Le nouveau rapport du GIEC est alarmant et nombreux sont prêts à agir. Les discussions vont bon train. « Je fais des efforts toute l’année, je peux bien me permettre des vacances en avion. » « Moi, je ne prends jamais l’avion, alors je peux bien utiliser la voiture pour aller au travail. » « C’est l’industrie qui pollue vraiment, mes émissions n’ont pas d’impact. » « C’est les chinois les vrais pollueurs, notre pays émet bien moins que la Chine. » « Le vrai problème, c’est la démographie. »
Par ailleurs, les rapports du GIEC (Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat) ne sont pas des plus simples : « Pour le scénario P1, l’humanité ne doit plus émettre que 17 milliards de tonne de CO2 équivalent en 2030 et 8 milliards en 2040, contre 47 milliards aujourd’hui…»
Comment s’y retrouver dans tout cela ? Que faire à titre individuel et surtout est-ce utile ? Nous proposons ici un guide pédagogique pour y voir plus clair et se centrer sur l’essentiel.
Parlez-moi à mon échelle : les émissions par habitant
Les gaz à effet de serre (GES) qui réchauffent le climat comportent le dioxyde de carbone (CO2) mais aussi d’autres gaz, comme le méthane (CH4) émis par les bovins, ou l’oxyde d’azote (N2O) émis par les engrais. Chacune de ces molécules a un effet de serre (effet radiatif) différent, mais pour simplifier on les exprime toutes en équivalent de CO2, ou « tonne équivalent CO2 » (t CO2-eq). Le CO2 est la référence car c’est le gaz qui totalise le plus grand effet de serre à l’échelle mondiale et aussi souvent nationale (généralement 75-85%). Il est émis par les véhicules, les chaudières ou les usines lorsqu’ils brûlent des carburants fossiles (pétrole, gaz naturel et charbon) ou par les procédés de fabrication qui décarbonatent des matériaux – le calcaire pour la chaux, le ciment ou le verre par exemple.
Pour être compréhensible par le plus grand nombre, évitons les émissions mondiales ou nationales et regardons les émissions annuelles par habitant, qui figurent sur le graphique suivant. En 2018, l’activité humaine dans le monde émettait 47 milliards de t CO2-eq, soit 6,3 t/an/habitant. La même année, la Belgique émettait 10,2 t/an/pers si on comptabilise ce qui a été émis sur le sol belge, mais cela monte à environ 16 t/an/pers en comptant les importations1 (aliments, matériaux et objets produits à l’étranger et consommés dans notre pays, notamment). A l’inverse, la Chine émet 8,9 t/an/pers, qui devraient être diminuées par leurs exportations nettes (-1,3t selon le Carbon Atlas). Par habitant et en comptant le bilan import-export, un chinois émet donc 2 fois moins qu’un belge. Enfin, un pays comme l’Inde émet très peu par habitant.
Quelle est la cible à mon échelle ?
A titre de comparaison, en 2019, le GIECa émis des recommandations pour limiter le réchauffement planétaire à 1,5°C : atteindre en 2030 2,0 t/an/pers dans son scénario le plus volontariste (P1) et 4,5 t/an/pers dans son scénario le plus laxiste, pariant un maximum sur la technologie (P4) 2. Idéalement, la Belgique devrait donc réduire ses émissions de 75%, voire même de 87% en comptant les importations pour atteindre la cible P1.
Grande question : quel est l’objectif wallon et est-il ambitieux ? La Gouvernement Wallon s’est engagé en 2019 à réduire de 55% ses émissions territoriales en 2030 par rapport à 1990, s’alignant ainsi sur le nouvel objectif européen. En terme absolu, il s’agit d’atteindre 25 millions de t CO2-eq, soit 6,9 t/an/wallon, visibles sur la figure à « WAL55 ». Bien que -55% en 2030 soit ambitieux et sera même très difficile à atteindre (les moyens d’y arriver sont à l’étude au niveau wallon), on est loin du scénario P4 le plus laxiste du GIEC et très loin du scénario volontaire (P1), sans même compter les « émissions importées ».
Que faire dès aujourd’hui dans mon quotidien ?
