Le lien entre santé, urbanisme et aménagement du territoire pourrait sembler flou. Et pourtant, les effets de l’aménagement de notre territoire entraînent des répercussions sur notre santé, pour le meilleur et pour le pire.
Urbanisme, architecture et santé : une histoire liée
Hippocrate dresse des liens entre la santé humaine et l’environnement ambiant tandis que Vitruve, dans son traité d’architecture, souligne la nécessité pour un architecte de s’intéresser à la médecine, au climat du lieu et à la qualité des eaux afin de construire des habitations salubres. De l’Antiquité à nos jours, en occident, l’évolution de l’architecture est liée à celle de la maitrise des épidémies et à la volonté d’assainir les espaces urbains.
« A chaque époque et à chaque affliction correspond une architecture spécifique. L’époque des maladies bactériennes, de la tuberculose en particulier, a donné́ naissance à l’architecture moderne dans les premières décennies du XXe siècle, à des bâtiments blancs détachés du « sol humide où couve la maladie », comme le disait Le Corbusier. Durant l’après-guerre, l’attention s’est déplacée vers les problèmes psychologiques. L’architecte a souvent été́ vu comme une sorte de psy, et la maison pas seulement comme un dispositif médical de prévention de la maladie, mais aussi comme un espace procurant un confort psychologique ou, pour reprendre l’expression de Richard Neutra, de « santé nerveuse ». Le XXIe siècle est l’âge des affections neurologiques avec la dépression, le trouble déficitaire de l’attention, les troubles bipolaires, le syndrome du burn-out, les allergies et l’hypersensibilité́ environnementale comme facteurs définissant l’expérience contemporaine de l’architecture et de l’environnement bâti.
La conception des villes est tout autant influencée par l’hygiène et la santé. L’essor de l’industrialisation participe au développement souvent anarchique des espaces urbains et concourt à la dégradation de l’habitat ouvrier. Longtemps considérées comme des lieux insalubres, les villes vont se transformer dans le courant du XIXe siècle et jusqu’à la Première Guerre Mondiale, sous l’influence de l’hygiénisme. Pour lutter contre le choléra, sont érigées les premières infrastructures urbaines de gestion des déchets et des eaux usées à Londres, Paris et Barcelone. Ces grands travaux s’accompagnent de déplacement de population afin de limiter la promiscuité, de plantation d’arbres et de jardins publics sur les espaces « reconquis », de création de places pour faire circuler l’air, etc. Parallèlement, des réflexions émergent sur la localisation des activités insalubres.
Malgré cette première vague de transformation, la croissance démographique des villes liée à l’exode rural mène au surpeuplement des logements. Le cadre de vie ne cesse de se détériorer. La tuberculose amène les urbanistes à remettre en cause le modèle de la ville compacte. Naissent alors les modèles de la cité-jardin et de la ville fonctionnaliste.
Depuis les années 1960, une coupure s’est opérée entre santé et urbanisme. Les avancées pharmacologiques ont permis de développer une approche curative de la santé, plutôt que préventive. La médecine scientifique moderne accorde moins d’attention à l’influence du milieu extérieur sur la santé.
Les déterminants de la santé
« En santé publique, un déterminant de santé est un facteur qui influence l’état de santé d’une population soit de façon isolée soit en association avec d’autres facteurs. Il peut s’agir de facteurs individuels (âge, sexe, patrimoine génétique, comportement…), socio-économiques (accès au logement, à l’emploi, à la culture, à l’éducation…), environnementaux (qualité de l’air, de l’eau, de l’environnement sonore…), politiques (urbaines, habitat, transport, emploi…). »1
Vitruve avait raison de s’intéresser à la qualité de l’eau et au climat. Complémentairement à ces facteurs, nous ajouterions aujourd’hui l’importance de la qualité de l’air, des sols, l’impact délétère des pollutions sonore, lumineuse, ou encore l’exposition aux écrans. L’état de santé des individus est en outre fortement influencé par des paramètres socio-économiques tels que la sociabilisation, l’accès à l’emploi et aux soins de santé, le mode de vie (activité physique, alimentation, sommeil, etc.).
« La ville est un déterminant majeur de ce qu’on appelle l’exposome, c’est-à-dire l’ensemble des expositions environnementales qui touche un individu au cours de sa vie, y compris les facteurs liés aux modes de vie. L’exposome, avec le génome, conditionne largement notre état de santé. La ville, parce qu’elle affecte l’air que nous respirons comme nos habitudes quotidiennes, participe largement à définir notre santé. »
Un urbanisme favorable à la santé
En écho à l’objectif d’intégrer la santé dans toutes les politiques, l’OMS a lancé le concept d’urbanisme favorable à la santé qui « vise à tenir compte systématiquement et simultanément des conséquences sur la santé et sur l’environnement de tout projet d’urbanisme.
