Plus d’un an après la publication et la mise en œuvre du Plan Loup, quatre ans après la création du Réseau Loup-Lynx, 10 ans après la première observation hypothétique d’un loup et un an après avoir formellement identifié la présence du lynx sur notre territoire, comment se portent les grands carnivores en Wallonie ?
Tout commence en 2011 lorsqu’une émission de télévision flamande sur la nature place un piège photographique près d’une carcasse de mouton prédaté à Gedinne, dans l’espoir d’y « capturer » une image de lynx. Mais à leur grande surprise, les images vont révéler la présence d’un grand canidé qui ressemble bien à un loup !
Jamais validée mais restant un jalon important de l’histoire lupine belge, cette observation a suscité pas mal de curiosité et d’engouement. Ensuite, les observations de potentiels loups se sont multipliées sans jamais pouvoir être validées formellement, faute de preuve tangible et d’expertise régionale solide. Ce sont ces constats qui ont motivé la mise sur pied par l’administration du Réseau Loup en 2017. L’objectif est de collecter, expertiser et valider tout indice potentiel de la présence du loup sur le territoire wallon.
Le Réseau Loup, bien qu’à vocation purement technique, a dès le départ réuni autour de la table tous les acteurs concernés par le retour de l’espèce. Les membres ont été formés par des agents de l’ONCFS (devenu depuis l’OFB) et ont été rapidement prêts à récolter et expertiser les preuves et indices sur le terrain. C’est une des « originalités » de la Wallonie : bien avant le retour officiel de l’espèce et de la publication d’un Plan Loup, l’administration était déjà proactive et efficace sur le terrain, avec l’appui de bénévoles provenant du monde de l’élevage, de la chasse et de la nature !
Premiers loups belges
C’est Naya qui la première a foulé le sol belge un 3 janvier 2018. Née dans le nord-est de l’Allemagne et faisant partie d’un programme de suivi scientifique, elle a pu être suivie tout au long de son périple à travers l’Allemagne et les Pays-Bas et jusque dans le Limbourg, grâce à son collier GPS. Ensuite, c’est Akela qui s’est installé dans les Hautes-Fagnes dès le mois de juin 2018. En août 2018, August rejoint Naya dans le Limbourg, ce qui laissait présager la première reproduction depuis 100 ans sur le territoire belge. Malheureusement, elle disparut au moment de la mise bas au printemps 2019 pour ne jamais réapparaitre. C’est Noëlla qui lui a succédé pour enfin donner les premiers louveteaux en 2020 ! En Wallonie, il fallut finalement attendre 2021, avec l’apparition de Maxima, pour voir les premiers louveteaux. La Belgique accueille ainsi deux meutes qui respectent la parité linguistique, avec une meute en Flandre centrée sur le camp militaire de Leopolsdburg et une autre dans la réserve naturelle domaniale des Hautes-Fagnes.
En Wallonie, ce sont 21 loups adultes différents qui ont pu être formellement identifiés. Ce sont principalement des individus en dispersion (n=19) qui peuvent être potentiellement observés n’importe où. C’est principalement en automne-hiver que le nombre d’observations augmente, au moment où les jeunes adultes quittent leur meute natale. Ils appartiennent majoritairement à la lignée germano-polonaise (tous nos reproducteurs appartiennent à cette lignée) mais quelques individus italo-alpins sont également détectés.
Il est intéressant de noter que bien que le loup soit une espèce opportuniste et très adaptable à tout type d’environnement même anthropisé, c’est tout de même dans les sites naturels protégés de grandes superficies et interdits au public que se sont installées les deux premières meutes belges.
Quant au réseau routier, souvent pointé comme un des facteurs pouvant freiner la dispersion du loup, on peut constater qu’en Belgique ce sont essentiellement des individus territoriaux (ou les jeunes en tout cas) qui sont les plus susceptibles d’être impactés. On ne relève qu’un seul dispersant, dénommé Roger en l’honneur du dessinateur de BD, tué par une voiture en Flandre, contre trois loups issus de la portée de Noëlla et d’August. Et aucun en Wallonie tant qu’à présent.
