêt dans la recherche de l’équilibre forêt-gibier » afin de permettre à la forêt de se régénérer naturellement et ainsi laisser la possibilité aux arbres de transmettre leur patrimoine génétique sans quoi l’adaptation des essences serait encore plus compliquée.
Le processus des Assises de la Forêt a confirmé cette volonté de modifier notre rapport à la forêt et notre gestion forestière. Nous attendons maintenant que cela se traduise dans une stratégie qui devra encore être discutée ces prochains mois avant d’être enfin appliquée sur le terrain pour les dizaines d’années à venir.
En parallèle, d’autres mécanismes sont mis en œuvre, testés ou demandés par certains acteurs forestiers.
La migration assistée3 des essences d’arbres est actuellement déjà testée en Wallonie. Elle peut être de plusieurs types.
1° une migration génétique, importer des essences d’arbres indigènes ayant un patrimoine génétique méridional afin qu’il se croise avec les individus locaux en vue de produire une descendance capable, à l’avenir, de se développer chez nous ;
2° importer des nouvelles essences qui auraient, de toute façon, un jour ou l’autre, migré jusque chez nous, mais sans doute trop tard vu l’évolution trop rapide du dérèglement climatique ;
3° importer des nouvelles essences qui n’auraient, dans tous les cas, jamais migré jusque chez nous. Dans ce dernier cas, le risque est grand d’importer de nouvelles essences exotiques envahissantes et la plus grande prudence doit être de mise. Par ailleurs, ces nouvelles essences n’ont ici aucune autre espèce – animale, végétale ou de champignon – avec laquelle elles auraient évolué. Il n’y a donc aucune symbiose indispensable au bon développement et cela n’apporte donc aucune plus-value en termes de biodiversité.
Ces techniques de migration assistée doivent être scientifiquement et rigoureusement suivies et sont sujettes à de nombreux débats actuellement. Le risque de tout perdre est grand. Certains estiment qu’il est indispensable, d’autre que c’est une folie. Ces techniques restent cependant très limitées, car, en partie, réglementées par l’article 40 du Code forestier. Cependant, une des résolutions des Assises de la forêt mentionne la volonté d’« autoriser, lors des choix sylvicoles, l’intégration de nouvelles essences, sur base d’une analyse de risques préalable et raisonnable, et de manière scientifiquement encadrée (biodiversité, aptitude stationnelle, qualité technologique du bois, risques phytosanitaires, …), tout en privilégiant la présence d’essences de provenance continentale ».
Conclusion, la seule certitude est que l’avenir reste et restera très incertain. La gestion forestière de demain sera plus diversifiée, plus complexe, plus délicate, plus incertaine. Nous devons rester prudents tout en osant changer nos habitudes. Il faudra « former et inciter les propriétaires et gestionnaires forestiers à appliquer des stratégies sylvicoles diversifiées (irrégularisation, diversification et redondance fonctionnelles, mélanges, couvert continu, sylviculture d’arbres, …) qui visent à la préservation et au renforcement de l’écosystème forestier à l’échelle du territoire wallon »4.
Crédit image illustration : Adobe Stock
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- Voir le projet Dead Wood for Forests https://srfb.be/formations-et-activites/nos-projets/dead-wood-for-forests/ ↩︎
- Breyne J., Abildtrup J., Dufrêne M., L’écotourisme en Ardenne : les chiffres clés, Interreg V – AGRETA, 2021 ↩︎
- https://migforest.nweurope.eu/ et https://www.treesforfuture.be/ ↩︎
- Résolution n°70 des Assises de la forêt ↩︎