L’hiver est là et nous rappelle que la dangereuse dépendance de l’Europe aux combustibles fossiles nous rend plus fragiles que jamais. Une dépendance qui non seulement met en péril la sécurité énergétique de l’Europe et plonge de nombreux citoyens dans la pauvreté énergétique, mais qui nuit également au climat et à notre avenir.
Un approvisionnement énergétique ni juste ni durable.
Malgré un développement inéluctable des énergies renouvelables, le business des combustibles fossiles continue de tenir l’Europe en étau. Les investissements dans les infrastructures et les importations de gaz fossiles se poursuivent. Fairfin estimait dernièrement que les banques belges ont injecté 11 milliards depuis 2021 dans les énergies fossiles. Y compris en Belgique : des investissements dans des infrastructures fossiles continuent comme le nouveau pipeline de gaz fossile entre Bruxelles et Zeebruge .
Après l’invasion russe de l’Ukraine, l’Europe a cherché des sources d’approvisionnement alternatives et, dans un mouvement de panique, a signé de nouveaux accords de fourniture de gaz et de pétrole avec des pays du monde entier. Parmi ces pays figurent des régimes comme le Qatar et l’Azerbaïdjan, réputés pour leurs politiques plus que discutables en matière de droits humains. En outre, l’UE a développé une nouvelle appétence plus climaticide que jamais : les gaz « naturels » liquides (GNL), transportés par bateau via de nouvelles infrastructures fossiles en pleine expansion. Les États-Unis ont notamment construit des terminaux d’exportation de GNL sur leur côte du Golfe du Mexique, menaçant les communautés, l’environnement côtier et les objectifs climatiques. Au final, ces accords, dont certains sont de long terme, ont encore renforcé la dépendance de l’Europe à l’égard des énergies fossiles.
Paradoxe ! Dans un même temps, nous n’avons pas réussi à assécher le robinet fossile russe… Bien que la quantité totale d’énergie fossile importée de Russie ait chuté, l’Europe se classe toujours parmi les cinq premiers importateurs de combustibles fossiles russes. En fait, les importations de GNL russe ont carrément bondi de 40 % cette année, ce qui continue à alimenter la guerre en Ukraine. La Belgique n’est pas en reste. En 2023 (jusque septembre) la moitié du GNL qui passe par le terminal gazier de Zeebruge -qui appartient en grande partie aux communes belges !- est d’ailleurs du GNL russe !
Les européens toujours vulnérables face aux envolées de prix
L’autre objectif affiché par les autorités l’hiver dernier : protéger tous les Européens de la volatilité des prix des combustibles fossiles n’a été atteint que moyennant des soutiens massifs aux pollueurs et l’appauvrissement des états… Beaucoup de mesures auraient pu être prises pour diminuer notre dépendance structurellement : vitesse réduite sur les routes, une politique plus volontariste sur le transport aérien… Et finalement un vrai plan coordonné de réduction systémique des consommations énergétiques. Mais on a préféré baisser le prix des énergies sur le long terme plutôt que d’aller chercher les marges des géants du fossile.
Un an plus tard et à l’entame de l’hiver, notre vulnérabilité à la volatilité des prix des combustibles fossiles demeure alors que plusieurs facteurs, dont la situation géopolitique, la concurrence de la Chine au-delà des frontières extérieures de l’UE et les phénomènes météorologiques extrêmes, pourraient exacerber davantage les hausses de prix du gaz et du pétrole. Va-t-on poursuivre une logique du mégawattheure le moins cher à tout prix et pour tous, une aide qui alimente surtout les géants de l’énergie…
Ou va-t-on reconnaître que les citoyens paient, par le biais de leurs factures d’énergie, le prix d’années d’inaction en matière de climat et de maîtrise des consommations énergétiques. Que les entreprises sont fragilisées par une trop grande dépendance énergétique. Il est temps que cela change.
Transformer notre système énergétique, pas moins.
Les solutions temporaires ne suffiront pas à nous libérer de notre perfusion fossile. Une approche transformatrice est nécessaire. Les gouvernements doivent aller au-delà des mesures de court terme. Une approche plus flexible, plus décentralisée, centrée sur un usage raisonné de la précieuse énergie et des matériaux, et développant un renouvelable qui s’inscrit dans le respect de la biodiversité et des habitants. Le système énergétique le plus efficace, le moins chers, le plus juste socialement est aujourd’hui clairement identifié.
Le changement est déjà en cours – il doit être plus rapide et plus efficace. Plusieurs axes de travail doivent être développés.
1. Élimination progressive des combustibles fossiles
La communauté scientifique mondiale a déclaré à maintes reprises que les gaz à effet de serre provenant de la combustion des combustibles fossiles constituent la plus grande menace pour l’homme et la nature. En outre, l’actualité internationale nous rappelle à quel point la dépendance énergétique est vectrice d’instabilité géopolitique et de conflits. Chez nous, elle a plongé des millions d’Européens dans la pauvreté énergétique.