Une dynamique de recolonisation amorcée dès les années 90’s
Depuis le retour de l’espèce en France en 1992 et en Allemagne en 1999, les naturalistes belges avaient bien dans un coin de leur tête le rêve un peu fou de revoir le loup prochainement chez nous. En effet, après une longue période de tentatives d’extermination, les effectifs les plus bas ont été atteints dans les années 70’s. Une dynamique générale de recolonisation du continent européen s’est ensuite amorcée dès les années 90’s à partir des populations qui subsistaient en Italie et en Europe de l’est. A tel point qu’aujourd’hui, on compte 17.000 loups sur le continent européen, contre seulement 6000 aux USA (hors Alaska où on en compte aussi entre 6000 et 7000) pour comparaison.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette ré-expansion du loup en Europe :
- la mise en place d’un statut de protection fort à l’échelle européenne dès les années 70’s ;
- une déprise agricole avec des régions rurales de plus en désertées laissant place à une dynamique de reconquête arbustive servant de refuges et de corridors d’expansion pour l’espèce ;
- des populations d’ongulés sauvages en surdensité (en tout cas dans les parties tempérées de l’Europe) favorisées à la fois par la chasse mais également par les conditions climatiques de plus en plus clémentes et des ressources alimentaires abondantes ;
- une grande capacité de survie et d’adaptation de l’espèce à tout type d’environnement, dont les requis écologiques sont pour l’essentiel la présence de ressources alimentaires accessibles et des zones de quiétude pour la reproduction. C’est également une espèce capable de parcourir des dizaines de kilomètres par jour !
Le Plan Loup
Avec la formation de la première meute wallonne, le nombre grandissant d’observations de loups en dispersion et, parallèlement, d’attaques sur troupeaux domestiques, la nécessité de mettre sur pied un Plan Loup était de plus en plus pressante.
Ce document, publié en juin 2020 à la demande de la Ministre Tellier, encadre l’ensemble des aspects liés au retour de l’espèce. Il est composé de deux parties : une première partie qui concerne le renforcement de la protection de l’espèce ainsi que son suivi par le Réseau Loup ; et une deuxième partie qui consiste à traiter des indemnisations, de la prévention des dégâts sur animaux domestiques et des actions de sensibilisation.
Le Réseau Loup lui-même s’est élargi en 2021 et compte aujourd’hui 70 personnes. Il est constitué de personnes appartenant à l’administration (DEMNA, DNF, SPF Défense), l’ULiège (autopsies et analyses génétiques) et différentes asbl représentant les milieux de l’élevage, de la chasse et de l’environnement ainsi que les Parcs Naturels.
Le point sur les éleveurs
Il est certain que la protection du loup en Wallonie, et même en Europe, dépend essentiellement de la façon dont les éleveurs peuvent supporter les dommages occasionnés par les grands carnivores et les contraintes pour s’en prémunir.
Des analyses préliminaires du régime alimentaire des deux meutes présentes en Belgique montrent que la majorité des proies consommées sont des proies sauvages. Cependant, il ne faut pas forcément en conclure que ces individus ne posent aucun problème à l’élevage puisque des cas de prédation sont identifiés chaque année et sont même en augmentation.
Au mois de novembre 2021, le bilan de la prédation sur animaux domestiques était de 88 moutons tués ou blessés par le loup. On note également un caprin et deux bovins. Quelques cas de surplus killing (on note un cas de prédation sur 12 animaux d’un même troupeau), plus problématiques pour les éleveurs, sont également recensés.
Cette prédation est surtout plus importante à certains moments de l’année comme l’automne et l’hiver, lorsque les jeunes adultes ont quitté leur meute et sont à la recherche d’un nouveau territoire. Au niveau des Hautes-Fagnes, cela a été particulièrement le cas durant cet été 2021, période qui correspond à l’élevage des louveteaux.
