Logements indécents, santé publique aux oubliettes

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Trop peu visible dans les politiques publiques, le lien entre santé et logement est pourtant déjà bien documenté par la recherche. À l’heure de budgets publics difficiles à boucler, la rénovation des logements les plus inadaptés doit être une priorité pour agir sur les coûts liés à la santé, et améliorer le bien-être de la population.

Le logement, un déterminant important de la santé

Le logement est ce qu’on appelle un « déterminant de la santé », c’est-à-dire un facteur qui influence l’état de santé d’une population1. Il s’agit même d’un des déterminants majeurs de santé publique. De nombreuses recherches ont ainsi scientifiquement avéré des liens entre santé des individus et qualité de leur logement.

 En effet, un logement inadéquat peut altérer la santé de différentes manières2. Il peut tout d’abord entrainer et/ou aggraver des pathologies allergiques et respiratoires, liées à la présence d’humidité et de moisissures (prévalence accrue d’allergies, asthme du jeune enfant,…).

Les pathologies infectieuses (otite, tuberculose,..) sont, elles, favorisées par le surpeuplement et la promiscuité dans le logement, et par une mauvaise ventilation.

Les pathologies cardio‑vasculaires peuvent être induites par les températures extrêmes et par une mauvaise isolation du logement. Lorsqu’on parle de températures très élevées, les risques sont liés à la déshydratation ou à un coup de chaleur. Le froid subi favorise les infections respiratoires, les pathologies cardio‑vasculaires et cérébro‑vasculaires comme les accidents vasculaires cérébraux et les maladies endocriniennes.

Les cancers, notamment du poumon, peuvent être induits ou accentués par l’exposition au radon ou à l’amiante. Une étude indique également un risque sensiblement accru de cancer du poumon pour les personnes se chauffant au bois3.

Les accidents de la vie courante, qui ont lieu pour moitié dans le logement, causent des traumatismes. Une part d’entre eux sont causés par la dégradation de ce logement : système électrique défectueux et risque d’électrocution et d’incendie, système de chauffage d’appoint et risques de brûlure, rampe ou garde-corps absent et risque de chute,.. Encore une fois, la surpopulation du logement joue un rôle aggravant.

Les intoxications, causées par le monoxyde de carbone (souvent dues à un défaut des appareils à combustion, une ventilation insuffisante, un entretien insuffisant des conduits de fumée ou des cheminées, ou encore à une mauvaise utilisation de certains appareils en contexte de précarité énergétique) ou le plomb (vieilles canalisations, peintures,…) altèrent également la santé de manière non marginale. L’intoxication au monoxyde de carbone (CO) est d’ailleurs la première cause de mort toxique accidentelle en Europe. De plus, certains Composés Organiques Volatils (COV) présentent aussi un risque à titre individuel ou par effet « cocktail ». Il faut par exemple se méfier des désodorisants, produits d’entretien, anti-mites, laques, peintures, vernis, herbicides, panneaux en contreplaqués, de la fumée des bougie…4.

Enfin, last but certainly not least, la santé mentale peut être extrêmement affectée par un logement inadapté. Mais même si le rôle de l’environnement bâti sur la santé mentale suscite un intérêt croissant, la connaissance des effets directs ou indirects liés à l’environnement bâti n’est pas encore tout à fait établie5. Il est par contre certain que la santé mentale est affectée par une mauvaise qualité de logement, avec des effets notamment sur l’anxiété, la dépression, les troubles de l’humeur ou la qualité du sommeil (à cause du bruit par exemple). Ainsi, un logement inadéquat n’est plus en mesure de remplir ses fonctions sociales (accueil d’amis, etc.) et peut susciter des sentiments de honte ou d’exclusion sociale6. Le confinement a également mis en lumière ces problèmes de santé mentale liées à la qualité du logement.

L’exposition à ces risques varient en fonction de l’âge, du genre, de l’état de santé ou encore du statut légal et social.

