On le sait le déploiement d’éoliennes dans le paysage wallon suscite pas mal d’inquiétudes, voire un rejet, de la part de citoyens, et ce pour diverses raisons, avérées ou non : perturbation de la quiétude des riverains, dépréciation du paysage, impacts sur l’avifaune et les chiroptères… Le problème de compatibilité entre production d’énergie éolienne et espèces sensibles à l’éolien n’est pas neuf et peut, dans certains cas, être surmonté. Mais avant d’échafauder des mesures d’atténuation et/ou de compensation, il est primordial de mettre autour de la table spécialistes des espèces sensibles, associations de terrain et développeurs de projets éoliens. Un dialogue qu’a initié Lucéole, coopérative citoyenne du Sud de la province du Luxembourg.
La coopérative Lucéole a vu le jour en 2010 à l’initiative de citoyens d’Habay qui ont exprimé très tôt leur volonté de développer la participation citoyenne dans des enjeux liés à l’énergie et à l’environnement. Quand des projets de parcs éoliens ont vu le jour, les discussions entre promoteurs privés, responsables communaux et citoyens ont abouti à un partenariat 50 – privé/50 – public-citoyen.
Conscients de la nécessité de prendre en compte les impacts environnementaux des parcs éoliens et aussi parce que les fondateurs de la coopérative sont impliqués dans diverses initiatives en faveur de la biodiversité, Lucéole s’était engagée publiquement[[Lors des réunions d’information préalable, Lucéole insiste sur le fait que le développement éolien d’Habay doive répondre à 3 critères : 1) prendre sérieusement en compte l’impact potentiel sur la qualité de vie des riverains ; 2) prendre sérieusement en compte les contraintes environnementales spécifiques à Habay ; 3) accorder une participation publique-citoyenne significative dans le futur parc (min. 25% pour la coopérative)]] à envisager le développement durable de ce territoire de manière globale, où production d’énergie renouvelable et conservation et gestion de la biodiversité sont intégrées.
D’un point de vue ornithologique, le Sud de la province du Luxembourg se distingue entre autres, par la présence de populations de Milan noir (espèce classée vulnérable) et de Milan royal espèce classée « quasi menacée » sur la liste rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature. En sus d’un milieu bocagé caractérisé par la présence de bosquets en alternance avec des zones de prairies, propices à ces rapaces, la déchètrie (CET) établie le long de la E411 à Habay, est reconnue comme attirant les oiseaux en quête de nourriture. Il était donc fortement probable que l’installation du parc éolien à proximité de cette zone fréquentée par les milans, rendent les population de ces derniers plus vulnérables. En Allemagne, il a été observé que les milans sont en effet les rapaces pour lesquels, les cas de collisions avec des éoliennes sont les plus fréquents.
Forte de sa démarche citoyenne dans le déploiement des renouvelables, Lucéole a également voulu développer cette approche dans la problématique de l’impact éolien sur l’avifaune. Le but était bien de décloisonner les approches et les expertises, en apportant à l’étude d’incidence une plus-value par l’expérience et les connaissances présentes au niveau des réseaux associatifs locaux. Un volonté également de cesser de ranger systématiquement les ornithologues et autres défenseurs de la nature dans la catégorie des opposants à l’éolien et de mettre toutes les compétences autour d’une table afin de trouver des solutions. Ainsi l’idée d’un séminaire à fait son chemin. Après une réflexion préliminaire, il a été décidé de centrer le travail sur l’espèce en présence la plus exposée et la plus menacée, à savoir, le Milan royal. Des ornithologues[[Les ornithologues allemand, Ubbo Mammen, et néérlandais, Paul Voskamp et Stef van Rijn]] de renommée internationale, experts du Milan royal ont répondu présents. Ceux-ci ayant suivi sur le long terme des populations dans des régions où sont implantés des parcs éoliens. L’intérêt était aussi de ne pas rester entre «experts» mais d’impliquer des naturalistes et ornithologues amateurs ainsi que le réseau local et national d’Aves- Natagora.