Dans ce contexte, l’expansion de l’extraction des combustibles fossiles et des infrastructures n’est pas seulement dépassée, elle est aussi dangereuse. Chaque pays, dont la Belgique, doit disposer d’un plan visant non seulement à mettre fin à l’expansion et à l’utilisation des combustibles fossiles, mais aussi à éliminer progressivement les infrastructures comme les réseaux de gaz, les industries petro-chimiques…
Le plan doit aussi assécher les flux financiers vers l’économie fossile dont prioritairement ceux issus des fonds publics. Cela commence évidemment par mettre fin aux aides publiques. En Wallonie, le Gouvernement s’était engagé dans sa déclaration de Gouvernement à établir un « cadastre des subsides, placements et investissements publics dans les énergies fossiles ainsi qu’un plan d’action visant à leur élimination d’ici 2025 au plus tard ». A ce stade, cet engagement n’est pas tenu.
2. Réduction de la demande d’énergie
L’hiver dernier, les prix élevés de l’énergie, la réduction de la demande d’énergie dans tous les États membres et les hivers doux ont quelque peu atténué l’impact de la crise sur les populations. Nous devons aller plus loin pour réduire radicalement notre consommation d’énergie à long terme et de manière structurelle. Les entités fédérées semblent attendre un nouvel embrasement des prix sur les marchés internationaux pour agir au dernier moment plutôt que de mettre sur la table des plans intégrés de réduction de la consommation d’énergie.
La réduction de la demande d’énergie est le moyen le plus sûr et le plus respectueux de l’environnement pour lutter contre la dépendance fossile. Elle devrait être mise en œuvre dans tous les secteurs, (industrie, résidentiel, mobilité…) tout en veillant à ce que les économies d’énergie profitent aux plus vulnérables. Moins nous gaspillerons inutilement cette précieuse énergie, plus vite nous pourrons mettre fin à notre dépendance à l’égard des combustibles fossiles et passer à un système d’énergie entièrement renouvelable.
3. Rénovation profonde et structurelle des habitations
La rénovation de nos maisons et de nos bâtiments peut réduire considérablement la consommation d’énergie et nous aider à nous passer des combustibles fossiles. Le plan de relance post-covid a mis des sommes importantes sur la table, aussi en Wallonie (pratiquement 1 milliard de budget consacré au logement sur 4 ans). Mais cet effort doit être maintenu et garanti pour les années à venir pour sortir de la logique de yoyo budgétaire. Il faut aussi cibler d’avantage les plus pauvres et mettre en place un vrai Pacte Energie logement comme le réclament toutes les organisations de lutte contre la pauvreté et les ONGs rassemblées au sein de la Coalition climat. Les fonds importants qui seront libérés via l’instauration progressive d’une tarification carbone européenne prévue en 2026 doivent aider en priorité les ménages pauvres et vulnérables ou les classe moyennes fragilisées. (Regarder notre webinaire récent sur cette nouvelle tarification carbone européenne)
4. Énergies renouvelables
L’année écoulée a été un grand pas en avant dans la course vers une Europe du futur entièrement fondée sur les énergies renouvelables. Pour la première fois dans l’histoire, l’énergie éolienne et solaire a dépassé les combustibles fossiles pour la production d’électricité dans l’ensemble de l’UE, prouvant ainsi le chemin déjà parcouru par l’Europe, même si d’autres progrès sont encore nécessaires. L’augmentation de la production d’énergie renouvelable a permis d’atténuer l’impact de la crise des prix de l’énergie pour de nombreux Européens l’hiver dernier. Pour maintenir cet élan et maximiser les avantages de l’énergie solaire et éolienne, il faut accélérer le déploiement et améliorer les réseaux électriques, tout en s’engageant fermement à donner la priorité aux communautés locales et à sauvegarder la biodiversité au cours de cette transition rapide et équitable.
Dans toute l’Europe, un nombre croissant de communautés d’énergie fédèrent des citoyens de toutes origines qui se réapproprient un approvisionnement énergétique renouvelable. Ce changement permet non seulement de réduire notre dépendance à l’égard des combustibles fossiles imprévisibles, mais aussi de réaliser d’importantes économies, en nous accordant l’autonomie en matière de production et de consommation d’énergie durable, abordable et équitable.
Une transformation juste pour les citoyens européens
Les citoyens sont profondément inquiets face à la crise climatique, la flambée des coûts et des retombées diverses de notre dépendance fossile, tout en se sentant impuissants. Ils veulent et méritent un avenir sûr et durable, à l’abri des catastrophes climatiques et du fardeau des factures d’énergie non maitrisées.
Agir maintenant pour le climat est de loin moins coûteux que l’inaction, qui ne fera qu’exacerber les inégalités sociales. Les citoyens ne peuvent pas être laissés seuls face à ce défi. Les coûts de la transition ne doivent pas être supportés par les personnes qui ont déjà du mal à joindre les deux bouts. Au contraire, l’UE doit notamment veiller à redistribuer une partie des bénéfices engrangés par les entreprises énergétiques fossiles afin que la transition soit juste et bénéfique pour tous.
Les décideurs politiques et les gouvernements doivent agir aujourd’hui en prévoyant dès maintenant des mesures de maîtrise de l’énergie à court terme. A plus long terme, une transformation énergétique juste doit être au cœur des projets tant belges qu’européens. Nous devons nous mobiliser pour qu’elle soit en tout cas au cœur des futurs accords de gouvernement…
A nous de voter/agir/manifester…
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