Et en Belgique francophone ?

Une enquête du Thermomètre Solidaris7, publiée en 2023, nous éclaire quant à ces liens entre santé et logement en Belgique francophone, sur base d’une enquête menée auprès d’un échantillon de 2026 individus de 18 ans et plus représentatifs de la population vivant en Wallonie et à Bruxelles. Mais elle va également plus loin, et met en évidence les liens entre les soucis de santé liés au logement et niveau de revenu. Cette enquête documente précisément comment les inégalités dans l’accès à un logement sain alimentent les inégalités sociales de santé.

13% des Belges francophones ont actuellement, ou ont déjà eu un problème de santé lié à leur logement. Et ces problèmes dépendent fortement de la qualité du logement : lorsque le logement est très bon, la proportion tombe à 3%. Quand le logement est considéré comme très mauvais, le chiffre grimpe à 34%. Et c’est bien là que le bât blesse, puisque les personnes appartenant à des catégories socioéconomiques plus élevées ont plus souvent accès à des logements de meilleure qualité. De même, les propriétaires sont nettement plus nombreux à avoir un logement de bonne qualité que les locataires. Et donc, les propriétaires ont également, en moyenne, un meilleur état de santé.

Source : Solidaris (2023). Thermomètre Solidaris – Rapport d’enquête. Comment les Belges francophones perçoivent-ils l’incidence du logement sur leurs santés ?

En termes de santé mentale, l’enquête met en évidence que presque un cinquième des répondants ne sont pas à l’aise de recevoir des gens dans leur logement. Cela impacte évidemment les relations sociales et familiales. Une autre étude, de la Ligue des Familles, montre que 15% des parents solo en Wallonie dorment dans la même pièce qu’un ou plusieurs de leurs enfants, ce qui impacte la santé sociale du foyer tout entier8.

Nous l’avons vu plus haut, les températures extrêmes ont un impact sur la santé. Or, 11,3% des habitant·e·s en Wallonie ne peuvent chauffer convenablement leur domicile pour des raisons financières9. D’un autre côté, 12,7% des ménages belges n’ont pas la capacité d’avoir un logement suffisamment frais en été10.

Impact financier

En Belgique, Eurofund estime l’impact financier des problèmes de santé liés au logement à presque 3 milliards d’euros11. Dès lors, rénover les 10% des logements les plus vétustes en un coup entrainerait un retour sur investissement en moins de 3 ans, grâce aux économies réalisées en matière de soins de santé12.

Ça ressemble à quoi la vie dans un logement qui rend malade ?

« Il y a une petite maison au bord de la route
Il n’y a pas de clôture
Il y a une porte d’entrée marron, une petite fenêtre.
Quand j’ouvre la porte, il y a un petit couloir en face de moi
Au fond du couloir, il y a une petite toilette
À côté, on descend dans la cave, toute petite, toute noire
Ça sent mauvais
Il y a une odeur qui me donne envie de sortir, une odeur de moisissure,
Je n’arrive pas bien à respirer
Il y a à droite des petits escaliers qui montent à l’étage.
Il y a à gauche un salon, une salle à manger, une cuisine toute petite
Quand j’ai visité cette maison, il y a eu l’envie de partir
Mais je n’ai pas eu le choix
Il y avait le besoin de plus de place
Dans la salle à manger, il y a une table, un petit canapé, la machine à laver et le séchoir,
Dans la petite cuisine, il n’y a pas d’espace
Il y a de la couleur aux murs
Pour rendre la maison plus vivante, c’est moi qui l’ai mise
Quand je monte le petit escalier abrupt
Il y a la petite salle de bain, la seule pièce agréable
Il y a une chambre, elle avait l’air bien
Il y avait aux murs, une couleur sur la tapisserie
Il y avait aussi le grenier qui était une chambre
Dans la chambre à côté de la salle de bain,
Il y avait mon enfant qui ne dormait pas
Il y avait derrière la tapisserie, des taches blanches, bleues, noires, vertes
Il y avait des champignons
Il y a eu la peur
Il y a eu les urgences, la maladie de l’asthme
Il y a eu presque la mort pour mon enfant
Il y a les médecins qui disent : « il faut partir de chez vous »
Aujourd’hui, il y a l’envie de démolir cette maison quand je passe devant
Il y a des gens qui y vivent
Il y a toujours mes rideaux
Il y a eu une amie qui y vivait dans cette maison,
Il y a eu moi qui lui dit : « pars de là »
Il y a encore le souvenir du visage bleu de mon enfant
Il faut se méfier des tapisseries en couleur
Il y a mon mari qui n’a pas le permis qui conduit la voiture d’une voisine, moi avec le petit dans les bras
Il y a la question du médecin : ‘‘depuis quand c’est comme ça ?’’ Si vous étiez venus vingt minutes plus tard …, Madame.
Il me gronde
Il y avait des vagues, des traces d’eau
La laine de verre, ça cache
Avec la chaleur, on a commencé à voir l’humidité
Il y a cette petite maison, une fenêtre sans vitre au grenier.
Il y a cette maison, rue Américaine… »

