La fin du psychodrame sur le burden sharing libérera le produit de la vente des crédits carbone européen ETS. Dans ce cadre, le ministre Marcourt vient d’annoncer que 400 entreprises pourraient profiter de cette nouvelle manne par des aides directes sans compensation au titre de la lutte contre la délocalisation. Ce nouveau cadeau aux grosses industries sous couvert de politique climatique détourne une manne financière qui devrait financer la décarbonisation de notre économie.
Quel cadeau pour quel surcout ?
Dans son discours de politique générale, le Ministre de l’économie, Jean Claude Marcourt a annoncé qu’avant la fin de l’année, la Wallonie allait mettre en place un mécanisme de soutien aux grandes entreprises pour empêcher les délocalisations carbone (« carbone leakage »). De quoi s’agit-il ? Certains gros consommateurs d’électricité peuvent voir leur facture augmenter suite à l’instauration du marché du carbone européen ETS. En effet, ce marché ETS fait payer les centrales électriques pour le CO2 émis. Celles-ci répercutent ce surcoût sur le prix de l’électricité. Les entreprises européennes des secteurs soumis à une concurrence internationale importante peuvent donc souffrir d’un désavantage au moment de payer leur facture d’électricité par rapport à des entreprises actives dans des pays non soumis à un marché du carbone… D’ou la possibilité laissée aux états européens de « compenser » via l’octroi d’une aide financière.
Ce genre de compensation pourrait se justifier… si le prix du carbone fixé par le marché du carbone ETS était suffisamment élevé. Mais c’est loin d’être le cas ! Depuis sa mise en oeuvre, trop de permis ETS ont été émis et beaucoup d’industries – surtout dans des secteurs comme la sidérurgie ou la chimie – en ont amassé pour se constituer de confortables matelas. Comme pour tous marchés, la sur-abondance de permis en circulation a entrainé un prix beaucoup trop bas. (Autour de 6€ la tonne de CO2)
Au final l’ETS augmente donc très peu les factures électriques des industries wallonnes. La production d’électricité en Belgique émettant 0,25 tonne de CO2 par MWh et le prix de la tonne de CO2 tournant autour de 6€, le surcoût est de 1,5 € par MWh (0,25 X 6 euros) dans le cas très hypothétique ou les producteurs d’électricité répercuteraient entièrement le surcout sur l’industrie (ce qui n’est pas du tout le cas en pratique). Il est difficile d’imaginer qu’une augmentation si minime pousse une entreprise à déménager vers un pays non soumis à un marché du carbone…
Ainsi avec un prix du carbone si bas, les compensations promises par Mr Marcourt ne sont pas justifiée par un risque de délocalisation. Elles s’inscrivent d’avantage dans une logique de concurrence entre pays pour garder ou attirer les industries en offrant soutien public, avantages fiscaux ou assouplissements sociaux en tous genres. A la fin, c’est le citoyen et l’environnement qui payeront…
Une chance au grattage, une chance au tirage
En outre la plupart des 400 entreprises qui seraient a priori ciblées par Jean Claude Marcourt (dans les secteurs de la chimie, de la cimenterie ou de l’acier notamment) sont en grande partie les mêmes qui ont reçu depuis plusieurs années des quantités astronomiques de crédits carbones ETS gratuits. Fin 2015, 100 millions de crédits carbone avait été « sur-alloués » à l’industrie belge. A 6 euros la tonne, c’est de nouveau la coquette somme de 600 millions euros d’aides d’état offertes aux entreprises sans aucune contrepartie. Oh paradoxe ! Ces crédits ont ensuite été vendus par les industries aux producteurs d’électricité qui les répercutent sur leurs prix de vente… Précisément ce que le Ministre Marcourt entend compenser ! C’est le serpent qui se mort la queue et la promesse d’un double cadeau pour certaines entreprises…
Des cadeaux, des cadeaux…
Cette pratique pose d’autant plus question que ce n’est pas le seul soutien octroyé aux grosses entreprises sous couvert de politique climatique. Les accords de branches, principale politique climatique à destination des industries, posent aussi un certain nombre de questions.
Dans le cadre de ces accords sectoriels, les pouvoirs publics offrent une série de cadeaux aux entreprises à condition qu’elles diminuent leur consommation d’énergie. Sur le principe, rien à dire. Ainsi en 2014, les secteurs industriels wallons ont baissé de 8,8% leur intensité énergétique (c’est à dire la quantité d’énergie nécessaire à une production équivalente) par rapport à 2005… Bravo.
Mais comme toujours, le diable est dans les détails. En l’occurence, la question du cout efficacité de la mesure pose question. Ainsi en 2014, ces entreprises ont reçu 111 millions € de cadeaux de la Région (sous forme de certificats verts ou de réduction de surcharge Elia principalement) alors que les investissements économiseurs d’énergie auxquels elles ont consenti atteignaient 32 millions €. Elles ont donc reçu 3 € de cadeau pour chaque euro investi. Ces investissements étaient, en outre, rentables sans aide publique puisqu’ils faisaient baisser la facture énergétique des entreprises. Les accords de branches ne concernent d’ailleurs que des investissements présentant un taux de retour sur investissement inférieur ou égal à 5 ans.
Il faut soutenir une vraie transition de notre économie
Notre objet n’est pas de remettre en cause les difficultés traversées par certains secteurs industriels wallons, a fortiori s’ils sont gros consommateurs d’énergie. Lutter contre les délocalisations dont l’impact aussi bien social qu’environnemental est inacceptable, peut donc représenter un but honorable.
Mais pas à tout prix ! Notre économie doit urgemment baisser sa facture énergétique (18 Milliards € annuel pour la Belgique). Dans un même temps, elle doit se ré-orienter vers des secteurs qui sont à la fois plus durable et pourvoyeurs d’emplois sous peine de louper l’opportunité que peut représenter la transition bas-carbone. Dans ce cadre, et dans un contexte budgétaire tendu, les autorités publiques doivent absolument optimiser la manière dont les aides publiques sont octroyées.
Ces fonds publics si généreusement alloués à des industries qui sont souvent les plus polluantes posent donc question… Il faut changer les pratiques politiques. Ces soutiens doivent être ciblés et limités dans le temps. Ils doivent surtout exiger une contrepartie en terme d’investissements dans l’efficacité énergétique et d’amélioration de l’outil industriel. Les soutiens sans engagement de l’entreprise soutenue doivent en tout cas être évité.
Les aides anti-délocalisation annoncées par le Ministre Marcourt sans aucune compensation sont donc injustifiables et inacceptables d’un point de vue environnemental et économique. Il est encore temps de revoir sa copie. Les revenus liés à la vente de crédits ETS doivent servir à construire une Wallonie décarbonnée, pas à coller des rustines hors de prix alors que l’enjeu climatique nécessite de changer la roue !