Mobilité, sobriété et lucidité

  • Auteur/autrice de la publication :
  • Post category:Mobilité
  • Temps de lecture :5 min de lecture
You are currently viewing Mobilité, sobriété et lucidité

Lors d’une discussion récente relative aux politiques de mobilité, mon interlocuteur m’a demandé : « pour toi, quelle est la mobilité du futur ? Pas celle dont tu penses qu’elle va arriver, mais celle dont tu rêves ? »

Jaillie de je ne sais où, ma réponse a fusé : 80% de modes actifs et 20% de transports en commun. Ce qui ne peut se faire qu’en bougeant beaucoup moins. « Comme quand j’étais gamin » ai-je ajouté. Car c’est là, en effet, la mobilité vécue par le petit garçon que j’ai été.

Je suis né en 1965, soit 20 ans après la fin de la seconde guerre mondiale. Mes parents ont donc connu, adolescente pour l’une, enfant pour l’autre, les douloureuses expériences liées à la guerre et à l’occupation. Dont celle de la privation – y compris du nécessaire. Certaines personnes, après avoir été privées de tout, développent une tendance à la surconsommation, au gaspillage. Plus généralement, la privation fait prendre conscience de la valeur de ce qui est indispensable à la vie et génère une forme de sobriété, un rejet du gaspillage. Ce fut le cas de mes parents. De plus, issus de milieux (très) modestes et ruraux, donc profondément ancrés dans la nature (et se considérant à juste titre comme en faisant partie), ils ont transmis à leurs enfants leur conscience aigüe du besoin de respecter les autres composantes de cette nature, d’y « rester à sa place ».

Et s’intégrer harmonieusement dans la nature dans le respect et la sobriété n’est nullement douloureux. C’est au contraire une manière de vivre paisible, sereine. Par contre, ce qui, lorsque l’on tente de vivre selon cette logique, est douloureux, c’est d’observer le gaspillage, la surconsommation, le saccage de la nature, la souffrance du vivant. En fait, c’est à la fois douloureux et très perturbant. Tout comme les personnes vivant dans des régions désertiques sont perturbées par les comportements des Occidentaux qui gaspillent l’eau potable (notamment pour… laver leurs voitures), celles et ceux qui vivent dans une certaine « sobriété heureuse » ont beaucoup de difficultés à comprendre que l’on puisse surconsommer (voir le texte de Alain Geerts sur la publicité).

Il n’en demeure pas moins utile de disserter sur la nécessité de la sobriété (oui, ceci est une allitération et donc … une utilisation bien peu sobre du T). D’une part, il faut porter un regard lucide sur l’état de la nature (dont, pour rappel, nous faisons partie) pour percevoir la nécessité de la sobriété. Et pour porter ce regard lucide, il faut avoir accès à l’information. D’autre part, la sobriété est, dans nos sociétés, synonyme de reniement : reniement du principe premier de la poursuite effrénée de la croissance à tout prix. Reniement libérateur mais, par définition, bouleversant1.

Tout aussi utile est de discuter des implications de la sobriété. Ce qui nécessite lucidité (encore) et franchise. La sobriété est, en matière de mobilité notamment, synonyme de pertes d’emplois. Reconnaissons-le et débattons, avec elles, des manières de faire participer les personnes concernées à un nouveau projet de société mobilisateur et épanouissant.

Épanouissant, car la sobriété, quoiqu’on en puisse penser, est synonyme de liberté (dans le sens de maîtrise, de pouvoir d’agir). En effet, sur le plan philosophique, « Être tempérant, c’est pouvoir se contenter de peu ; mais ce n’est pas le peu qui importe : c’est le pouvoir, et c’est le contentement. »2 Sur le plan environnemental, c’est le « peu » qui compte avant tout, bien sûr.

Indispensable pour répondre aux défis de la biodiversité et du climat, apaisante et moralement gratifiante, la sobriété est tout simplement, pour qui peut porter un regard lucide sur l’état de l’environnement, une évidence.


Aidez-nous à protéger l’environnement,
faites un don !

  1. Je me permets de renvoyer, à ce propos, aux chapitres 6 et 21 de mon essai « Aimer le vivant »
  2. André comte-Sponville. Petit traité des grandes vertus