Il s’agit d’encourager des choix d’aménagement et d’urbanisme qui minimisent l’exposition des populations à des facteurs de risque tels que la pollution de l’air, les nuisances sonores, l’isolement social, etc., et qui maximisent leur exposition à des facteurs de protection et de promotion de la santé – comme la pratique de l’activité physique, l’accès aux soins ou aux espaces verts, le tout dans une optique de réduction des inégalités sociales de santé. »2 Dans cette optique, il est essentiel de « placer les besoins des personnes et des communautés au cœur du processus de planification urbaine et prendre en compte les implications des décisions sur la santé et le bien-être des personnes »3.
Ce concept fait écho à celui de « One Health », ou une seule santé, qui souligne à quel point les santés humaine, animale et de l’environnement sont étroitement liées.
La mise en œuvre d’un urbanisme favorable à la santé exige une approche intersectorielle et transversale.
Les grands axes d’un urbanisme favorable à la santé sont4 :
- La réduction des émissions et expositions aux polluants et nuisances, notamment en protégeant et valorisant les milieux et ressources naturelles
- La promotion des modes de vie favorables à la santé, notamment l’activité physique et l’accès à une alimentation saine et durable
- La promotion de la cohésion sociale et du bien-être des habitants, en veillant à proposer des offres adaptées en matière de logement, de mobilité et d’activités sociales
- L’attention à l’accès aux soins et aux services socio-sanitaires et faciliter l’accès à l’emploi
- La réduction des inégalités de santé entre les groupes socio-économiques et une attention particulière portée aux personnes vulnérables
- La mise en place de stratégies et d’actions favorisant l’intersectionnalité et l’implication de l’ensemble des acteurs concernés, y compris la population
- La prise en compte de l’évolution des modes de vie et de l’adaptabilité des projets face aux évolutions sociétales et environnementales
- L’articulation des différentes politiques publiques (logement, cohésion sociale, espaces verts, etc.) au regard de leur impact sur la santé
Si l’hygiénisme pratiqué par les villes tentait de limiter les contagions pour maitriser les épidémies, force est de constater que les maladies d’aujourd’hui (cancers, maladies cardio-vasculaires, asthme, allergies, obésité, souffrances mentales, par exemple) appellent une approche différente, beaucoup plus holistique. Par ailleurs, les communes et les villes doivent également faire face à des crises multiples et souvent interdépendantes (dérèglements climatiques, creusement des inégalités sociales, érosion de la biodiversité, etc.) qui confirment cette nécessité d’englober les différents facteurs dans un raisonnement commun et complexe.
Intégrer une approche santé permet non seulement de tenter de répondre à la complexité des enjeux actuels mais également d’anticiper les effets des crises biodiversitaires, climatiques et sociales sur la santé des populations, dans une optique d’adaptation et de prévention.
En savoir plus
Il est urgent d’adopter une « approche santé » dans nos pratiques urbanistiques. Pour nous inspirer, il ne faut pas chercher très loin et, petit cadeau de Saint Nicolas, les résultats sont publiés dans une langue que nous maîtrisons.
Inspiration française
La France a développé une série d’outils afin de mettre en œuvre un urbanisme favorable à la santé :
- La Plateforme Evaluation d’Impacts sur la Santé (EIS) (EHESP, 2017),démarche qui vise à identifier, avant leur mise en œuvre, les conséquences potentielles sur la santé de politiques, programmes ou projet. Sur la base des effets identifiés, il s’agit ensuite de formuler des recommandations visant à maximiser les impacts positifs du projet et à en minimiser les impacts négatifs.
- Le Guide ISadOrA (Sous la direction de l’EHESP et de l’a-urba, 2020),une démarche d’accompagnement à l’Intégration de la Santé dans les Opérations d’Aménagement urbain. Il s’inscrit dans une démarche de promotion de la santé et du bien-être (physique, mental et social) de tous, tout en recherchant les co-bénéfices en termes de santé publique et d’environnement.
- Le guide Agir pour un urbanisme favorable à la santé (Guide EHESP/DGS, 2014), dont je vous recommande très fortement la lecture. La partie II du guide développe un outil pratique pour l’analyse des projets d’aménagement.
Crédit image d’illustration : Adobe Stock
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- Guide ISadOrA (Sous la direction de l’EHESP et de l’a-urba, 2020), p.12.
- Urbanisme favorable à la santé : agir pour la santé, l’environnement et la réduction des inégalités, dans La santé en action, n°459, Mars 2022
- Citation originale : “It means putting the needs of people and communities at the heart of the urban planning process and considering the implications of decisions for human health and well-being”. Traduction : deepl.com https://www.who.int/europe/activities/linking-health-and-urban-planning
- Guide ISadOrA (Sous la direction de l’EHESP et de l’a-urba, 2020), p.10