Les réflexions qui suivent portent uniquement sur les tarifs énergétiques résidentiels.
Un contexte de crise sur les prix
Le prix de l’électricité et du gaz a fortement augmenté ces dernières semaines. De nombreux témoignages indiquent que les factures des ménages (et des PMEs soumises à un contrat classique) augmentent abruptement. La CREG parle d’une augmentation allant jusqu’à +1400 € sur la facture de gaz+électricité annuelle par rapport à avril 2021 pour ceux qui disposaient d’un contrat à prix variable. Le régulateur prévoit que cette hausse pourrait perdurer jusqu’en 2023 et se généraliser au fur et à mesure que les contrats fixes des ménages arrivent à échéance ; mais c’est surtout l’incertitude qui prévaut, même à court terme.
Sans nier cette hausse soudaine sur les factures de gaz et d’électricité en tous cas à court terme (comme nous le verrons), ni la difficulté des ménages de la classe moyenne à faire face à ces fluctuations de prix inattendues et non prévues, et surtout sans nier le fléau de la précarité énergétique qui touche 1 ménage sur 5 en Wallonie selon le dernier baromètre de la fondation Roi Baudouin (pré-crise actuelle), il nous semble important de ramener un peu de hauteur dans un débat forcément émotionnel et parfois trop simplifié.
Une augmentation des prix de l’énergie ? Pas partout, pas pour tous…
La hausse des prix de l’énergie n’affecte pas tous les vecteurs énergétiques de la même manière, ni tous les belges dans les mêmes proportions, en tout cas si l’on regarde l’évolution sur le temps long. La plupart des articles de presse se basent systématiquement sur les rapports des régulateurs (CREG, CWAPE) comparant les prix actuels avec ceux d’avril 2020 date à laquelle les prix étaient particulièrement bas, amplifiant sans doute le sentiment d’augmentation.
L’Institut pour un Développement Durable (IDD) vient de publier une brève note prenant plus de hauteur. Elle compare le prix des différents vecteurs énergétiques à plus long terme. Surtout, elle propose de les étudier en tenant compte de l’évolution des revenus c’est à dire en part relative. Il ressort de cette analyse (à revenu constant) que :
- Les vecteurs les plus polluants, c’est à dire le mazout de chauffage, l’essence et le diesel, ont tendance à rester stables ces dernières années, y compris en intégrant la hausse récente des prix. En d’autres termes, on consacre proportionnellement une part moins importante de nos revenus pour acheter un litre d’essence de mazout ou de diesel de chauffage, voire par exemple beaucoup moins qu’en 2012.
- Pour le prix de l’électricité par contre et dans une moindre mesure pour le prix de gaz, les prix actuels sont effectivement exceptionnels (par rapport aux prix passés) mais dans des proportions moins interpellantes que les comparaisons de court terme.
- A noter que cette augmentation du KWh de gaz ou d’électricité n’implique pas forcément une augmentation de la facture globale d’énergie. Comme le dit l’IDD dans sa note, “Certains ménages ont, depuis 2006, eu l’occasion (et les moyens!) de faire des investissements économiseurs d’énergie (véhicules moins gourmands, chaudières plus performantes…). Si on prend un ménage moyen qui a, à un moment donné entre 2006 et 2021, investit dans une chaudière au gaz à condensation, on peut estimer que la part du budget qu’il consacre au gaz n’a pas augmenté entre 2006 et fin 2021 (elle a diminué après l’investissement pour remonter fin 2021 au niveau de 2006).
- Le graphe ci-dessus est une moyenne qui ne présume pas d’un creusement des inégalités sociales face à la facture énergétique comme le précise d’ailleurs la note de l’IDD : “les inégalités entre ménages ont tendance à s’accroître, en fonction du type de contrat, en fonction du type de combustible et en fonction des performances énergétiques de leur logement” sans oublier les pertes de revenus qui ont affecté certaines catégorie de population durant la crise du COVID.
A ce titre, le tarif social qui est moins impacté par les hausses de prix récentes (voir graphe ci-dessous) est un puissant outil de lutte contre la précarité. Mais comme le soulignent les organisations de lutte contre la pauvreté, il apparaît que beaucoup de ménages en situation de précarité énergétique ne peuvent en disposer. Il serait donc crucial d’étendre son périmètre a tous ceux qui en ont besoin.
- Ajoutons qu’une forte incertitude demeure sur la manière dont les prix évolueront dans les prochains mois voire dans les prochaines semaines. La hausse des prix actuels est en tout cas principalement due à des facteurs exogènes souvent géopolitiques (tension en Ukraine, problèmes des réacteurs nucléaires français vieillissants…) difficiles à prévoir.
D’un point de vue environnemental, l’importance du signal prix
Au-delà des fluctuations de prix à court terme, il est crucial de replacer le débat sur le prix de l’énergie que la hausse des prix provoque dans une perspective de long terme, en posant notamment la question du rôle que peut jouer ce prix de l’énergie dans la transition énergétique.