Lorsque des prédations sur troupeaux domestiques sont attribuées de façon probable ou certaine au loup, le Plan Loup prévoit alors une indemnisation de l’éleveur par la Région Wallonne. Celle-ci est également accessible pour les éleveurs amateurs (à condition que le troupeau soit bien enregistré à l’organisme ad hoc, l’ARSIA), bien plus nombreux que les professionnels en Wallonie. Cependant, seule la valeur marchande est prise en compte pour l’indemnisation. Les éleveurs souhaiteraient que soit également évalués les pertes financières éventuelles liées aux conséquences indirectes telles que les avortements, ou perte de production dues au stress causés par l’attaque.
En matière de prévention des prédations, des aides financières sont prévues à hauteur de 80 à 100% pour la mise en place de moyens de protection dans les Zones de Présence Permanente (ZPP). Une seule ZPP a été délimitée tant qu’à présent, dans les Hautes-Fagnes.
Ce financement concerne actuellement le renforcement des clôtures existantes (avec électrification), afin de les rendre plus difficiles à franchir pour le loup.
Au préalable, une analyse de risques est réalisée gratuitement par l’asbl Natagriwal, qui permettra à l’éleveur de mieux cibler les adaptations nécessaires à réaliser. L’éleveur peut également faire appel à la Wolf Fencing Team Belgique (WFTB), équipe composée de bénévoles qui vient réaliser des chantiers sur demande.
Pour les cas d’urgence, des kits de protection (filets mobiles électrifiés, et clôtures mobiles composées de 5 fils électriques en test actuellement) peuvent être prêtés aux éleveurs pour faire face temporairement à une situation où la pression de prédation peut être soudaine et importante. Ils sont utiles en attendant que d’autres moyens plus pérennes soient éventuellement mis en place.
Il est important de préciser que bien que des moyens de protection existent et que leur efficacité est éprouvée depuis de nombreuses années, la nature est toujours imprévisible, surtout dans le cas d’une espèce aussi adaptable que le loup, et qu’il ne sont donc pas totalement infaillibles. Simplement parce que l’environnement local de chaque exploitation est différent. A titre d’illustration, sur les 25 analyses de risques déjà réalisées par l’asbl Natagriwal, seule une exploitation était considérée comme relativement facile à protéger. Pour les autres, les solutions proposées ont dû être adaptées à chaque contexte.
De plus, même si la mise en place des moyens de protection est financièrement couverte par un subside, ils nécessitent du temps supplémentaire par la suite pour maintenir leur efficacité sur le long terme. Ce temps n’est pas pris en compte (notamment l’entretien de la végétation sous le fil électrique le plus bas par exemple). Il n’est donc pas si aisé de les mettre en œuvre, même si leur efficacité n’est plus à prouver quand ils sont bien mis en place.
A titre d’exemple, il faut noter que le Land de Baden-Württemberg (sud-ouest de l’Allemagne) propose des mécanismes intéressants pour soutenir les éleveurs d’ovins et caprins. En plus des postes classiques (pose de clôtures renforcées et chiens de protection), l’administration propose aussi une aide financière annuelle qui permet de compenser le surplus de travail occasionné par l’entretien des clôtures renforcées.
Quant au chien de protection, il est reconnu comme étant efficace surtout en combinaison avec une clôture renforcée. Mais il n’est pas considéré comme étant une solution adaptée à notre territoire densément peuplé et urbanisé. La crainte est en effet que sa présence génère des problèmes avec les autres usagers de l’espace rural. De plus nos élevages, sont généralement de moyenne à petite taille, avec plusieurs petits lots dispersés dans différentes parcelles. Malgré ces contraintes, on peut constater que de plus en plus d’éleveurs introduisent un ou plusieurs chiens de protection au sein de leurs exploitations, ou l’envisagent sérieusement. Il conviendrait donc de pouvoir proposer une formation et un encadrement technique à ses éleveurs.