Le témoignage de Sophia, pour la campagne « Logement sous baxter » du Réseau de lutte contre la pauvreté et du Miroir Vagabond13.

Rénover et améliorer l’état les logements inadéquats permet de concilier bénéfices individuels (meilleure santé mentale et physiques pour les habitants de ces logements) et collectifs (réduction des coûts des soins de santé, réduction des émissions de gaz à effet de serre pour le chauffage dans certains cas, meilleure santé publique). Face à un investissement rentable pour la collectivité et bénéfique à l’échelle individuelle, qu’attendent les pouvoirs publics pour lancer des programmes publics massifs de rénovation de ces logements ?

Crédit image d’illustration : Adobe Stock

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  1. Cet article vous en dit plus sur la définition d’un déterminant de la santé : https://www.canopea.be/menager-le-territoire-et-prendre-soin-de-la-sante-des-habitants-et-habitantes
  2. Vandentorren, S., Giry, P., Jan, J., & Nguyen, S. (2021). Impact du logement sur la santé physique. Santé En Action457, 8-11.
  3. Mehta, S. S., Hodgson, M. E., Lunn, R. M., Ashley, C. E., Arroyave, W. D., Sandler, D. P., & White, A. J. (2023). Indoor wood-burning from stoves and fireplaces and incident lung cancer among Sister Study participants. Environment International178, 108128.
  4. https://www.health.belgium.be/fr/cov-les-composes-organiques-volatiles
  5. Núñez-González, S., Delgado-Ron, J. A., Gault, C., Lara-Vinueza, A., Calle-Celi, D., Porreca, R., & Simancas-Racines, D. (2020). Overview of “systematic reviews” of the built environment’s effects on mental health. Journal of Environmental and Public Health2020(1), 9523127.
  6. Colleville, A. C., & Kermarec, F. (2021). Étude Qualisurv-Habitat 2013-2014: Effets des conditions de logement dégradées sur la santé. Éléments descriptifs.
  7. Solidaris (2023). Thermomètre Solidaris – Rapport d’enquête. Comment les Belges francophones perçoivent-ils l’incidence du logement sur leurs santés ?
  8. Ligue des Familles (2022). Familles monoparentales et logement : des problèmes à tous les étages.
  9. Statbel (2024). Chiffres de privation matérielle et sociale.
  10. Fondation Roi Baudouin (2024), Baromètre de la précarité énergétique
  11. Ahrendt, D., Dubois, H., Jungblut, J. M., Roys, M., Nicol, S., Ormandy, D., … & Pittini, A. (2016). Inadequate housing in Europe: Costs and consequences.
  12. Ibid
  13. Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté et le Miroir Vagabond (2024), En finir avec le logement sous baxter !, dans leur journal de campagne logement sous baxter