Les citoyens n’ont pas la main sur tout : la construction de centrales à gaz pour produire de l’électricité, les émissions des usines de ciment, d’acier, ou d’engrais, le manque d’infrastructures cyclables ou d’offres de transport en commun… L’industrie et les pouvoirs publics ont bien sûr leur rôle à jouer.
Cependant, une série d’actions concrètes à l’échelle du citoyen peuvent significativement réduire nos 16 t/an/pers. La figure suivante résume quelques empreintes courantes et nous allons les passer en revue, en ayant bien en tête la cible recommandée par le GIEC en 2030 de 2 t CO2-eq, par an et par personne.
L’avion, il n’y a pas de solution
Ne tournons pas autour du pot. Comme le montre le tableau, réaliser un vol d’avion aujourd’hui est totalement incompatible avec la cible du GIEC pour 2030 de 2t/an/pers. Le plus loin étant le pire, le palmarès va à la Nouvelle Zélande et l’Australie qui dépassent les 3 tonnes par passager.
« Oui mais de nouvelles technologies d’avion se préparent ! » Oublions l’avion électrique, abandonné par Airbus en 2020, car les batteries sont trop lourdes, même en anticipant leurs améliorations futures. Dès lors, la solution du moment serait à base de carburants alternatifs : hydrogène, ammoniac, méthane, éthanol, « kérozène neutre »… Tous ces carburants seraient fabriqués avec les excédents d’électricité renouvelable, ou « efuels », les rendant « neutres en carbone ». Ce que l’industrie aéronautique et l’industrie de synthèse de ces efuels ne disent pas, voire même n’identifient pas, c’est la quantité d’installations renouvelables supplémentaires nécessaires pour produire ces carburants. Illustrons-le pour un vol aller-retour relativement court comme Bruxelles-Ténériffe (3.500 km aller). Ce vol nécessite de produire en efuels l’équivalent pétrole de 400 L, via l’une des trois solutions suivantes :
- 22 panneaux solaires par passager (35m²) tournant toute une année, en comptant 50% de perte d’énergie à la synthèse de l’efuel, alors qu’il n’y a que 1 panneau par personne en Wallonie aujourd’hui en 2021.
- ~1.700 éoliennes de 4 MW supplémentaires en Wallonie juste pour assurer un vol d’avion par an par personne. Sachant que la Wallonie compte environ 500 éoliennes en 2020, il s’agirait de tripler juste pour assurer ces vols d’avion.
- 2.000 m² de culture pour biocarburant par personne pendant un an, soit 75% de la surface de la Belgique, pour offrir un vol d’avion à moyenne distance par an par personne !
« Mais il suffit d’importer les « efuels » pour l’aviation ». C’est en effet une solution simple. Prenons cependant du recul : comment sera le commerce international de l’énergie dans les années à venir ? Avec tous les pays réalisant leur transition énergétique en même temps vers le renouvelable, la demande mondiale en biomasse et efuels va exploser et en augmenter le prix. Les catastrophes climatiques vont probablement endommager une partie des moyens de production dans certaines régions. S’approvisionner 100% à l’étranger est donc risqué.
Réduire notre besoin d’énergie est donc un enjeu important. Dès lors, si l’avion devait perdurer, il doit être bien moins prioritaire que notre chauffage ou notre mobilité quotidienne et avoir un statut exceptionnel, par exemple un vol tous les 10 ans. Certains défenseurs de l’avion pensent peut-être inconsciemment à le réserver à une élite économique dont ils font partie. Quoi qu’il en soit, vous l’avez compris, il n’y a pas de solution raisonnable pour généraliser le recourt à l’avion à l’ensemble des belges et encore moins à l’ensemble des habitants de la terre.
L’alternative pour les vacances consiste donc à visiter les richesses de l’Europe en vélo, en train, en bus, en bateau ou en covoiturage. Le plus proche étant le mieux. Ou bien de prendre le temps de voyager lentement : 8 jours de trans-sibérien pour atteindre le Japon ou 1 semaine pour traverser l’Atlantique en bateau. Ou encore de remettre en question la notion même de devoir partir pour pouvoir se sentir en vacances, se reposer et vivre des expériences nouvelles : le fameux « staycation ».
La voiture au quotidien, des solutions
« Je ne travaille qu’à 30 km de chez moi en voiture. Ca reste une petite empreinte. Mon voisin lui est à 60 km. » « Ma belle-sœur a une voiture électrique, mais j’ai entendu que ça émettait plus de CO2 que le diesel, c’est scandaleux. ». Passons ces phrases au crible des faits.