Les autres grands carnivores : Lynx d’Europe et Chacal doré
En Belgique, deux autres espèces de grands carnivores sont également présentes.
Tout d’abord le lynx qui n’a jamais vraiment disparu du paysage wallon. Quelques individus probablement issus de relâchers illégaux en Allemagne ont été régulièrement observés dans les années 90’s dans l’est de l’Ardenne et dans les Hautes-Fagnes, jusque dans les années 2000. Mais ensuite les preuves de sa présence se sont amenuisées jusqu’à faire craindre une disparition de l’espèce. C’est finalement dans la vallée de la Semois qu’un individu sera détecté au printemps 2020 puis enfin pris en photo au mois d’aout ! Il a par la suite été de nouveau photographié ou même observé plusieurs fois, attestant bien qu’il n’était pas de passage, mais bien installé dans la région. Grâce à la pose de pièges à poils et l’analyse génétique, on a pu déterminer que cet individu était un mâle provenant des Carpates et issus du programme de réintroduction en Rhénanie-Palatinat. Il n’y a plus qu’à espérer qu’une femelle le rejoigne rapidement.
Quant au chacal doré, son expansion vers l’ouest est si rapide qu’on l’attendait bien avant le loup ! N’ayant toujours pas été détecté en Belgique, son arrivée constituerait aussi un évènement pour le milieu naturaliste, allongeant la liste des espèces pour notre pays. L’apparition d’une nouvelle espèce de vertébré est très rare en Belgique. La tourterelle turque qui est arrivée dans les années 50’s en Belgique est un cas bien connu, qui est maintenant une espèce commune de nos villages.
Le chacal doré est un canidé qui se situe morphologiquement entre le renard roux et le loup gris, avec un pelage gris à roux, haut sur pattes et avec une queue courte par rapport à la longueur du corps. Son régime alimentaire est plus proche de celui du renard. Il peut aussi causer des dégâts aux troupeaux, bien que plus rares.
Originellement cantonné dans les Balkans et sur le pourtour de la Mer Noire, il est en pleine expansion en Europe de l’Ouest depuis de nombreuses années. Les observations les plus proches de Belgique sont situées aux Pays-Bas (avec un cas de prédation sur troupeau), en France (Rhône-Alpes, Deux-Sèvres) et en Allemagne (une première reproduction en 2021 dans le Land de Baden-Württemberg).
Au niveau européen, le chacal doré est classé à l’Annexe V de la Directive Habitat 92/43/CEE, ce qui ne lui confère pas de statut de protection particulier. Les Etats sont surtout tenus de maintenir la population dans un état favorable de conservation. En fonction des Etats européens, il est donc soit régulé, soit protégé. En Wallonie, il est fort probable qu’il sera classé comme espèce gibier mais sans période d’ouverture de chasse.
Que faire si j’observe un loup, ou si je suspecte une prédation ?
Toute observation, indice de présence ou prédation doit être signalé dès que possible au Réseau Loup, via l’Alerte Loup et le formulaire en ligne sur leur site web (cf références). Les informations sont traitées rapidement et un expert prendra contact avec vous afin de recueillir toutes les informations nécessaires pour la validation ou non.
Crédit photographique image de tête : Roger Herman, c’est Akela dans les hautes fagnes.
Références
- Réseau Loup Wallon : http://biodiversite.wallonie.be/fr/le-reseau-loup.html?IDC=6418
- Le lynx en Wallonie : http://biodiversite.wallonie.be/fr/lynx-lynx.html?IDD=50333995&IDC=602
De Wolf in Vlaanderen : https://www.natuurenbos.be/wolven - Golden Jackal informal study group : https://www.goldenjackal.eu/
- Large Carnivores Initiative for Europe : https://www.lcie.org/
- MOOC Grands Carnivores : https://mooc-large-carnivores.org/
Quelques photos d’Akela, Maxima et des louveteaux. Crédit photographique : Pascal Ghiette.
Et de Chacals dorés… Crédit photographique : Alexandra Ion
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