Médias et Climat : quand la controverse dessert la vérité

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On constate ces dernières années dans la presse francophone belge une augmentation de l’occurrence des discours remettant en cause le réchauffement climatique anthropique. Selon les auteurs du livre climatosceptique « 15 vérités qui dérangent », « il aura fallu l’audition de scientifiques au Parlement belge à la mi-mars 1012 pour que les thèses climatosceptiques soient enfin répercutées dans les colonnes de certains journaux belges »[I. Marko, A. Debeil, L. Delory, S. Furfari, D. Godefridi, H. Masson, L. Myren, et A. Préat Climat : 15 vérités qui dérangent. Bruxelles : Texquis, 2014, p. 184.]][[Voir aussi l’article de Pierre Courbe :[ Comment les climtosceptiques vous manipules qui démonte les 10 arguments développés par les auteurs dans le communiqué de presse de présentation du livre.]]. S’il ne faut pas exagérer l’ampleur du phénomène – les voix dissonantes restant minoritaires- cette évolution a de quoi interpeller.

Qui sont ces sceptiques ?

Le climatoscepticisme a été bien étudié aux Etats-Unis. Naomie Oreskes et Eric Conway[N. Oreskes et E. Conway, Les marchands de doute, Paris, Editions le Pommier, 2012.]] y ont montré l’existence d’une stratégie du doute orchestrée par une nébuleuse d’organisations puissamment financées avec pour objectif la défense du libre marché contre la régulation des Etats. Rien de tel chez nous jusqu’à présent. Les climatosceptiques européens représentent plutôt une poignée de personnalités isolées, rarement impliqués directement dans la recherche scientifique sur le climat, et sans ressources financières importantes[[J.B. Cromby Les médias face aux controverses climatiques en Europe dans Controverses climatiques, sciences et politique, ouvrage collectif sous la direction de J.M. Decroly F. Gemenne et E. Zaccaï, Paris, Editions Science Po, 2012, p. 163.]]. En Belgique, ces personnalités se sont toutefois organisées au sein d’un collectif « 15 vérités qui dérangent ». Outre la publication d’un ouvrage du même nom développant leurs arguments et [une page facebook alimentée régulièrement, les sceptiques belges semblent mener une stratégie plus élaborée comme le laisse entendre un des membres du collectif, Drieu Godefridi : « Cette audition au Parlement (en mars 2012) est le résultat d’un long travail, on a pas été auditionnés par hasard. On s’est mis ensemble – un groupe de scientifiques, de journalistes, de politiques etc. – et on s’est dit qu’on allait essayer de faire quelque chose. D’abord en Belgique, puis essayer de voir si on ne pouvait pas essaimer ailleurs en Europe[Propos tenus en avril 2012 à l’Institut Turgot et cités par Noé Lecocq, [Quand les climatosceptiques révèlent leur stratégie ]] ».

Le climatoscepticisme dans les médias

Ces sceptiques se présentent volontiers comme victimes d’un parti pris favorable de la presse en faveur des « thèses du GIEC » et déplorent le manque de relais des discours alternatifs. Ils réclament, au nom de la démocratie, la mise en débat public de la question climatique. Quoi de plus légitime à première vue ? Et pourtant, les climatosceptiques créent se faisant une subtile confusion des registres entre débat scientifique et débat politique. Nombreux sont ceux qui « tombent dans le panneau » – y compris dans les rédactions, qui comptent de moins en moins de journalistes spécialisés dans les matières environnementales. D’autant plus que cela « fonctionne médiatiquement » comme l’explique l’économiste Olivier Godart, directeur de recherche au CNRS : « Les climato-sceptiques offrent aux médias une actualité saignante – il y a du conflit, il y aura peut-être du sang versé… – et ils leurs donnent le beau rôle : la dénonciation, le dévoilement « de la vérité qu’on nous cache » et la controverse fait audience »[[Dans Controverses climatiques, sciences et politique, op. cit., pp. 132-133.]].

Débat politique et débat scientifique

Pour les Professeurs Thierry Libaert et Dominique Bourg, « il convient d’abord, et c’est l’essentiel, de ne pas confondre l’expression d’un débat public médiatisé avec le débat scientifique. Ce dernier a ses propres règles, notamment celle – draconienne – de l’évaluation anonyme des articles par les pairs. Il a ses propres critères, comme la rigueur méthodologique et les conditions de l’expérimentation. Il a surtout sa propre temporalité : une publication scientifique nécessite en moyenne trois à quatre ans de travail entre la recherche elle-même, sa validation, ses révisions et son acceptation finale. »[Propos issus d’un article paru dans le journal Le Monde « [Faut-il débattre avec les climato-sceptiques », 21 octobre 2013.]]

On est donc très loin ici du format des débats politiques radio ou TV où une égalité de traitement est accordée aux « pour » et aux « contre » au nom du droit à l’information et de la capacité des citoyens adultes à se forger une opinion par eux-mêmes. Le format très court de ces émissions ne permet par ailleurs pas de communiquer facilement des arguments scientifiques, forcément complexes et circonstanciés d’autant plus que les scientifiques ne sont souvent pas formés aux techniques de communication des médias. Comment le public peut-il faire dans ces conditions la différence entre le vrai et le faux, surtout lorsque celui est présenté avec tous les atours de la science véritable[Voir par exemple les 3 contre-vérités climatosceptiques analysées dans l’article [Climat : remèdes anti-doutes, 6 novembre 2014]] ? On comprend pourquoi certains experts du climat hésitent de plus en plus à participer à ce genre de débat qui les piègent et qui ne font que créer/entretenir auprès du public l’idée « qu’au fond on ne sait pas ».

Conclusion

Non, la science et l’expertise scientifique ne sont pas une affaire d’opinion ! D’autres formats que les débats contradictoires médiatisés sont à explorer par les journalistes qui ont l’importante mais délicate mission de divulguer auprès du « grand public » des connaissances scientifiques complexes. Ce qui n’empêche qu’en démocratie les climatosceptiques aient bien évidemment le droit d’exprimer leurs idées mais dans un cadre non biaisé. Quant aux questions politiques dont il faut débattre, elles se situent largement au niveau des changements nécessaires pour faire face au réchauffement climatique établi par les scientifiques. La tâche est ardue, mais nul doute qu’un journalisme de qualité s’y attelera avec succès !

Cécile de Schoutheete

Anciennement: Développement durable & Énergie