La moyenne des voitures essence/diesel consomme 6L au 100 km, soit 150 g CO2/km (sans compter l’extraction et le raffinage du pétrole, qui augmente ces chiffres de 20%). Travailler en voiture à 30 km de chez soi, c’est parcourir 12.000 km par an, soit émettre environ 2 t de CO2/an, c’est-à-dire la cible du GIEC pour 2030. Et le double pour le voisin de monsieur qui travaille à 60 km !
Regardons les solutions disponibles pour le citoyen. Passer au vélo électrique (speedlec) est bien sûr le meilleur, suivi des transports en commun. Encore faut-il avoir la chance de disposer de suffisamment d’installations cyclables pour ne pas risquer sa vie ou de transports pour ne pas multiplier par 3 ou 4 le temps de trajet. Dans ces cas, le plan de repli est bien sûr le covoiturage, pour que ces 2t soient réparties sur 2, 3 voire 4 personnes.
En plus de ces changements de comportements, une solution technique sera la voiture électrique, pour autant qu’elle soit légère, comme défendu par IEW via la « LISA car ». En plus de la sécurité, la légèreté réduit l’empreinte de fabrication et d’usage : une voiture légère (<1t) émet deux fois moins à la fabrication qu’une lourde (>1,8t) et jusqu’à trois fois moins à l’usage. Sa consommation peut descendre à 12 kWh/100 km, c’est-à-dire 26 g CO2/km (le mix électrique belge émet en moyenne 220 g CO2 par kWh électrique consommé). 6 fois moins qu’une essence/diesel moyenne actuelle ! Bilan qui s’améliorera quand le mix belge sera encore plus décarboné. Pour notre exemple de 30 km du lieu de travail, on descend ainsi à 0,3t, ce qui devient compatible avec la cible du GIEC en 2030.
Concernant, l’empreinte de fabrication, l’analyse du cycle de vie réalisée par l’ICCT en juillet 2021 est intéressante. Elle confirme que, avec le mix électrique 2021 en Europe et la voiture moyenne européenne en 2021, la voiture électrique émet 20% de plus à sa fabrication mais 3 fois moins sur toute sa durée de vie.
L’alimentation, tout est à portée de main
L’agriculture et l’élevage en Wallonie émettent ensemble 4,6 millions de t CO2-eq par an, à laquelle on peut ajouter 0,8 millions de t pour la fabrication en usine des engrais de synthèse de l’agriculture non-biologique. Sans importation, cela revient à 1,5 t de CO2/an/pers en Wallonie, proche des 2 t recommandée pour 2030 par le GIEC.
Le tableau n’est pourtant pas totalement noir pour l’agriculture et l’élevage. Des alternatives existent. IEW va suivre de près ces sujets émergents de la capture de CO2 via les pratiques agricoles. Par exemple, l’Initiative française « 4 pour mille » affirme que le développement de l’agroforesterie, de l’agroécologie et de pâturages extensifs pourrait stocker beaucoup de carbone. « 4 pour mille » fait référence à une augmentation de 0,4% le carbone stocké dans les sols par an. L’INRAE en France a d’ailleurs déjà validé en 2019 la moitié du potentiel additionnel de stockage du carbone, c’est-à-dire 2 pour mille. A suivre donc avec attention.
Le chauffage, un défi
600 L de mazout ou 1.000 m³ de gaz naturel fossile émettent environ 2t de CO2, en intégrant les émissions à la production et à la combustion. Encore un autre challenge, car la plupart des ménages émettent 2 à 3 fois cela. Soulignons que, temporairement, le gaz est acceptable en remplacement du mazout car il émet moins de CO2 pour une même quantité d’énergie. Cependant à terme en 2050, il devra tout autant disparaître.
La première solution est bien entendu d’isoler tous les bâtiments. La Wallonie s’est fixé comme objectif que tous les bâtiments atteignent le label A d’ici 2050. Autant les nouvelles habitations ont ce niveau, autant la moyenne du bâti wallon est au niveau F ou E et va devoir subir des rénovations profondes et coûteuses. Absolument toutes les maisons. Les enjeux sont de taille avec le manque de main d’œuvre et de matériaux. Une véritable industrie de la rénovation va devoir se mettre en place. Et IEW soutient la mise en place d’une obligation de rénovation, vu, par exemple, le manque de succès des primes allemandes pourtant les plus attractives d’Europe.