Les objectifs de ce séminaire ne se bornaient pas à une acquisition de connaissances et à une meilleure compréhension de la complexité de la dynamique des populations de Milan royal en interaction avec le futur parc éolien. Le but était aussi de favoriser une appropriation de cette expertise par les acteurs locaux et d’explorer collectivement des solutions innovantes pour pallier les nuisances pour l’avifaune, réponses immédiates comme à plus long terme.La méthode proposée par les organisateurs reposait sur un « dialogue délibératif » dans lequel les acteurs, d’horizons variés, acceptent de s’ouvrir à de nouveaux éclairages pour ensuite faire un examen critique d’une situation et de ses conséquences. Le processus incite à envisager des dimensions nouvelles qui sont susceptibles d’influer sur le cours du projet en lui-même.
Les diverses contributions ont approfondi la compréhension du comportement du Milan royal et des impacts que génère un parc éolien sur cette espèces, notamment grâce aux études réalisées en Saxe en Allemagne et dans les Cantons de l’Est de la Wallonie. Le comportement et l’écologie du Milan royal sont très complexes. Ses populations sont menacées par diverses causes anthropiques : perte et dégradation d’habitat, utilisation de rodenticides,… Si les collisions avec les éoliennes sont encore un problème relativement mineur, il ne peut être négligé. La hauteur et les comportements de vol du milan, la distance entre les nids et les éoliennes ou encore les pratiques agricoles sur des terrains proches situés aux alentours du parc sont des facteurs qui peuvent rendre cette espèce vulnérable. Mais de solutions existent pour atténuer ces impacts : adaptation des pratiques agro-pastorales dans et aux abords du parc, maintien d’une distance minimale de 1600 m entre les sites de nidification et les éoliennes,… Ce diagnostic montre l’importance de procéder à des études de suivis plus systématiques autour des projet et parcs existants pour mesurer les effets des éoliennes à moyen et long terme en analysant la mortalité et son impact sur les populations existantes.
A l’issue de ce dialogue, certains participants ont pris conscience de cette « nouvelle donne » que représentait la présence du milan. Néanmoins, plutôt que de considérer cette présence comme une contrainte insurmontable, ce séminaire a débouché sur des engagements de la coopérative pour prendre en compte les problèmes de coexistence liée à la biodiversité caractérisant le site de Habay. Par ailleurs, si ce séminaire a permis de faire l’analyse de la situation, il jette surtout les bases d’actions concrètes qui visent à atténuer et à compenser les impacts potentiels de l’implantation du parc sur la Milan royal. Le projet d’implantation a notamment été révisé pour s’éloigner de la CET où se concentre les oiseaux. La gestion de zone de fauchage/ensilage pour réduire l’attractivité de la zone de parc est aussi envisagée. Il faut éviter les sols nus au pied des mâts et créer plus loin des zones de diversion fauchées de manière séquentielle. Cette gestion nécessitera en outre une collaboration des agriculteurs et d’associations naturalistes.
A court et à moyen terme, l’engagement collectif se traduit par la mise en place d’observations et d’un suivi des populations de milan. Monitoring effectué par des ornithologues confirmés avec un soutien de Natagora. A plus long terme, Lucéole pourrait réinvestir une partie de ses bénéfices dans des projets de gestion de la biodiversité.
En bel exemple à travers lequel la participation citoyenne va bien au-delà d’un seul apport financier dans le capital du projet. La participation doit aussi s’étendre à la communication d’informations par les citoyens, vers les citoyens. Elle doit également se traduire par la recherche collective de solutions pour qu’une cohabitation entre infrastructures de production d’énergie renouvelable, riverains et les autres compartiments du milieu naturel puissent cohabiter de façon plus harmonieuse. Les coopératives à ancrage local sont certainement parmi les mieux placées pour contribuer à une gestion intégrée et durable de leur territoire. La fédération des coopératives citoyennes éoliennes REScoop, a d’ailleurs repris l’expérience pionnière de Lucéole, pour proposer une approche citoyenne de la coexistance biodiversité- éolien dans le projet de Cadre de Référence éolien de la Région Wallonne.
Actes du séminaire citoyen : Coexistance Milan royal et parc éolien. Pour une compréhension ouverte d’un problème complexe. (janvier 2012)
Disponibles en ligne sur www.luceole.be