Le prix de l’énergie peut contribuer à envoyer certains signaux aux consommateurs (que nous développons ci-après). Attention que ce signal prix environnemental ne peut être considéré comme une baguette magique notamment parce que les demandes d’énergie sont souvent inélastiques et pour les raisons sociales déjà évoquées. L’outil doit donc être utilisé dans le cadre d’un ensemble cohérent de mesures et de politiques sociales et environnementales.
Le prix peut envoyer différents signaux aux consommateurs: Il peut pousser à diminuer, flexibiliser/déplacer et électrifier les consommations d’énergie.
Diminuer, flexibiliser, électrifier
Diminuer : Le prix au KWh de notre énergie a fortiori pour les énergies fossiles et nucléaire reste bien trop bon marché par rapport à l’impact de ces énergies sur la planète ! Ce prix trop bas nous maintient dans une certaine illusion d’une énergie illimitée et sans impact, et ne pousse pas à prévoir des investissements économiseurs d’énergie. Une certaine augmentation des prix du KWh d’énergie est dès lors souhaitable. Attention que cela ne veut pas dire que nos factures d’énergie ne peuvent diminuer si nous baissons nos consommations d’énergie que ce soit via l’efficacité (isolation des bâtiments, électroménagers plus efficaces) voire via des mesures de sobriété ( “pull” ou logements moins grands) !
Le plus important avec ce « signal prix », ce n’est pas de punir du jour au lendemain les consommateurs ! Mais d’envoyer le message clair qu’à long terme, les consommations d’énergie seront de plus en plus chères par KWh tout en laissant l’opportunité de prendre les mesures nécessaires pour diminuer la consommation énergétique. Il est donc fondamental que l’augmentation du Kwh soit lisible et prévisible. Hélas, les fluctuations sur les prix comme celle que nous observons aujourd’hui rendent ce « signal prix » illisible pour les consommateurs.
-> Il serait dès lors crucial de réfléchir au moyen de stabiliser les soubresauts spéculatifs sur les prix via un mécanisme de tampon de type cliquet et cliquet inversé.
Flexibiliser: Les énergies renouvelables sont souvent variables (éolien, photovoltaïque) d’où l’urgence de déplacer certaines consommations « déplaçables » (charger une voiture électrique, faire tourner certains électroménagers ou un boiler électrique…) au moment où la production est abondante. Idéalement nous devons aussi favoriser la consommation d’énergie produite au niveau local (cela peut être dans une communauté d’énergie). Pousser les consommateurs à utiliser l’énergie quand elle est abondante au niveau local permettrait aussi de limiter les investissements dans le réseau d’électricité ou les besoins de stockage. A nouveau le signal prix pourrait jouer un rôle.
Electrifier le chauffage et le transport : L’analyse de l’IDD montre une autre évolution préoccupante d’un point de vue environnemental. Le prix de l’électricité a augmenté beaucoup plus vite que celui des vecteurs énergétiques plus polluants comme le gaz ou le mazout. Cela rend l’électricité moins compétitive par rapport au gaz/mazout dans un contexte où l’électrification du chauffage et du transport est cruciale pour la transition (car plus efficace).
Ce point a été notamment développé dans une note conjointe du Bond Beter leefmilieu (en néérlandais) avec une large brochette d’acteurs du secteur de l’énergie dans Pleidooi voor een duurzame en transparante energiefactuur. Nous retirons de cette note le graphe ci-dessous qui montre le désavantage comparatif en termes de coûts d’un chauffage PAC dû au trop faible coût des vecteurs énergétiques carbonés.
Quelles mesures prendre ?
Le débat porte actuellement sur les mesures de court terme que les autorités devraient prendre pour faire face à l’augmentation des prix.
-> Il est crucial que ces mesures n’hypothèquent pas les objectifs de long terme, notamment les objectifs environnementaux développés plus haut.
Si des aides s’avèrent nécessaires pour certaines catégories de revenu, elles doivent être ciblées (sur base du revenu, le tarif social semble ne pas toucher toutes les bonnes personnes) sur la facture électrique prioritairement pour faire face à la tempête (donc des aides ponctuelles). Idéalement sous forme de chèque (le fédéral a déjà émis un premier chèque de 90 € ).
A ce stade et sur base des analyses susmentionnées, il semblerait illogique voire contreproductif d’accorder une réduction de tarif à tous les consommateurs qui soit non ciblée et qui ne soit pas ponctuelle (de type une réduction indifférenciée de la TVA à 6%).
Pour le gaz, des aides éventuelles ne sont justifiables que de manière extrêmement ciblée sur les populations en situation avérée de précarité énergétique. A minima, elles doivent être moindres que celles pour l’électricité.
Une augmentation des aides mazout semble injustifiable à ce stade.
A plus long terme, la priorité des autorités doit demeurer de diminuer les consommations d’énergies des consommateurs notamment en accélérant la rénovation énergétique des bâtiments. Une réflexion sur les moyens d’envoyer un signal prix environnemental (voir les objectifs développés plus haut) lisible sur le long terme doit également être implémentée. En outre, l’autoconsommation collective doit être privilégiée.
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