Une fois isolée, et quand c’est possible, une seconde solution assez performante existe : la pompe à chaleur (PAC). Fonctionnant à l’inverse du frigo, pour chaque unité d’énergie qu’elle consomme, cette technologie va chercher deux unités d’énergie dans l’air ou dans un circuit dans le sol et injecter ces trois unités d’énergie dans la maison. Cela réduit donc par trois la quantité d’énergie consommée ! Voir même par 4,8 pour la meilleure PAC avec géothermie, comme l’indique l’étude très intéressante de la Région Flamande avec la KULeuven.
Avec l’isolation et le plus de pompe à chaleur possible, il est donc raisonnable d’envisager une diminution par 5 de la consommation d’énergie dans le bâtiment, qui réduirait à 0,4 t/an/pers sans même utiliser de l’énergie non carbonée.
L’industrie, un défi hors de portée du citoyen ?
Avant sa disparition en Wallonie et sa délocalisation à l’étranger, la sidérurgie à chaud émettait près de 10 millions de tonnes de CO2 par an, soit environ 3t/an/pers. Aujourd’hui la fabrication du ciment en Wallonie émet 3,4 millions de t par an, soit 1 t/an/pers. La production de chaux, de dolomie et les carrières émettent 2,8 millions de t par an, soit 0.8 t/an/pers… Et il reste encore la chimie, pétrochimie, le pharma, les engrais, le verre. Sans oublier la production d’électricité à partir de gaz en Wallonie déjà à 3,6 millions de t, soit 1,0 t/an/pers.
On le comprend bien, les citoyens n’ont pas de prise directe sur ces émissions. Les industries vont devoir se transformer : trouver des substituts, améliorer les procédés, se reconvertir…
Quoique… Le citoyen a quand même un impact. Quand c’est possible (et ça ne le sera jamais pour tous), choisir de vivre sans voiture permet d’éviter la fabrication de 1,5 t d’acier, de verre et de plastique, de 6 t de CO2 eq en cas de voiture à essence ou de 8t pour une voiture électrique (cfr étude ICCT, juillet 2021). Bâtir à ossature bois, avec un bois suffisamment local est aussi un moyen d’utiliser moins de ciment, très émissif. Les « 6 scénarios pour une Belgique climatiquement neutre en 2050 », publié en 2021 par l’administration fédérale, sont d’ailleurs sans appel : la réduction de consommation de matériau est indispensable. Certes la circularité y contribuera, mais ce ne sera pas suffisant.
Bref, des technologies ET des changements structurels de comportement
A travers ces différentes empreintes, on comprend que l’enjeu est de taille. Certains voudront se réfugier dans la capture industrielle de CO2 pour compenser toutes ces émissions qui dépassent de loin les objectifs mondiaux. Le grand problème de la capture de CO2, c’est qu’elle brasse de gigantesques quantité d’air (matière pour fabriquer les ventilateurs et énergie pour les faire tourner) et qu’elle doit en extraire le CO2 (procédé de catalyse consommateur de matière et d’énergie). Autrement dit, pour résoudre le problème climatique, nous devrions consommer plus de matières et d’énergie, alors que pour préserver la biodiversité nous devons diminuer notre empreinte sur les territoires : limiter les mines, le nombre d’éoliennes, la quantité d’usines et d’équipements, l’artificialisation des sols… Une fois encore, une vision transdisciplinaire (climat / approvisionnement énergétique / biodiversité) incite grandement à la sobriété, qui reste la meilleure solution technique. Elle nécessite aussi de mobiliser les citoyens et de créer de nouveaux modes de comportement. La crise du Covid nous a montré notre incroyable adaptabilité. Saurons-nous en faire usage ?
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- https://plateforme-wallonne-giec.be/assets/documents/P_Wallonne-GIEC_Lettre9.pdf
- Réchauffement planétaire de 1,5 °C, Résumé à l’intention des décideurs, déduit à partir de la page 16. https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2019/09/IPCC-Special-Report-1.5-SPM_fr.pdf